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Kristalina Georgieva : L’Egypte a été en mesure de consolider son économie malgré un contexte régional difficile

Sara Al-Essawi , Mercredi, 06 novembre 2024

En visite cette semaine en Egypte, la directrice du Fonds Monétaire International (FMI), Kristalina Georgieva, revient sur le programme de réforme économique égyptien. Entretien.

Kristalina Georgieva

Al-Ahram Hebdo : Qu’attendez-vous de votre visite en Egypte ?

Kristalina Georgieva : Un séjour en Egypte permet toujours de tirer des enseignements précieux et d’aborder des questions d’actualité pour le pays, la région et le monde. La dernière fois, j’ai eu le plaisir de participer aux discussions sur le changement climatique lors de la COP27 de 2022.

Mais ma visite actuelle intervient à un moment difficile pour le pays et pour la région en général. Les conflits qui secouent la région font payer un très lourd tribut humanitaire et causent d’énormes dégâts aux infrastructures. Les répercussions se font sentir dans de nombreux pays et affectent fortement la population et l’économie. Je suis de tout coeur avec tous ceux qui subissent les effets désastreux des combats.

L’objectif de ma visite est d’examiner les défis économiques auxquels sont confrontés l’Egypte et les autres pays de la région, ainsi que de parler d’approches qui permettraient de débloquer l’énorme potentiel égyptien. Par ailleurs, j’espère recueillir des avis sur la manière dont le FMI peut continuer à servir et à soutenir l’Egypte. Nous savons que, dans un monde en mutation rapide, les besoins de nos pays membres évoluent. C’est pourquoi nous nous adaptons en permanence pour répondre à ces besoins.

Comme vous le savez, le FMI a renforcé son appui à l’Egypte au cours des dernières années au vu des chocs multiples, dont le conflit dans la région, que le pays a subis. En mars, le programme actuel a été porté de 3 à 8 milliards de dollars pour contribuer à la stabilisation de l’économie égyptienne et la mettre sur la voie de la croissance et de la résilience.

— Vous venez de tenir vos assemblées annuelles, où il a été fait état d’un endettement élevé et d’une croissance faible. Qu’est-ce que cela signifie pour l’Egypte ?

— Pour tous les pays, y compris l’Egypte, la combinaison d’une faible croissance et d’une dette élevée est implacable. Une croissance mondiale faible, de l’ordre de 3,1 % à moyen terme selon les prévisions, ne suffira pas à éradiquer la pauvreté, à créer des emplois indispensables et à réaliser des investissements adéquats dans l’infrastructure et dans la lutte contre le changement climatique.

En ce qui concerne la politique budgétaire menée par l’Egypte, il convient de maintenir la discipline et la transparence, tout en assurant un niveau adéquat de dépenses de protection sociale. Un meilleur recouvrement des recettes fiscales sera essentiel pour soutenir cet effort, en permettant de dégager une marge de manoeuvre pour les dépenses prioritaires et pour une aide ciblée en faveur des plus vulnérables. Les recettes provenant des cessions en cours d’actifs de l’Etat contribueront à réduire davantage la dette publique.

La clé d’une croissance économique qui profite à tous les Egyptiens réside dans le déploiement des réformes nécessaires. Il est primordial de prendre des mesures permettant de faire bénéficier la population des transitions verte et numérique, d’améliorer la concurrence et l’allocation des ressources, afin de créer de meilleurs emplois, de réduire les inégalités et d’attirer davantage d’investissements privés en Egypte. Le moment est venu de mettre ces mesures en oeuvre.

— Le FMI vient d’annoncer des réformes concernant les commissions additionnelles, afin de réduire la charge du remboursement des prêts. Quels en seraient les avantages pour les pays émergents, en particulier pour l’Egypte, et pour la région ?

— Face à la succession de crises qui secouent l’économie mondiale, un nombre record de pays ont eu recours aux prêts du FMI. Cependant, avec la forte hausse des taux d’intérêt mondiaux, le coût de l’emprunt a lui aussi augmenté.

C’est ce qui a incité le FMI à revoir sa politique en matière de commissions et de commissions additionnelles. Il s’agissait de trouver comment réduire le coût de l’emprunt pour les pays qui en ont besoin, tout en préservant la solidité financière qui nous permet d’être au service de nos Etats membres.

Les nouvelles réformes annoncées il y a quelques semaines ont été approuvées à l’unanimité par notre conseil d’administration. Elles devraient permettre d’abaisser les coûts de l’emprunt, compte tenu de la marge du taux de commissions et de commissions additionnelles, d’environ 1,2 milliard de dollars par an, soit une réduction de 36 %.

Pour l’Egypte, la modification du régime de commissions et de commissions additionnelles se traduira par une réduction de près de 800 millions de dollars jusqu’à la fin de la décennie. Il s’agit d’un allégement significatif pour le pays, et je ne doute pas que les ressources seront utilisées à bon escient pour répondre aux besoins prioritaires.

— Nous sommes presque à mi-parcours du programme. Comment évaluez-vous les progrès et les engagements de l’Egypte par rapport aux objectifs quantitatifs, compte tenu du contexte ?

— L’Egypte a avancé dans son programme de réformes économiques malgré les conditions très difficiles dans la région. Permettez-moi de mentionner quelques éléments importants.

Tout d’abord, si l’inflation reste élevée, le pic a été atteint. Ensuite, la monnaie a connu une période de dépréciation, mais les pénuries généralisées et la spéculation sont aussi derrière nous. Enfin, l’investissement considérable dans le projet de Ras Al-Hikma témoigne de la possibilité de susciter un vif intérêt pour le développement du pays. L’utilisation prudente d’une grande partie de ces recettes a été bénéfique : les réserves ont nettement augmenté et l’endettement a diminué.

L’Egypte a été en mesure de consolider certains de ses indicateurs économiques en dépit d’un contexte régional difficile. Nous espérons que les choses continueront à évoluer dans ce sens et que d’autres domaines connaîtront les mêmes progrès, notamment les réformes structurelles durables.

— Quelle sera, selon vous, l’incidence des problèmes extérieurs sur l’Egypte et sur sa capacité à procéder à des réformes ?

— Le conflit qui frappe la région est catastrophique d’un point de vue humanitaire et désastreux sur le plan économique, en particulier pour les pays au coeur du conflit, mais aussi pour les pays voisins, comme l’Egypte. La perturbation des échanges commerciaux par la mer Rouge affecte les opérations et les revenus liés au Canal de Suez. Les revenus tirés du Canal de Suez ont diminué de 70 % par rapport aux niveaux enregistrés avant le conflit, compromettant ainsi les entrées de devises, les recettes budgétaires et la croissance.

Mais c’est précisément à cause de ces difficultés qu’il est nécessaire d’avancer dans les réformes pour tirer parti de nouvelles sources de croissance. Ainsi, améliorer le climat des affaires peut contribuer à attirer davantage d’investissements privés. Imaginez des délais plus rapides pour la création d’entreprises, une plus grande transparence, une réduction des contraintes réglementaires, un accès accru au financement et des systèmes numérisés de paiement de l’impôt.

— Le FMI incite vivement l’Egypte à maintenir un régime de taux de change flexible et un système de change libéralisé, afin d’éviter l’accumulation de déséquilibres extérieurs. Qu’est-ce que cela implique pour la livre égyptienne ?

— La flexibilité du taux de change a pour finalité de protéger l’économie égyptienne contre les chocs extérieurs et de faire en sorte que les devises étrangères soient disponibles pour tout le monde au même prix. Dans un système où le prix s’ajuste en fonction de l’offre et de la demande, il n’y a pas de pénurie et le taux de change varie à la hausse et à la baisse en réponse aux fluctuations de l’offre et de la demande.

C’est à l’opposé d’un système où lorsque le taux de change est maintenu stable, les déséquilibres commencent à s’accumuler, ce qui aboutit à une forte dépréciation. Il en résulte, comme nous l’avons vu en Egypte par le passé, l’émergence d’un marché parallèle qui complique l’accès aux devises et crée des distorsions. Chacun cherche à obtenir des dollars, souvent à un prix élevé. Les incitations à investir dans la capacité de production de l’économie sont faibles. C’est précisément ce que nous voulons éviter, et c’est pourquoi nous conseillons de maintenir un régime de taux de change flexible et un système de change libéralisé.

— Nous assistons à une baisse régulière de l’inflation au niveau mondial, mais elle reste élevée dans certains pays de la région, dont l’Egypte. Comment l’Egypte peut-elle atténuer les effets des différentes réformes sur l’inflation et l’augmentation du coût de la vie ?

— En effet, la grande vague mondiale d’inflation est en train de refluer. C’est pour de nombreux pays le signe qu’il faut commencer à changer de braquet en matière de politique monétaire. Mais dans les pays où l’inflation est encore élevée, comme l’Egypte, sa réduction reste prioritaire.

Pour cette raison, la décision de la Banque Centrale d’Egypte (BCE) de resserrer sa politique monétaire et de rester prudente quant à l’amorce d’un cycle d’assouplissement est appropriée. Si l’inflation ne baisse pas comme prévu, il sera important d’en comprendre les raisons et d’agir rapidement pour y parvenir.

— A quelles réformes urgentes l’Egypte devrait-elle s’atteler en priorité dans les mois à venir, afin de définir des attentes réalistes ? Quel devrait être le profil de l’économie égyptienne à la fin du programme, en 2026, et quelles actions devraient être mises en oeuvre à cette date ?

— Permettez-moi de souligner trois priorités pour l’économie égyptienne en 2026. Premièrement, une baisse de l’inflation. L’inflation élevée érode le pouvoir d’achat des Egyptiens.

Deuxièmement, une réduction de la dette. Comme beaucoup d’autres pays, l’Egypte doit faire face à des besoins croissants en matière de dépenses, notamment pour la santé, l’éducation, les dispositifs de protection sociale, la transition écologique et la transformation numérique. Et comme nous l’avons vu ces dernières années, nous vivons dans un monde en proie à de multiples chocs. Il sera essentiel de dégager une marge de manoeuvre budgétaire pour renforcer la résilience face aux chocs futurs et investir dans l’avenir des Egyptiens.

Troisièmement, la mise en place de conditions propices à une croissance plus élevée. Grâce à des conditions de concurrence équitables, le secteur privé peut contribuer à stimuler la productivité, un facteur-clé pour soutenir la croissance et créer des emplois de qualité.

J’ai bon espoir qu’en prenant les bonnes mesures, cette vision de l’économie égyptienne en 2026 pourra être réalisée.

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