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Ces filles à fleur de peau

Dina Darwich , Mercredi, 23 octobre 2024

C’est un constat connu, les femmes sont plus sujettes aux maux psychologiques que les hommes. Un écart qui se creuse encore plus chez les ados, notamment en raison de la pression des réseaux sociaux et de la persistance du sexisme. Focus à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale et de la Journée de la fille.

Ces filles à fleur de peau

Les filles souffrent plus des troubles mentaux que leurs homologues du sexe fort. Une vérité prouvée par le dernier rapport de l’UNICEF qui a choisi comme thème cette année : la santé mentale de la fille. Elles sont plus exposées à la violence sexuelle et sexiste plus que les garçons, ce qui affecte leur bien-être. Certains troubles comme l’anxiété, la dépression, les troubles de l’alimentation, l’automutilation, etc., touchent plus les filles. A l’échelle mondiale, on estime qu’une personne sur sept (14 %) âgée de 10 à 19 ans souffre d’un trouble mental, mais ces troubles restent largement méconnus et non traités.

A l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale (10 octobre) et de la Journée internationale de la fille (11 octobre), l’UNICEF alerte sur la nécessité de prendre en compte les besoins spécifiques des filles dans les dispositifs de prise en charge de santé mentale, d’autant que ces mesures médicales et sociales demeurent insuffisantes, voire discriminatoires.

« Les filles sont généralement plus sensibles et plus émotionnelles. Elles accordent plus d’importance à l’apparence physique, ce qui les expose plus facilement au bullying (harcèlement) plus que leurs homologues masculins, surtout que les réseaux sociaux font sans cesse circuler l’image d’une beauté parfaite et d’une ligne idéale », estime Nihal Lotfy, professeure de psychologie pédagogique à l’Université du Canal de Suez. Selon elle, les examens qui tentent de mesurer les troubles mentaux (anxiété, dépression, trouble d’alimentation, etc.) affichent des chiffres plus élevés chez les filles que chez les garçons.

L’adolescence, période de tous les excès

En effet, l’adolescence est une période unique, formatrice et transitoire. Une période de changements physiques, émotionnels et sociaux. Les filles en particulier se retrouvent dans des cercles vicieux, source de pressions psychologiques : le diktat de l’apparence, les pressions liées à la scolarité, les histoires et les chagrins d’amour, les contraintes sociales, la sensibilité excessive, les conflits parentaux et parfois la faible estime de soi sont autant d’éléments déclencheurs. Sans compter la pression exercée par les amis ou ce que l’on appelle « l’influence des pairs ».

« Je trouvais beaucoup de difficultés à m’intégrer dans un groupe. Il y a toujours les leaders et celles qui suivent. Moi, il m’était difficile de me soumettre et de faire partie du troupeau, raison pour laquelle je me suis trouvée toujours seule, rejetée. Les choses ont empiré après le divorce de mes parents. La solitude m’a hantée, et ce sentiment de rejet pesait sur moi », raconte Lili, 16 ans, qui, après de bons résultats scolaires, s’est laissé aller. « Je ne supportais plus que mes camarades me taxent de nerd, la bûcheuse de la classe, voire la ringarde. D’autant plus que je n’attirais pas les garçons de ma classe », poursuit Lili, dont les parents ont fini par l’emmener voir un psy. « J’étais sceptique quant à l’idée que ma fille prenne des antidépressifs, mais j’ai opté pour la solution la plus sûre car j’avais peur que ma fille ne soit allée plus loin, le suicide ou la toxicomanie », explique Salma, sa maman, ingénieure de 45 ans qui, à son tour, a beaucoup hésité avant d’emmener sa fille chez un psy à cause de la stigmatisation. « L’entourage pèse beaucoup sur la psychologie du couple séparé. A la moindre souffrance des enfants, les parents sont tout de suite accusés d’être la source de toute perturbation. Et c’est surtout la mère qui est blâmée, accusée d’avoir détruit la famille au détriment de ses enfants. Et quand, comme moi, on vit seule avec deux filles, l’entourage est impitoyable », avance-t-elle, en ajoutant : « Un couple malheureux ne produira que des enfants malheureux, et pourtant, certains optent pour ça qu’au divorce ».

Plus défavorisés, plus exposés

Dans les milieux démunis, selon le rapport de l’UNICEF, la pauvreté, la maltraitance ou la violence peuvent rendre les adolescents fragiles et exposés de plus en plus aux problèmes de santé mentale. Le mariage précoce auquel les filles s’exposent pèse aussi sur leur développement mental.

Vivant dans une grande précarité, Menna, 16 ans, a confié à sa cousine Mariam qu’elle pensait sérieusement à mettre fin à sa vie. Après le divorce de ses parents il y a une dizaine d’années, et le remariage de chacun d’eux, elle n’a l’occasion de voir sa mère que durant les jours de fête quand elle se rend, avec ses grands-parents, à leur village natal dans une bourgade lointaine du gouvernorat de Fayoum. Le père, quant à lui, il a fait quatre enfants de sa deuxième union. Dans son foyer, Menna se trouve obligée depuis son âge tendre de servir une large famille composée de 8 personnes, car son père et sa belle-mère sont obligés de sortir chaque jour pour gagner leur vie. Tous les jours, elle doit jongler pour faire la cuisine, le ménage, la vaisselle, prendre soin de ses frères, etc. Ses besognes ménagères ne lui donnent pas la chance d’étudier ses leçons. Son niveau scolaire est donc médiocre. Son père a même pensé plusieurs fois à la faire sortir de l’école afin d’économiser son argent de poche maigre et le budget de transport. Elle souffre en silence afin de ne pas recevoir les coups de sa belle-mère et son père au cas où elle se plaindrait à ses grands-parents qui pensent, à leur tour, que la seule solution est de la marier.


L’adolescence est la période la plus propice aux troubles psychologiques.

Le rôle de l’entourage

Dr Iman Gaber, directrice de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au Secrétariat général de la santé mentale, assure que la fille dans les sociétés pauvres ou analphabètes assume un double fardeau, ce qui l’expose à des pressions supplémentaires. « Souvent, elle a des charges ménagères lourdes à un âge précoce, sous prétexte de la préparer à la vie conjugale, alors qu’à cet âge, elle est supposée jouer ou s’amuser, afin que son développement mental ait lieu normalement. Pire encore, à la puberté, personne ne lui parle des changements que subissent son corps et sa mentalité. Au contraire, elle subit plus de pressions pour respecter les normes sociales. Parfois même, certaines filles quittent les bancs de l’école parce que le chemin n’est pas sûr et que les parents n’ont pas les moyens de leur garantir un moyen de transport qui les protège des risques », avance Gaber. Elle poursuit que dans les milieux défavorisés, la ségrégation entre filles et garçons est plus forte, même pour ce qui est du droit à l’éducation et même si les filles ont de meilleurs résultats scolaires.

La solution ? Selon cette même source, il est vrai que l’adolescence est une période pleine de remous et où l’influence des pairs est très importante, mais pour la traverser paisiblement, il faut que les parents se rendent compte de la particularité de cette phase et des changements qui l’accompagnent. « Le conseil le plus important que je donne toujours aux parents est d’essayer d’élargir les cercles de connaissances de l’adolescente (famille, voisins, camarades de classe ou amis du club, etc.) et ce, afin qu’elle arrive à se trouver une place où elle se sent bien », affirme Gaber. De même, conclut-elle, il est toujours possible d’avoir des activités sportives ou autres, non coûteuses, ou d’aider les filles modestes à lancer de petits projets qui leur garantissent un revenu et qui leur permettent d’être autonomes et de renforcer l’estime de soi-même.

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