Al-Ahram Hebdo : Comment évaluez-vous les mandats d’arrêt émis par la Cour Pénale Internationale (CPI) contre le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et l’ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant ?
Ayman Salama: C’est une décision historique. C’est pour la première fois dans l’histoire de la justice internationale et depuis la création de la CPI en 2002 qu’un mandat est émis à l’encontre d’un dirigeant soutenu par le camp occidental. Ceci démontre l’indépendance de cette instance et son adhésion aux principes de la justice internationale, d’autant plus que la CPI était accusée par certains d’inaction, voire de collusion en faveur d’Israël.
— A-t-il été facile pour la CPI d’émettre de tels mandats d’arrêt ?
— La CPI était confrontée à plusieurs défis, notamment les objections de plus de 60 pays membres, comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Les mémorandums présentés par ces pays ont pris six mois de travail, de mai à novembre. Bien plus que d’ordinaire. En plus, la CPI a été soumise à d’énormes pressions, y compris des menaces directes provenant de grands pays occidentaux, contre son procureur général Karim Khan. Selon eux, la CPI n’a pas été créée pour poursuivre les pays occidentaux ou Israël, mais plutôt pour poursuivre les auteurs de crimes dans les pays en développement.
— La CPI a été confrontée à de fausses allégations qui l’accusent d’imposer sa compétence aux Etats qui ne sont pas parties au Statut de Rome. Qu’en est-il ?
— Certains prétendent que la CPI opère en dehors du cadre du droit international, mais la vérité est qu’elle est basée sur le Statut de Rome. La réalité est que la CPI n’a pas le pouvoir d’enquêter ou de poursuivre les Etats qui ne sont pas parties au Statut de Rome, sauf dans deux cas: si l’affaire est renvoyée par le Conseil de sécurité de l’ONU ou si les crimes sont commis sur le territoire d’un Etat membre. C’est le cas pour Netanyahu et Gallant, puisque la Palestine est un Etat membre.
— Ces mandats d’arrêt ne signifient pas pour autant que Netanyahu et Gallant seront jugés …
— Le plus grand défi auquel la CPI, ainsi que la CIJ sont confrontées est que les deux organes ne disposent d’aucun mécanisme exécutif qui leur permet la mise en oeuvre des mandats. Tout dépend de la coopération des 124 Etats membres de la CPI qui sont censés arrêter Netanyahu et Gallant s’ils s’y rendent. Plusieurs pays membres de l’Union européenne ont officiellement déclaré être prêts à exécuter les décisions de la CPI, notamment le Danemark, la Finlande et la Suisse. D’autres non, comme la Hongrie, qui s’est dite prête à recevoir le premier ministre israélien. C’est une position qui s’explique par des raisons historiques, vu que la Hongrie soutenait le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.
— Au cas du non-respect de cette décision par les pays membres, quelle sera la réaction de la CPI ?
— Concrètement, les 125 Etats ayant ratifié le Statut de la CPI ont l’obligation d’interpeller sur leurs territoires les personnes visées par un mandat d’arrêt. Au cas où l’un des pays ne le respecterait pas, l’Assemblée des Etats parties, composée de tous les Etats membres de la CPI, pourra prendre des mesures coercitives qui comprennent des avertissements ou des sanctions conformément au système judiciaire. La deuxième option, la plus sévère, consiste à déférer l’Etat fautif au Conseil de sécurité de l’ONU qui, à son tour, peut émettre des recommandations ou des décisions à l’encontre de cet Etat. Ce n’est pas le droit international qui est incapable de poursuivre les criminels, ce sont les pays qui sont incapables de mettre en oeuvre les décisions.
— Les Etats-Unis, grand allié d’Israël, permettront-ils une éventuelle arrestation de Netanyahu ?
— Compte tenu de leur étroite alliance, les Etats-Unis vont sans doute prendre des mesures diplomatiques et politiques pour protéger Netanyahu. Ils peuvent user de leur influence au sein des Nations-Unies ou faire pression sur leurs alliés membres de la CPI pour empêcher la mise en oeuvre de ces mandats d’arrêt. Il existe une loi américaine sur la protection des militaires (ASPA) adoptée en 2002 et qui vise à protéger les responsables militaires et civils américains contre toute poursuite devant la CPI. Elle ne s’applique pas à d’autres pays comme Israël. Mais elle peut être utilisée comme outil de pression dans le cadre de la stratégie globale anti-CPI des Etats-Unis.
— En l’absence d’organe exécutif et avec cette position américaine, à quoi servent ces mandats d’arrêt ?
— Netanyahu et Gallant ne peuvent échapper au droit international, même s’ils ne sont pas traduits devant la CPI. L’Histoire retiendra les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qu’ils ont commis.
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