Al-Ahram Hebdo : Lors de la séance inaugurale de la COP29, les règles régissant le marché du carbone supervisé par l’ONU ont été adoptées. Qu’est-ce que le marché des crédits carbone ?
Ahmed Sultan : Un Crédit Carbone (CC) est un permis fourni aux pays ou aux entreprises d’émettre une quantité spécifique de dioxyde de carbone (CO2) ou d’autres Gaz à Effet de Serre (GES). Chaque crédit autorise l’émission dans l’atmosphère d’une tonne métrique de CO2 ou d’une quantité équivalente de GES. Ces unités donnent aux pays ou aux entreprises des limites d’émission à ne pas franchir. Les entreprises peuvent obtenir des crédits en réduisant leurs émissions en dessous d’un seuil déterminé. Il est également possible d’acheter des crédits carbone d’entreprises qui n’ont pas utilisé la totalité de leurs crédits. Ces crédits sont considérés comme un outil pour atténuer les effets du changement climatique et constituent un moyen pour financer l’action climatique.
— Quelles sont les nouvelles règles adoptées durant la COP29 ?
— Lors de la COP29, un accord a été trouvé pour améliorer le système des crédits. Au coeur de ces règles figurent les mécanismes de transparence, un élément-clé de la mise en oeuvre des crédits carbone. Un examen international indépendant des projets de crédits carbone sera effectué pour garantir que les projets bénéficiant de ces crédits réalisent de véritables réductions d’émissions. Les pays devront soumettre des rapports annuels sur l’avancement de leurs projets de réduction d’émissions couverts par les crédits carbone. Des fonds spéciaux ont été alloués à des projets verts dans les pays en développement, afin de renforcer leur engagement à réduire les émissions sans affecter leur développement économique. Il a été aussi décidé d’encourager la participation du secteur privé au financement des projets de réduction des émissions carbone en créant des incitations économiques pour attirer les investissements dans ce domaine.
— Le système des crédits carbone favorise-t-il les pays industrialisés et polluants ?
— Si la version finale adoptée à la COP29 inclut des mécanismes visant à renforcer la transparence et la surveillance des marchés de carbone, des inquiétudes subsistent quant à leur efficacité pour prévenir les manipulations potentielles et garantir le respect des droits de l’homme et de la justice environnementale. Oui, le marché de carbone peut dans certains cas favoriser les pays industrialisés et les grandes entreprises polluantes, et c’est là l’une des principales critiques adressées au mécanisme des marchés carbone en général. L’idée de base de ce mécanisme est que les pays et les entreprises qui ont des difficultés à réduire de manière significative leurs émissions peuvent acheter des crédits carbone auprès de pays qui parviennent à réduire leurs émissions, comme les pays en développement.
Bien que les marchés carbone offrent des opportunités, ils peuvent paradoxalement accentuer l’injustice climatique en transférant le fardeau de la réduction des émissions vers les pays en développement, qui subissent déjà les dommages du changement climatique. La transparence, la surveillance stricte et la vérification de l’efficacité des projets peuvent réduire ces risques. Mais il est urgent de trouver des mécanismes qui garantissent la justice environnementale et protègent les pays en développement contre les impacts négatifs du changement climatique.
— Pourquoi a-t-il fallu attendre la COP29, soit plus de 25 ans, pour que les pays membres mettent en oeuvre les crédits carbone ?
— Le retard dans la mise en oeuvre des crédits carbone jusqu’à la COP29 était le résultat d’une série de défis techniques, politiques et économiques qui ont nécessité beaucoup de temps pour être résolus. L’une des principales difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des crédits carbone concerne l’établissement de mécanismes transparents, efficaces et équitables pour garantir que les pays et les entreprises qui bénéficient des mécanismes visant à réduire les émissions ne contribuent pas au « carbon washing ».
D’autre part, les négociations entre les principaux pays sur la manière de distribuer les crédits carbone, les bénéficiaires et les normes ont été très compliquées. De nombreux experts et observateurs ont mis en garde contre la possibilité de pratiques déloyales, c’est-à-dire que des pays ou des entreprises prétendent avoir réduit leurs émissions en achetant des crédits carbone, mais sans qu’il y ait de réels changements sur le terrain. On a essayé de développer des procédures de contrôle strictes, afin de garantir la transparence et l’absence de toute manipulation ou fraude dans les opérations d’échange des crédits carbone. Par ailleurs, la mise en oeuvre de crédits carbone nécessite des investissements importants dans de nouvelles infrastructures et des technologies innovantes, ainsi qu’une coordination mondiale entre les différents marchés. Certains pays ont besoin de financement et de soutien technique pour mettre en oeuvre efficacement ces mécanismes, surtout les pays en développement qui comptent sur ces mécanismes pour réaliser leurs objectifs climatiques.
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