Ils sont des Soudanais ou des Palestiniens et ont trouvé refuge au Caire. Fuyant la guerre, ils arrivent démunis, sans rien. Commence alors une lutte pour trouver des solutions afin de survivre. Dès le début de leur séjour au Caire, ils cherchent tout ce qui peut les aider à mener une vie normale, d’abord louer un appartement puis acheter des meubles pas chers. « Nous avons profité du processus de recyclage des meubles pour acheter deux lits confortables et solides qui ne coûtent pas cher. C’était le choix idéal, car en cherchant dans les magasins de meubles, les prix étaient inaccessibles », raconte une maman palestinienne qui a préféré garder l’anonymat. Elle s’est contentée seulement de nous faire part de son admiration pour le projet Mobikya où le prix d’un lit ne dépasse pas les 4 000 L.E. Le lit de Mobikya est fabriqué à l’aide d’une palette en bois pour le transport de marchandises, ainsi que d’un tambour de machine à laver automatique servant de support de lit et il est attaché par les deux bouts à des pneus de voitures.
« Des lits, des chaises, des tables, des miroirs et toutes sortes d’objets d’ameublement et de décoration peuvent être fabriqués avec des résidus solides comme les pneus usagés et les déchets de bois. Il s’agit de trouver le moyen de réutiliser chaque matériau pour répondre aux besoins de chaque client », décrit Ibrahim Abougendy, architecte, mais le titre qu’il préfère partager est celui d’artiste et éco-designer respectueux de l’environnement.
C’est en 2017 qu’il a lancé, en fait, son projet Mobikya. Un projet basé sur le surcyclage (upcycling). Ibrahim Abougendy pense qu’il faut cesser de se débarrasser des pneus usés car brûler les pneus libère une quantité de polluants toxiques dans l’air dont beaucoup sont cancérogènes. Selon Abougendy, il faut éveiller les consciences et lutter contre cette pratique de brûlage des pneus qui est nocive pour la santé, car les citoyens doivent contribuer à protéger la planète. Son souci de préservation de l’environnement a commencé lorsqu’il était élève dans le cycle secondaire à Port-Saïd, sa ville natale. « A l’époque, je participais à une activité dépendant de l’initiative Globe. L’une des activités était de mesurer la concentration d’algues maritimes pour savoir à quel point la pollution a perturbé l’équilibre naturel dans les milieux marins », se souvient Abougendy. L’activité s’est transformée en une passion et est devenue ensuite sa profession. Plus tard, lors de ses études à l’Université américaine au Caire (AUC) et grâce à une bourse du programme de préparation de leadership, il s’est spécialisé dans la conservation et restauration de livres sur le patrimoine qui se trouvaient dans la bibliothèque de l’université.
Objectif : Zéro déchet
Pour ses objets design, Abougendy utilise des pneus de voitures, de camions et de bicyclettes. Dans son atelier à Al-Fostat, il ne jette rien, même pas les copeaux de bois, qu’il recolle sur les murs en créant des motifs uniques, et il utilise le reste de la peinture qui a servi à teindre les pneus pour atteindre l’objectif zéro déchet. Il a même transformé les caisses en plastique pour le stockage des bouteilles de boissons gazeuses en support de canapé, une surface sur laquelle il s’assoit pour créer et fabriquer ses objets design. Dans un autre coin au fond de son atelier, il prend place sur un siège fabriqué à partir de pneus pour exécuter le design en 3D sur son ordinateur.
« La forme circulaire et les couleurs attrayantes des canapés fabriqués avec les pneus attirent le regard des clients. L’attraction visuelle et le désir de posséder des objets en caoutchouc fabriqués avec des pneus se révèlent brusquement avant même la notion de protection de l’environnement et de la planète. La prise de conscience du changement climatique ne semble pas être une priorité pour certains, mais le fait de posséder de tels objets à la maison ou dans le jardin pourrait éveiller les consciences sur les risques écologiques qui menacent la planète », déclare Abougendy.
Dans ce contexte, lui et son équipe de travail ont créé une machine capable de couper un pneu en 3 secondes et sans polluer l’air. Par le biais de sa participation à des conférences et le contenu de son site web, Abougendy continue de faire la propagande du surcyclage. Une société de communication de renom à Smart Village a aménagé quelques salons à base de pneus de récupération comme coin pause-café pour ses employés. Une autre a fabriqué des bureaux et des chaises fabriqués à partir de palettes en bois conçus pour le stockage des marchandises. « Nous voulons réduire notre empreinte carbone comme cela a été recommandé lors de la COP27 à Charm Al-Cheikh. Le fait de réutiliser certains matériaux usagés nous évite de gaspiller la matière première », souligne Radwa, responsable de la communication et des relations publiques.
D’un autre côté, Abougendy a construit les locaux de la Foire des fabricants du Caire (Maker Fair Cairo) en utilisant 500 vieux barils de pétrole, et ce, pour fabriquer les portails, le bureau de renseignement et la grande structure artistique de 12,5 mètres de hauteur qui se dresse à l’entrée de la foire des commerçants et artisans.
Abougendy espère former des designers et une main-d’oeuvre pour arriver à une production de masse et réduire le coût final du meuble recyclé. En fait, l’upcycling, également connu sous le nom de réutilisation créative, est le processus de transformation de sous-produits, de déchets, de produits inutiles ou indésirables en nouveaux matériaux ou produits perçus comme étant de meilleure qualité, tels que la valeur artistique ou la valeur environnementale. Connue pour la première fois en 1994, cette pratique commence à gagner de l’ampleur en Egypte.
Des idées créatives pour transformer les vieux pneus en meubles utiles.
Des matériaux à utiliser et réutiliser
Gezazy est un autre projet familial écologique qui consiste à réutiliser du vieux bois et du verre pour rénover et donner une seconde vie à des meubles abîmés. « On cherche partout pour acheter du bois déjà utilisé à d’autres fins, soit chez les commerçants ou dans les ventes aux enchères. On doit s’assurer que ce bois est solide, qu’il ne renferme pas de termites et que les veines apparaissent nettement. On adapte les pièces selon la demande des clients afin de leur offrir des pièces uniques et durables », souligne Moustafa Abdel Magued, propriétaire du projet Gezazy. Moustafa et sa femme Asmaa déclarent qu’avant le lancement de leur projet, il y a une dizaine d’années, personne n’avait appuyé leur mission de bénévolat pour protéger les arbres contre l’abattage et sensibiliser les gens à réutiliser le vieux bois pour préserver les forêts. « Nous étions des bénévoles dans des associations civiles et notre mission était de défendre la cause de l’environnement. Nous avons rencontré toutes les tranches d’âges et nous leur avions expliqué l’importance des espaces verts pour atténuer l’impact de la pollution », précise Asmaa, qui explique qu’auparavant, les nouveaux couples et leurs familles étaient très réticents quant à l’idée d’intégrer des meubles anciens à leur intérieur. Pourtant, un vieux meuble ou des planches de bois ancien passent par divers processus pour donner une seconde vie à la pièce désirée. « L’intervention technique dans le bois est délicate afin de garder son aspect naturel, alors que les bouteilles en verre passent par plusieurs étapes comme le lavage, le découpage et le lissage, afin de profiter de toutes les parties de ces bouteilles », précise Moustafa. Il dit qu’une bouteille en verre pourrait se transformer en cendrier, en bougeoir, en lampadaire, en lustre et d’autres formes encore.
« Dans ma villa à la Côte-Nord, j’ai construit un mur avec des résidus de verre qui font entrer la lumière naturelle et dont la couleur verdâtre protège des regards », raconte Iman, cliente de Gezazy. Une tendance qui doit gagner du terrain afin de stopper cette consommation excessive du bois dans la planète. Aujourd’hui, les chiffres de déforestation ont connu une baisse. D’après l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 10 millions d’hectares de forêts par an ont été perdus entre 2015 et 2020, alors que dans les années 1990, la perte était de 16 millions d’hectares par an. « On espère favoriser le recyclage tout en mettant les gens en garde contre l’exploitation abusive des forêts, et ce, afin d’atténuer les effets du changement climatique », conclut Abdel Magued.
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