34 sites menacés de façon imminente font l’objet d’un dossier présenté en urgence à l’UNESCO. A travers ce dossier, le Liban demande une protection renforcée de ses sites, selon les termes de la Convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. L’occasion pour le Liban d’évoquer l’état des lieux actuel des sites archéologiques dont la plupart sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Parmi les sites figurent ceux de Baalbek, de Tyr, d’Anjar et bien d’autres. D’après Maha Al-Masri, professeure à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université libanaise, département d’arts et d’archéologie, « le ministère libanais de la Culture a demandé à l’UNESCO de prendre des mesures urgentes pour protéger des dizaines de sites culturels libanais des frappes israéliennes ». C’est ce qu’elle a indiqué lors de sa participation à la Conférence de l’Union des archéologues arabes en mi-novembre. Selon elle, depuis des décennies, le Liban est victime de multiples invasions, guerres et actions militaires israéliennes, à commencer par le raid de 1968 sur l’aéroport international de Beyrouth, ou encore l’opération « Litani », l’invasion de 1982, l’opération « Raisins de la colère » en 1996 et la guerre de juillet 2006.
Anjar et Baalbek sont parmi les sites libanais menacés.
« La situation est particulièrement critique au Liban, où les frappes aériennes récentes ont gravement endommagé des sites historiques tels que le marché historique de la ville Nabatieh et le quartier de Saraya ou Al-Midan de l’époque ottomane », retrace l’archéologue libanaise, ajoutant que la forteresse antique Tebnine a été sur la ligne de feu d’Israël, ainsi que le site de Baalbek, inscrit sur la liste du patrimoine mondial, et le dôme de Douris remontant à l’ère ayyoubide. « Pour l’instant, un mur dans le périmètre de la citadelle de Baalbek a été endommagé et un bâtiment de l’époque ottomane, la Menchiyyé, entièrement détruit. Des bombardements massifs ont eu lieu à quelques mètres des sites plurimillénaires de Tyr. Les bombardements peuvent également mettre à mal les structures des sites à court, moyen ou long terme, à cause des secousses et des vibrations qu’ils occasionnent », assure Al-Masri.
A noter que le 6 novembre dernier, une frappe a touché au Liban le parking du temple romain de Baalbek, à quelques mètres seulement des ruines antiques classées au patrimoine mondial de l’humanité. Depuis fin octobre, la ville côtière de Tyr, dont plusieurs sites remontant à la civilisation phénicienne sont également classés par l’UNESCO, est également la cible de frappes israéliennes.
« L’Etat libanais a demandé à l’UNESCO une protection d’urgence selon le protocole mondial de 1999 pour ces 34 sites antiques de valeur », retrace Al-Masri. 100 députés libanais et 300 professionnels en archéologie, ainsi que la délégation libanaise à l’UNESCO ont tous envoyé des demandes à la présidente de l’organisation onusienne pour stopper l’agression israélienne au Liban. Un acte apprécié par Moustapha Adib, ambassadeur du Liban à l’UNESCO, qui a souligné l’importance de protéger ces trésors pour l’humanité. « Lors de la réunion de l’UNESCO du 18 novembre, un dossier technique qui remplit tous les critères demandés par le comité pour obtenir le statut de protection renforcée des sites a été présenté, ainsi qu’une demande de création d’un fonds d’urgence pour sécuriser quelques sites », déclare Adib, ajoutant que par cette pétition, « l’Etat libanais travaille à la reconstruction de son patrimoine endommagé ».
Hammam Al-Sammara (Bain des Samaritains) dans le quartier Zeitoun à la vieille Gaza a été touché par les frappes israéliennes.
Quelque 200 sites détruits à Gaza
Comme au Liban, en Palestine, les vestiges de Gaza et de la Cisjordanie sont en danger. Les conflits récurrents et les tensions politiques ont conduit à la destruction de nombreux sites historiques, mettant en péril l’identité culturelle de la région. « La bande de Gaza a perdu en 2024 environ 200 sites archéologiques qui remontent à l’Age du bronze, sur un total de 325, en raison des destructions systématiques et continues perpétrées par l’armée israélienne depuis l’opération dite Tempête d’Al-Aqsa, déclenchée le 7 octobre 2023 », a ainsi affirmé l’archéologue palestinienne Rawan Azmi Al-Shuokhy. Selon elle, des sources palestiniennes officielles et l’ONG israélienne Emek Shaveh, spécialisée dans les questions archéologiques, ont affirmé qu’Israël détruisait délibérément des centaines de sites archéologiques palestiniens afin d’éradiquer et de changer l’identité historique de Gaza. Les bombardements à Gaza ont ainsi réduit en cendre, en décembre 2023, la grande mosquée Omari, sanctuaire millénaire tour à tour lieu de culte chrétien et musulman.
L’école Kamilia, le palais Al-Basha, la mosquée Al-Zafran Damri, la mosquée Sayyid Hashim et bien d’autres sont également des exemples de sites antiques détruits par Israël, selon Al-Shuokhy. « Les sites chrétiens n’ont pas non plus été épargnés, avec la destruction de dizaines de sites religieux et archéologiques, tels que l’église Saint-Porphyre, le monastère Saint-Hilarion, l’église byzantine et le bain Al-Sammara. L’occupation n’a pas seulement exterminé les vivants, mais a également décidé d’exterminer les restes des morts dans les cimetières historiques, détruisant le sanctuaire Al-Khidr, le sanctuaire du prophète Joseph et le cimetière de Deir Al-Balah, l’un des plus importants cimetières archéologiques et historiques de Gaza datant de l’Age du bronze », se lamente l’archéologue palestinienne.
Le Soudan entre conflits et catastrophes naturelles
Le Soudan, quant à lui, fait face à une double menace : les conflits armés et les inondations répétées. Les sites archéologiques de Méroé et de Kerma sont particulièrement vulnérables, et les efforts de préservation sont souvent entravés par l’instabilité politique. La situation au Soudan, en proie depuis avril 2023 à un conflit entre l’armée régulière et les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR) qui a provoqué la mort de dizaines de milliers de Soudanais et déplacé plus de 11 millions de personnes, est également lourde de conséquences sur le patrimoine national. « Cette guerre a mis en évidence une attaque ciblée contre l’identité culturelle du Soudan, à travers la destruction systématique des sites archéologiques, des musées et de tout son patrimoine », a dénoncé la directrice des musées de l’Autorité nationale des antiquités du Soudan, Ikhlas Abdel-Latif, qui a souligné l’importance du bureau d’urgence du Caire, créé en juin 2023, un mois après le début de la guerre, pour le compte de l’Autorité soudanaise des antiquités, afin d’intervenir rapidement pour préserver le patrimoine soudanais menacé par « les ennemis ». D’après Abdel-Latif, « cette guerre a montré que le Soudan est ciblé dans son identité culturelle par la destruction des sites archéologiques, des musées et de tout ce qui concerne sa culture, son identité et son patrimoine ». Elle ajoute que le pays a été divisé en zones chaudes, sous contrôle ennemi, et zones sûres, éloignées des milices des FSR.
Le musée du Palais républicain de Khartoum et la cité antique de Méroé sont menacés par les combats au Soudan.
Le musée du Palais républicain de Khartoum et la cité antique de Méroé sont menacés par les combats au Soudan.
Les musées situés dans les zones sûres, tels que le musée de Damer, de Méroé et de Barkal, ont été documentés et leurs collections évacuées vers des lieux sûrs. Tandis que les musées situés dans les zones chaudes, comprenant la région du Darfour, à l’ouest du Soudan, celle de Guézira, au centre du Soudan, ou de Khartoum, sont toujours en danger et leurs pièces antiques ont été en grande partie pillées. « Depuis août 2023, le commerce des antiquités soudanises pillées sur les frontières ne cesse pas », affirme l’archéologue soudanaise. Et de conclure : « Il faut un plan détaillé pour la restauration des musées. Il est important aussi de créer une plateforme avec l’Union des archéologues arabes pour avertir des dangers du commerce des antiquités pillées en appelant les organisations internationales, telles que l’UNESCO et l’Interpol, à sauvegarder les biens culturels soudanais pillés par les milices armées ».
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