Al-Ahram Hebdo : D’après vous, quels sont les acquis les plus importants que la femme a pu s’octroyer au cours de ces trois décennies ?
Shimaa Tantawy : Je pense qu’il existe plusieurs réformes législatives qui ont eu un grand impact. Les plus importantes sont la loi sur la nationalité et celle sur le kholea. La pénalisation de la mutilation génétique des filles, ainsi que les lois contre le harcèlement sont aussi un pas très important, sans compter l’accès des femmes aux postes-clés. Aujourd’hui, il y a une véritable mobilisation dans le domaine de la cybercriminalité, parce que de nombreuses femmes sont victimes de chantage. Un long chemin reste encore à parcourir. Mais ce qui est important au niveau social au sein du mouvement féministe, suite à la Révolution du 25 Janvier, c’est que les femmes ont commencé à aborder leurs droits physiques et reproductifs d’une perspective différente et nouvelle. La présence des réseaux sociaux a donné un élan, car les femmes ont pu trouver une plateforme où elles arrivent à raconter leurs histoires pour se défendre et se sentir soutenues.
— Quelles sont les priorités du mouvement féministe égyptien ?
— On ne peut pas dire que le mouvement féministe égyptien est une entité homogène et unifiée, il existe des groupes féministes très variés. Parmi les acquis de la Révolution de Janvier, c’est qu’on a brisé la centralisation au sein de ce mouvement. Il existe des groupes de féministes qui luttent pour les droits de la femme dans les différentes régions de l’Egypte, et à chacun ses priorités et ses causes selon les traditions et les coutumes qui varient d’un gouvernorat à l’autre. Comme féministe qui oeuvre depuis 2014, je vois que toutes les causes de la femme sont une priorité. Tout acquis que la femme a pu s’approprier peut avoir un impact sur sa vie en général. Le statut de la femme peut être comparé à un bâtiment, tout le monde collabore à y déposer une pierre. Par exemple, en pénalisant le harcèlement, on crée des espaces sûrs où la femme peut se déplacer. Ceci favorise son intégration au marché de l’emploi et, par conséquent, son accession à des postes importants. Autre exemple, la possession et la gestion, par la femme, de terrains agricoles ou de capitaux vont sans doute changer les clichés dominants concernant le rôle et l’image de la femme dans la société.
Le taux des députées est passé de 2 à 15 %.
— Pensez-vous que les moyens et les mécanismes que peuvent aujourd’hui utiliser les féministes pour défendre leur cause soient efficaces ?
— Je pense que c’est une question très importante car il existe des causes que l’on défend depuis des décennies, alors qu’on n’a rien réalisé car les outils sont inefficaces et désuets. Il existe de nouveaux moyens comme les réseaux sociaux et Internet qui s’avèrent une arme importante pour faire pression, gagner de l’ampleur et obtenir plus de soutien. Il y a aussi le partage des expériences individuelles qui peut créer un certain changement social et les initiatives où la génération Z présente sa cause en posant ses propres questions selon ses propres perspectives. Actuellement, il existe des chaînes ouvertes accessibles à un large public. Il faut aussi parler du discours féministe et se rendre compte qu’il doit varier d’une région à l’autre. Le discours qu’on emploie quand on s’adresse à des Cairotes et à des habitantes des grandes villes n’est pas celui auquel on a recours avec les femmes dans les villages de la Haute-Egypte ou du Delta. Par exemple, dans les régions rurales, le porte-à-porte peut être efficace ; ce n’est pas le cas dans les grandes villes. Je pense que ce qui est important, c’est que les groupes féministes partagent leurs expériences et conjuguent leurs efforts afin qu’on puisse poursuivre ensemble le chemin.
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