La naissance d’Al-Ahram Hebdo le 14 septembre 1994 a ressuscité une longue et riche tradition de journalisme francophone en Egypte, qui s’étend sur plusieurs siècles. Elle reflète l’influence durable de la langue française dans le pays des pharaons, notamment à travers les époques ottomane, monarchique et républicaine. Ce lien avec le français a joué un rôle crucial dans la formation de la presse égyptienne et dans la transmission d’idées politiques et culturelles entre l’Europe et le monde arabe.
Le journalisme francophone en Egypte a véritablement pris son essor à partir du début du XIXe siècle, sous l’influence de l’Expédition napoléonienne en 1798. Napoléon Bonaparte a fait imprimer en Egypte le premier journal du pays, La Décade égyptienne, pour diffuser ses idées aux troupes françaises, mais aussi pour établir un lien de communication avec les élites locales. Bien que la publication ait été éphémère, elle a posé les bases d’une présence francophone dans les médias écrits égyptiens.
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la presse francophone a atteint son apogée en Egypte. Le pays, et plus particulièrement la ville d’Alexandrie, est devenu un carrefour cosmopolite où se croisaient de nombreuses communautés, y compris des francophones venant du Liban, de Syrie, de Grèce, d’Italie et de France. Des journaux en français comme Le Progrès égyptien, fondé en 1893 et encore publié aujourd’hui, ont vu le jour pour servir les élites francophones et égyptiennes francophiles. Durant cette époque, la langue française était souvent associée à l’élite intellectuelle et aux cercles progressistes. De nombreux intellectuels et journalistes égyptiens, influencés par les idéaux de la Révolution française, ont utilisé la presse francophone pour promouvoir des idées de liberté, de modernité et de réforme sociale. Cette période a été marquée par une profusion de publications en français, qui traitaient de sujets variés comme la politique, la culture, les arts et les sciences.
Entre les deux Guerres Mondiales, la presse francophone en Egypte est devenue un lieu de débat pour les idées nationalistes et anticoloniales. Alors que le pays cherchait à se libérer de l’occupation britannique, la presse francophone offrait un espace d’expression aux intellectuels, qui y voyaient une langue de résistance contre la domination anglaise. Des journaux comme L’Egypte Nouvelle, La Revue du Caire et Al-Mouqtataf ont contribué à renforcer les liens entre les penseurs égyptiens et les milieux intellectuels francophones au Maghreb et en Europe.
Avec l’indépendance de l’Egypte en 1952 et la montée en puissance de l’arabisation sous le président Gamal Abdel-Nasser, la place de la langue française dans le journalisme a décliné. Cependant, certains journaux francophones ont survécu grâce à un lectorat constitué de la diaspora francophone et d’une élite égyptienne toujours attachée au français et au multiculturalisme. Ces publications ont su adapter leurs contenus pour rester pertinentes, tout en reflétant l’identité de l’Egypte.
Aujourd’hui, la tradition francophone est maintenue grâce, entre autres, à Al-Ahram Hebdo et son corolaire, le site Internet d’information en continu lancé en décembre 2023, Ahraminfo. Tous deux portent la voix de l’Egypte à un lectorat qui s’attache à suivre l’actualité du pays des pharaons sur des sujets aussi variés que la politique, l’économie, la société, la culture, l’art ou le sport.
En somme, la tradition de journalisme francophone en Egypte reste un témoignage vivant de l’histoire et du présent du pays. Bien que son audience soit plus restreinte aujourd’hui, elle conserve une importance symbolique, reflétant l’ouverture de l’Egypte sur le monde et son héritage plurilingue.
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