Le journal a été lancé en plein milieu de la décennie 1990. Il a rassemblé pas mal de talents, attiré des cerveaux, qui avaient parfois fui des contextes difficiles, comme les journalistes algériens qui voulaient échapper aux années de plomb dans leur pays. Ainsi, on a gagné Bordji et Najet Belhatem, qui ne sont malheureusement plus parmi nous aujourd’hui.
Dessinateur, bédéiste et traducteur, le premier était sur la liste noire des islamistes, et la seconde avait fait ses débuts dans la presse culturelle chez elle, avant de rejoindre notre équipe.
Samer Soliman, un ami cher à tous, mais aussi l’un des meilleurs journalistes économiques égyptiens, préparait encore sa thèse en économie politique, un excellent universitaire qui a enseigné jusqu’à sa mort en 2012 à l’AUC, mais aussi un commentateur et éditorialiste qui rêvait de faire un travail de vulgarisation en son domaine de spécialisation.
Ahmed Loutfi ou Monsieur Ahmed, comme on s’accordait à l’appeler, ainsi que Soheir Fahmi jouaient au parrain et à la marraine, vu la différence d’âge avec les autres membres de la rédaction.
Le premier choc qui a secoué cette ambiance bon enfant des débuts fut la disparition subite de Waël Ragab, un écrivain en herbe qui signait régulièrement des articles pour la page Littérature. Il a été attaqué par un cancer féroce alors qu’il poursuivait ses études à l’Ecole Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs (ESIT).
A l’occasion de nos 30 ans, nous publions quelques textes qu’ils ont eux-mêmes signés ou qui racontent en partie leur histoire. Ces textes évoquent aussi des aspects de la vie intellectuelle et politique égyptienne, de décennie en décennie.
L’introduction de la thèse de Samer Soliman esquisse les grands traits des dernières années du régime Moubarak. Le texte de l’écrivain Mekkawi Saïd, qui décrit l’expérience d’Ahmed Loutfi dans son appartement de la place Tahrir, nous conduit vers les jours de la Révolution de Janvier 2011, lorsque des jeunes ont squatté chez lui et partagé sa chambre à coucher, en toute convivialité.
Le texte tout récent de Alaa Khaled trace le parcours de Waël Ragab, en taillant le portrait de cette bande d’amis qui ont constitué les auteurs de la génération 1990. Il aborde tout le contexte littéraire qui a caractérisé cette époque. Cela nous mène aussi à des oeuvres qui ont défrayé la chronique, et dont l’Hebdo a publié des extraits. Soheir Fahmi a traduit vers le français Personne ne dort à Alexandrie d’Ibrahim Abdel-Méguid, et Najet Belhatem a traduit Miroirs de Naguib Mahfouz.
Prix Nobel de littérature en 1988, ce dernier avait un lien particulier avec l’Hebdo. Car Mohamed Salmawy, fondateur et premier rédacteur en chef du journal, était l’un de ses adeptes et amis proches. Il l’avait choisi afin de prononcer son discours durant la cérémonie de remise de prix à Stockholm.
Né au Caire, Naguib Mahfouz (1911-2006) a été la cible d’une tentative d’assassinat terroriste. Poignardé en 1994, il a perdu l’usage de la main droite et donc ne pouvait plus écrire. Homme unique en son genre, il dictait ses textes et a trouvé un moyen efficace pour contourner la vieillesse et les problèmes de mobilité. L’écrivain s’est mis à rêver, puis dictait son rêve d’un seul trait, après l’avoir bien structuré dans la tête. D’où les Rêves de convalescence, dont nous avons publié les premiers textes en français, avant qu’ils ne soient regroupés dans un ouvrage, aux éditions Du Rocher en 2004. Ils étaient publiés pour la première fois en arabe, dans la revue égyptienne Nisf Al-Donia en 2001.
Dans les pages qui suivent, nous reprenons quelques Rêves de convalescence, parus en 2004 et 2005 dans les numéros 529 et 587. Des textes brefs sur l’air du temps.
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