De son côté, le président chinois, Xi Jinping, a confirmé à la veille de la rencontre le rôle des BRICS en tant que « pilier » dans la promotion d’un monde multipolaire. L’un et l’autre sont les plus fervents partisans d’une alternative à l’ordre mondial dominé par les Etats-Unis et leurs alliés européens.
Initialement composé de cinq économies émergentes, la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, le groupe s’est élargi à partir de janvier dernier à quatre nouveaux membres, l’Egypte, l’Iran, les Emirats arabes unis et l’Ethiopie, et devient BRICS+. Avec cette expansion, le bloc représente près de la moitié de la population mondiale, 35 % du PIB mondial et 40 % du commerce international. L’élargissement a été principalement stimulé par la Chine, qui souhaite accroître son influence mondiale face aux Etats-Unis. Idem pour la Russie qui, croulant sous le poids des sanctions occidentales, voulait briser l’isolement que l’Occident cherche à lui imposer. Toutes deux ont poussé à l’élargissement afin de renforcer le bloc comme contrepoids au Groupe des 7 (Etats-Unis, Allemagne, Japon, Royaume-Uni, France, Italie, Canada), ainsi qu’à d’autres institutions dirigées par l’Occident et comme alternative à l’ordre mondial libéral dirigé par les Etats-Unis.
L’élargissement s’inscrit dans le même objectif de restructuration d’un ordre mondial que la Chine et la Russie considèrent comme dépassé, ne reflétant pas l’existence des puissances émergentes. Plusieurs autres pays souhaitent rejoindre le groupe qui, espèrent-ils, pourra changer les règles du jeu mondial, dominé par l’Occident. L’élargissement ajoute un poids économique et géopolitique aux BRICS et renforce leur ambition déclarée de devenir le porte-drapeau des pays du « Sud global », terme désignant les pays en développement dont beaucoup se sentent injustement traités par les institutions monétaires internationales contrôlées par l’Occident.
Dans ce sens, les BRICS cherchent à développer un mouvement vers un monde multipolaire et à affaiblir l’hégémonie des Etats-Unis, telle qu’exercée par des structures comme le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM). C’est pour cette raison que le groupe a créé en 2015 la Nouvelle Banque de développement, dont le siège est à Shanghai, comme alternative aux institutions de Bretton Woods. Les pays en développement qui ont rejoint le groupe, et ceux qui souhaitent le faire, considèrent cette banque comme moins exigeante. Elle a accordé des milliards de dollars de prêts et permet des remboursements en monnaie locale. Ils considèrent également les BRICS comme une assurance géopolitique face à un monde en mutation et une couverture contre l’imprévisibilité de la politique extérieure des Etats-Unis.
Les promesses des BRICS de défendre les intérêts du Sud s’inscrivent dans un changement d’orientation du groupe — voulu par la Russie et la Chine — de l’économie à la géopolitique. A l’origine, les BRICS étaient regroupés autour des questions de finance, de développement et de commerce. Mais le bloc a évolué pour symboliser les intérêts des nations émergentes face à un Occident hégémonique. Ce développement a été accéléré par l’apparition d’âpres rivalités stratégiques au niveau mondial et d’une multipolarité croissante. Ainsi, Pékin a invoqué les menaces d’une nouvelle guerre froide avec Washington pour justifier l’élargissement du bloc. Pour Moscou, le groupe est un forum pour défier l’Occident qui cherche à isoler la Russie en raison de son invasion de l’Ukraine. Quant aux puissances moyennes qui ont rejoint ou souhaitent rejoindre les BRICS, leur adhésion leur apporte des avantages économiques évidents, tels que des investissements et des transactions commerciales en monnaies locales, un accès plus facile à la technologie. Cela leur offre également un espace pour accroître leur influence internationale, en particulier face à l’Occident.
Toutefois, l’un des principaux obstacles qui se dressent sur le chemin de la réalisation des objectifs du groupe des BRICS et de sa cohésion est celui de la rivalité entre deux poids lourds du groupe, la Chine et l’Inde, respectivement deuxième et cinquième puissances économiques au monde. La rivalité Chine-Inde est principalement due à un conflit territorial sur la souveraineté de plusieurs régions situées sur la frontière commune. Elle a donné lieu à des affrontements armés dont le dernier date de 2020. Mais ce clivage s’étend à la compétition géopolitique entre les deux grandes puissances. D’un côté, la Chine, soutenue par la Russie, a exprimé de fortes positions anti-occidentales. En revanche, l’Inde est le seul membre des BRICS à renforcer ses liens stratégiques avec l’Occident tout en maintenant des relations tendues avec la Chine. Elle fait partie du Quad, un partenariat de sécurité avec les Etats-Unis, l’Australie et le Japon, dont l’objectif est de contrer la Chine dans l’Indo-Pacifique. A l’instar de la Chine, l’Inde revendique le leadership des pays du Sud, mais contrairement à Pékin, elle reste fermement non alignée et ne souhaite pas que les BRICS deviennent un bloc explicitement anti-occidental ; le but étant d’éviter de remplacer l’hégémonie américaine par celle de la Chine voisine.
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