En catimini, le gouvernement sortant a augmenté en janvier dernier le tarif de l’eau potable pour les usages domestiques, mais l’information n’a été dévoilée que cette semaine, de manière officieuse. Une source à l’Organisme des services de l’eau potable et de l’assainissement a précisé, selon le quotidien indépendant Al-Shorouk, que l’augmentation a été appliquée aux factures d’eau dont la consommation est supérieure à 20 m3 mensuels, avec une augmentation d’une piastre par m3 et par mois. Le gouvernement table sur une augmentation progressive d’au moins 30 % d’ici la fin de l’année pour passer de 24 piastres à 35 le m3.
Mais ni le gouvernement sortant ni l’actuel n’ont visé les tarifs de l’eau utilisée dans les commerces ou les projets d’investissements. « A part la Côte-Nord, les négociations entre le gouvernement et les investisseurs à Charm Al-Cheikh, Hurghada et le reste des stations touristiques côtières ont échoué », révèle la même source. « Le gouvernement est incapable d’affronter le milieu des affaires », affirme l’ancien ministre des Finances, Samir Radwane (lire Entretien page 4).
Les économistes n’ont alors pas de mal à comprendre les orientations du gouvernement. Ce dernier vient d’approuver une augmentation du gaz naturel, pour les domiciles aussi qui ne représentent que 3 % de la consommation de gaz naturel en Egypte. Les usines à forte consommation d’énergie ne sont pas touchées (lire page 5). Cette hausse cible les classes riche et moyenne, puisque les plus pauvres n’ont pas accès au gaz naturel. Ces derniers seront toutefois sévèrement touchés par un autre plan du gouvernement Mahlab visant à éliminer totalement les subventions aux bonbonnes de gaz butane sur 5 ans.
L’augmentation des prix du butane et du gaz naturel s’inscrit dans le cadre d’un plan gouvernemental visant à réduire le coût des subventions au secteur de l’énergie estimé à 128 milliards de L.E., soit 20 % des dépenses de l’Etat.
Selon le même plan, et d’après des déclarations du ministre du Plan, Achraf Al-Arabi, l’électricité et l’essence passeront de même à la hausse, avec plus de 50 % pour l’octane 92 par exemple. Le tout avant la fin du mois de mai prochain. Le pain, dénommé « vie » (eich), pour des Egyptiens traversant une crise économique profonde, et qui était le premier slogan de la révolution de janvier 2011, est également une cible, malgré son coût peu important en subventions (20 milliards de L.E.). C’est de pain que se nourrissent la grande partie des Egyptiens dont environ la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté, selon un rapport du Programme alimentaire mondial (WFP) qui avance en 2011 le chiffre de 48,9 % de la population en dessous du seuil de pauvreté, contre 40,5 % en 2005.
« Ça ne peut plus durer »
Le budget de l’année fiscale à venir et qui débute en juillet prochain devrait contenir cette révision des subventions « pour réduire le déficit budgétaire prévu de 14 % en cas de non-réforme », confirme une source du ministère des Finances. « Ça ne peut plus durer », argumentent les successeurs de Moubarak et les économistes, même les plus ancrés à gauche. Pourtant, ils se demandent si c’est la meilleure façon d’aborder le problème du déficit budgétaire.
Pour le pain, le gouvernement propose à la place une distribution de 5 galettes par personne et par jour par un système de carte dite « intelligente », le même qui doit être appliqué à la vente d’essence. Un quota subventionné sera garanti sur la carte, mais non sur la consommation qui dépasse ce quota. Pour le butane, l’équivalent de la subvention sera distribué en espèces. Mais les responsables ne précisent pas le nombre de personnes qui profiteront du système et ne dévoilent non plus d’où viendra cet argent puisque l’application sera graduelle.
Le journaliste et chercheur en économie Waël Gamal estime qu’il s’agit des mêmes politiques dictées par la Banque mondiale et le FMI, que Moubarak n’a pas osé adopter. « C’est une reproduction des politiques de Gamal Moubarak et de Youssef Boutros-Ghali. Son assistant de l’époque, Hani Qadri, aujourd’hui ministre des Finances, fait sortir des tiroirs les plans d’austérité. Au lieu de restructurer le système fiscal et de rechercher l’argent chez les plus riches ou supprimer les subventions des carburants accordées aux usines, le gouvernement va chercher l’argent dans la poche des pauvres, et à la place, il permet aux hommes d’affaires d’importer du charbon pour doubler leurs chiffres d’affaires », explique l’économiste Abdel-Khaleq Farouq.
Les hommes d’affaires s’alignent sur les mesures du gouvernement. La Fédération des industries égyptiennes a ainsi présenté un document préparé par des experts dans les domaines du pétrole et de l’électricité, qui proposent des solutions possibles à la crise de l’énergie. La fédération estime que le gouvernement s’est montré réticent à prendre des mesures sérieuses pour réformer le système des subventions en raison de craintes « exagérées » de la réaction de la population. Gamal se demande d’ailleurs si ce gouvernement transitoire, « qui n’a pas de légitimité politique, a le droit de bousculer un dossier aussi sensible en l’absence du Parlement et à la veille de la présidentielle ».
Certains perçoivent ces mesures comme un prélude pour paver la route au futur président, le candidat pratiquement assuré de remporter la tête de l’exécutif, Abdel-Fattah Al-Sissi. « Ces mesures d’austérité seront prises avant son arrivée par un gouvernement ne dépendant officiellement de personne et donc n’assumera pas leurs répercussions politiques », croit Samer Atallah, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire. Voit-il juste ? « L’inflation sera la conséquence directe », précise Gamal, surtout si le gouvernement s’aventure à augmenter le prix du gasoil, et avec elle « l’effet retard », comme disent les économistes, qui engendrera une hausse terrible du coût de la vie pour les plus pauvres. Ces mesures passeront dans le calme ... pour le moment.
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