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Redonner vie à une mère disparue

May Sélim , Mercredi, 13 novembre 2024

Le monodrame Face à la mère, écrit et interprété par Jean-René Lemoine, mis en scène par Guy Cassiers, a été donné au Caire dans le cadre de la 12e édition du Festival D-CAF. Il est en tournée dans plusieurs villes en France jusqu’au mois de mai prochain.

Redonner vie à une mère disparue
Lemoine devant la photo de sa mère, encore jeune. (Photo : Moustafa Abdel-Aty)

Ce n’est plus un désir impossible, ce n’est plus un rêve ! Jean-René Lemoine réussit par son texte Face à la mère, écrit entre 2005 et 2006, à retrouver sa mère morte et à se réconcilier avec elle. Ce monodrame mis en scène par le Belge Guy Cassiers a été donné lors du spectacle D-Caf qui vient de prendre fin. Il évoque de manière touchante la relation bouleversante et conflictuelle entre Lemoine et sa mère, originaire d’Haïti.

Partant d’un incident pénible, qui est l’assassinat de la mère dans sa maison par des voleurs, Lemoine reste figé dans un instant douloureux. Il raconte d’abord sur un ton indifférent qu’il était en répétition lorsqu’il a appris la nouvelle : le coup de fil de sa soeur, l’arrivée dans son pays natal, les funérailles, le cercueil de la maman. « Le texte fut écrit par Lemoine à la suite du meurtre de sa mère à Haïti et a été ensuite donné sur les planches dans sa propre mise en scène. Lemoine est un auteur, metteur en scène et comédien. Le texte a été rédigé en tant que roman en 2006. 18 ans après, la directrice du théâtre MC 93 à Paris, Hortense Archambault, m’a conseillé de le lire, afin de l’approcher dans une nouvelle production, à la demande de Lemoine », avance le metteur en scène Guy Cassiers, qui s’est mis d’accord avec l’auteur de rejouer son texte sur scène, à nouveau. « Je n’ai pas eu l’occasion de voir la première version. Et nous avons travaillé ensemble pendant trois jours à Anvers pour mesurer les limites de l’un et de l’autre. J’ai décidé de garder quelques extraits du texte dont la force réside en l’amour entre la mère et le fils, qui aide à surmonter les pires situations. Ensuite, le metteur en scène Ahmed Al-Attar a lu cette nouvelle version et a voulu la présenter au Festival D-CAF », ajoute-t-il, précisant que le spectacle de cette nouvelle version a vu le jour en octobre dernier à Bobiny, en France.

Pendant une heure et demie, Lemoine est seul sur les planches dans le noir, dans un espace scénique de forme carrée. Derrière lui, sur un écran est projetée sa propre image, parfois un peu floue et fantomatique, parfois disproportionnée, etc. Toujours sur ce même écran défilent des images qui traduisent son déchirement et son oscillation entre deuil, tristesse et souvenirs lointains. Le metteur en scène insiste sur quelques mots-clés tirés du long monologue interprété par Lemoine, en les reprenant sur l’écran, et le comédien, toujours dans le noir, ne cesse de les marteler.

Une histoire universelle

L’éclairage sombre et le son, à peine perceptible, contribuent à révéler l’état d’âme du personnage affligé par la mort de sa mère. Par sa mise en scène, Cassiers réussit à nous transposer d’un lieu à l’autre, d’un temps à l’autre, d’une phase à l’autre, sans que le comédien ne change de position. Lemoine attire l’attention par une belle performance : il manipule sa voix, son souffle, sa gestuelle, les grimaces du visage, le mouvement des lèvres et de la tête. « L’histoire que Lemoine raconte est si spécifique et, en même temps, elle est universelle. Chacun peut s’y identifier. C’est une histoire de famille, de relation entre les générations … Même dans la vie d’un nomade, d’un réfugié et dans les circonstances les plus difficiles, la force de la famille aide à trouver des solutions. Les circonstances pénibles dont souffrent les citoyens de Haïti ne diffèrent pas de ce qui se passe au Liban ou en Ukraine. Au niveau de la mise en scène, ce qui compte pour moi est que Lemoine ne joue pas ici sa propre vie. Il est plutôt un guide pour le spectateur afin de générer des idées et des images. Il n’est pas là pour imposer son trauma. Le spectateur a la possibilité d’avoir sa propre interprétation », souligne le metteur en scène.

Sur scène, Lemoine tient le rôle du narrateur, ensuite celui de l’enfant qui se rappelle ses souvenirs en Afrique, puis l’adolescent qui s’est trouvé avec sa mère et sa soeur, loin de son père. La mère a décidé de quitter son pays afin de protéger ses enfants de la violence et de la sauvagerie. La France était une meilleure destination à ses yeux, lui permettant d’assurer de meilleures études pour ses enfants. Lemoine adopte une voix propre à chaque phase qu’il traverse. Car il s’agit d’un texte polyphonique à différentes voix, sans trop forcer.

Furieux, le jeune homme s’éloigne de sa mère. Cette femme âgée n’a qu’à retourner à sa terre d’origine parce que sa mission est déjà accomplie. Lemoine évoque tant de non-dits, des sentiments refoulés entre mère et fils.

A la fin du monodrame, le fils finit par redécouvrir sa mère, si forte et si patriarcale. Son image est désormais plus claire, plus belle ; elle se détache en noir et blanc sur l’écran. Lemoine la prie de s’éloigner définitivement.

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