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Le jeu complexe des interventions étrangères

Nada Al-Hagrassy , Lundi, 09 décembre 2024

L’effondrement soudain du régime syrien suscite de nombreuses interrogations quant aux facteurs qui ont précipité sa chute et quant au rôle de certaines puissances étrangères. Décryptage.

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Cette photo montre les premières pages des journaux qui ont pour thème la chute du président syrien Bachar al-Assad à Téhéran. Photo : AFP

Le 8 décembre 2024. On retiendra cette date comme celle marquant la fin du régime du président syrien Bachar Al-Assad. Attendue par certains, surprenante pour d’autres, la chute éclair du régime de Bachar Al-Assad suscite des interrogations sur le rôle des interventions de puissances étrangères dans cette précipitation, alors que le régime jouissait de l’appui de deux grandes puissances : la Russie et l’Iran. Leur soutien, notamment militaire, avait pourtant aidé à vaincre ces mêmes groupes islamistes qui ont enflammé la Syrie en 2011. Et l’avait aidée à les repousser une deuxième fois en 2015, étendant ainsi le contrôle du régime sur la ville stratégique d’Alep. 
Selon beaucoup d’observateurs, la rapidité avec laquelle le régime de Bachar Al-Assad a chuté s’explique essentiellement par un changement dans la position de ces deux alliés avec l'intervention d'autres acteurs extérieurs, notamment l'Ukraine et Israël.

Un Iran affaibli et sous pression

Malgré ses déclarations affirmant son soutien indéfectible au régime syrien, l’Iran a dû revoir sa position en raison de la détérioration de sa situation intérieure, notamment la pression croissante exercée par Israël qui a porté des coups durs à ses alliés, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban. « L’Iran a consacré une grande partie de son financement et de ses équipements militaires au Liban. L’évolution de cette guerre a réduit la capacité de l’Iran et de ses milices à s’impliquer comme auparavant dans le conflit syrien », explique Mohamed Abbas Nagui, spécialiste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et d’ajouter : « L’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison Blanche restreint également la marge des manœuvres iraniennes. Parmi les facteurs ayant précipité la chute du régime est le fait qu’une grande partie des forces iraniennes ont quitté la Syrie pour éviter d’être tuées par Israël, comme l’assassinat du général Mohammad Reza Zahedi, tué au consulat iranien à Damas en avril 2024. Il y a aussi le retrait des combattants du Hezbollah vers le Liban afin d’y renforcer ses positions face à Israël conformément à la nouvelle politique du nouveau secrétaire général Naïm Qassem concernant la libanisation du parti. En plus, l’Iran a démobilisé la majeure partie des brigades Fatemiyoun et Zainabiyoun de la Syrie, convaincu qu’elles n’avaient pas besoin de servir aux côtés de l’armée syrienne après avoir récupéré Alep en 2021 ».

Moscou et Damas, des intérêts qui divergent

Par ailleurs, lors de la première guerre civile syrienne, il y a eu une coordination de haut niveau entre l’Iran et son allié russe sur la question syrienne. Une entente qui s’est traduite par l’implication directe de la Russie dans le conflit en 2015, ce qui a constitué un changement dans l’équilibre des forces en faveur du régime syrien. Or, les divergences entre les partis impliqués deviennent de plus en plus évidentes. « L’Iran voit d’un mauvais œil la politique russe en ce qui concerne ses accords de sécurité avec Israël et sa position dans le dossier nucléaire ou encore dans le dossier du Haut-Karabakh », estime le politologue Mohamed Abbas Nagui. « Tandis que la Russie, l’autre allié du régime déchu, a commencé à voir d’un mauvais œil les réticences du régime syrien à normaliser ses relations politiques avec la Turquie, posant comme condition préalable le retrait complet des forces turques du nord-est de la Syrie », explique la chercheuse Safinaz Mohamed Ahmed, experte dans les affaires régionales au CEPS. Et d’ajouter que la Russie estimait qu’un règlement du différend entre la Syrie et la Turquie pouvait apaiser la situation dans le nord de la Syrie, ce qui lui aurait permis de récupérer les zones contrôlées par l’opposition, notamment à Idleb et à Alep. Bachar Al-Assad, lui, voulait un retrait complet de la Turquie du nord-est de la Syrie. Mais rien n’a été fait et le régime a chuté faute d’appui de ses alliés. 
En 2015, la Russie avait vite saisi l’occasion qui lui était offerte de s’impliquer dans le conflit syrien, établissant un vaste réseau d’intérêts économiques et militaires. Elle a progressivement affirmé sa présence dans la Méditerranée. Mais elle s’est rapidement lassée des tergiversions du régime de Bachar Al-Assad quant à la normalisation de ses relations avec la Turquie. La Russie a considérablement diminué ses effectifs en Syrie après le déclenchement de son conflit contre l’Ukraine en 2022. Et le groupe Wagner a également quitté la Syrie pour servir en Ukraine.

Un rôle ukrainien ?

Par ailleurs, plusieurs sources ont rapporté une possible implication ukrainienne dans le conflit syrien. Le journal ukrainien Kyiv a notamment évoqué la formation des combattants de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) par des officiers ukrainiens, ainsi que leur participation aux batailles à côté des combattants de HTS. Cette coopération militaire a abouti au contrôle des régions et des villes stratégiques comme Alep, Idleb, Hama et Homs pour assiéger enfin Tartous et Lattaquié, zones stratégiques pour la Russie. Une éventuelle intervention ukrainienne s’expliquerait par le fait « que les Ukrainiens sont en guerre contre la Russie depuis plus de deux ans au cours desquels ils ont subi de lourdes pertes. C’est pourquoi l’Ukraine cherche à diversifier les fronts de guerre pour alléger la pression sur ses positions », souligne la chercheuse Chaïmaa El-Morsi. Et d’ajouter qu’en attisant les tensions en Syrie, l’Ukraine cherche à réduire la pression de la Russie sur le front ukrainien. Et cela se produit en poussant la Russie à diriger une partie de sa capacité stratégique et militaire vers la Syrie car la Russie a de grands intérêts en Syrie qu’elle ne peut pas ignorer. « D’autant qu’elle est consciente des pertes géostratégiques énormes qu’elle pourrait subir si elle perdait son accès à Lattaquié et Tartous dans sa concurrence avec les Etats-Unis et l’Occident », ajoute la chercheuse. En plus, les Ukrainiens ne disposent pas d’un poids significatif dans leurs négociations avec les Russes pour mettre terme à leur conflit, ce qui les empêche de forcer la Russie d’accepter leurs demandes. En intervenant dans le conflit syrien, les Ukrainiens envoient un message au Kremlin qu’ils disposent de cartes de pression qu’ils peuvent utiliser comme outil de négociation. « Ils estiment que cette mesure pourrait préserver leurs intérêts à long terme », souligne Chaïmaa El-Morsi.

Israël profite du chaos

Après que l’accord du cessez-le-feu fut décrété au Liban, Israël s’est vite tourné vers la Syrie pour « détourner complètement l’attention de son agression continue contre Gaza pour plus de 14 mois », explique Mohamed Mohsen, spécialiste en affaires iraniennes. Et d’ajouter : « Israël a mené plusieurs frappes sur la Syrie l’année dernière qui ont entraîné la destruction d’importants stocks de munitions ». Quelques heures seulement après la chute du régime de Bachar Al-Assad, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a déclaré, jubilant, que « la Syrie était un pilier de l’axe du mal qui s’est effondré à la suite de nos frappes ». 
Avec la chute du régime syrien et le retrait de l'armée syrienne de nombreuses régions frontalières, Israël a commencé à prendre des mesures sans précédent pour étendre sa présence en Syrie. Il n’a pas perdu une minute de plus pour déclarer l’effondrement de l’accord du désengagement de 1974 avec la Syrie sur le Golan. « J’ai donné des ordres hier aux forces de défense israéliennes pour qu’elles s’emparent de la zone tampon et de ses positions de commandant adjacentes », a-t-il dit. Et voilà, c’était fait. L’armée israélienne a annoncé, dimanche, s’être déployée dans la zone tampon démilitarisée du Golan, dans la région de Gabal Al-Cheikh, tout au long de ses frontières avec la Syrie. Elle a imposé par la suite un couvre-feu aux habitants de cinq localités situées dans cette zone. Ces évolutions suscitent des interrogations sur les objectifs d'Israël et ses projets futurs dans un contexte de vide sécuritaire et politique en Syrie. 

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