Le géant de la littérature latino-américaine, le Nobel Gabriel Garcia Marquez, est mort d’une pneumonie à l’âge de 87 ans, chez lui à Mexico, la semaine dernière. Romancier, écrivain, journaliste, et avant tout Sud-Américain engagé, le Colombien Gabriel Garcia Marquez portait le jour où il a reçu le prix Nobel de littérature en 1982, un liquiliqui blanc, cet habit traditionnel transnational paysan sud-américain, illustrant bien sa représentation de tout un continent.
L’homme qui a mis sa vie entre parenthèses pour soutenir Allende au Chili, et qui a été un fidèle des fidèles de Fidel Castro et de la Révolution cubaine, a été, peut-être, influencé par les contes des exploits de son grand-père haut gradé dans l’armée régulière des conservateurs, pendant la guerre civile colombienne de 1 000 jours, qui s’est soldée malgré la victoire des conservateurs contre les libéraux par la création de la République du Panama. Situation qui servit les intérêts des Gringos (le nom donné aux Américains du sud par ceux du nord), qui pensaient pouvoir facilement réussir où De Lesseps avait échoué. Les atrocités de cette guerre, qui a vu pour la première fois des enfants soldats, a fortement marqué la totalité de l’oeuvre de Marquez. Enfant, il a entendu les détails de cette guerre racontés par son grand-père, un maréchal qui y a participé. L’oeuvre de « Gabo », comme Garcia Marquez était surnommé, peut se résumer à un prolongement de la réponse du chef de la tribu Seattle, à la demande des Nord-Américains d’acheter des terres. Une réponse-texte poétique et rhétorique d’un chef politique qui est un chef-d’oeuvre de résistance pacifique. Marquez est une extension naturelle de ce texte. Gabo, volontairement ou pas, a mis du talent, de l’amour, de l’humanisme qui lui sont propres, avec beaucoup d’innovations de moyens et techniques littéraires libérant les esprits en créant l’imaginaire, sur fond de réel notamment des traditions et conflits du continent sud-américain, durant toute sa vie et son oeuvre.
Cent ans de solitude, qui a été jugé par l’illustre poète chilien Pablo Neruda comme le roman hispanophone le plus important et le plus merveilleux depuis Le Don Quichotte de la Mancha de Cervantes, et qui traite de l’histoire d’une famille sur 6 générations, a permis à Marquez d’illustrer un mariage réussi entre le réel, l’imaginaire et le symbolique dans le monde de la littérature. Le réalisme magique pourrait être défini, par Marquez lui-même, comme une hypnose pour faire croire au lecteur l’unité narrative de ses composantes contradictoires.
« Pas le fruit de l’imagination »
Même si l’Afrique d’aujourd’hui propose également par endroit un contexte politique surréaliste, les Amériques représentent depuis la découverte de Colomb et durant toute leur histoire des récits de la littérature populaire qui plongent dans le fantastique. « Ce n’est pas le fruit de l’imagination du Colombien Gabriel Garcia Marquez. Le massacre d’environ 1 500 ouvriers, le 6 décembre 1928, et la répression qui s’ensuivit pendant trois semaines, qu’il raconte dans son roman Cent ans de solitude, eurent bien lieu. Il se déroula dans les plantations bananières de la société américaine United Fruit, sur la côte caraïbe colombienne », rappelle Hernando Calvo Ospina au Monde Diplomatique en 2010.
Sur fond d’épidémie du choléra, le sida des siècles passés, cinquante ans d’amour platonique enchantent les rêveurs hypnotisés par cette passion obsessionnelle qui s’étale dans le temps. A chacun sa technique d’hypnose, le Mexicain Carlos Fuentes dans Terra nostra, publié en 1975, débute le roman en l’an 2000, pour retracer des découvertes des nouvelles terres par une Espagne d’un monde étrangement semblable à celui de Christophe Colomb. Marquez s’appuie sur l’historique et le politique, même dans l’achronie, comme repère à la réalité du monde. Gabo semble préférer le Minotaure, la mythologie, les personnages fantastiques à moitié humain, moitié animal au détriment d’une vision futuriste de la science-fiction, ou de l’univers futuriste d’un Fuentes.
Les écrivains et artistes égyptiens ont largement puisé dans le réalisme magique. Youssef Chahine, dans sa triologie sur Alexandrie, Le 6e Jour, ou encore Le Destin, a eu recours à des scènes qui invitent le surnaturel au coeur du quotidien. Le critique et écrivain Ammar Ali Hassan, qui a lui aussi utilisé le réalisme magique dans son Chagaret Al-Abed (l’arbre de l’adorateur), explique : « On retrouve le réalisme magique au niveau de l’imaginaire dans les contes des Béni-Hilal et dans le soufisme ». Mais le géant des lettres sud-américain qui a débuté sa carrière comme correspondant pour un journal colombien à Paris, Rome et Genève, a illustré dans Chronique d’une mort annoncée ce qui dépasse la réalité des crimes d’honneur à l’égyptienne. L’écrivain, avec son grand sens de l’humour que l’on peut qualifier de rigoureux, est parti. Gabo est, était et restera le plus grand auteur de l’amour et de la magie.
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