Signe des ambitions de la Chine de jouer un plus grand rôle politique dans la région, Pékin a intensifié son plaidoyer en faveur de la cause palestinienne dès le début de la guerre entre Israël et le Hamas en octobre 2023. Cette position pro-palestinienne a ajouté à l’attractivité déjà considérable de Pékin en tant qu’alternative à l’Occident, issue de ses prouesses économiques et de son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Ironiquement, la Chine doit une grande partie de son succès politique dans le monde arabe à son principal rival, les Etats-Unis, dont les positions se sont alignées systématiquement sur l’Etat hébreu, malgré le bilan humain catastrophique de sa guerre contre la bande de Gaza. En plus, l’application incohérente du droit international par les Etats-Unis en Ukraine et à Gaza a gravement sapé leurs prétentions de faire respecter l’ordre international fondé sur des règles.
Les intérêts économiques et géostratégiques de la Chine ont longtemps motivé son engagement dans le monde arabe et au Moyen-Orient, en mettant moins l’accent sur l’engagement politique. Les principales priorités de Pékin dans la région comprennent la sécurisation des ressources énergétiques — en particulier de ses deux plus grands fournisseurs de pétrole, l’Arabie saoudite et l’Iran, parmi d’autres exportateurs du Conseil de coopération du Golfe —, ainsi que celle de l’accès aux voies maritimes vitales et aux marchés régionaux.
En 2022, les échanges de la Chine avec le Moyen-Orient et l’Afrique du nord (MENA) atteignaient 368,4 milliards de dollars, soit plus du double de ceux des Etats-Unis. Les exportations de marchandises chinoises vers la région sont passées de 140 milliards de dollars en 2018 à 226 milliards de dollars en 2022. La Chine est également fortement engagée dans le développement de grands projets d’infrastructure par le biais de son initiative « La Ceinture et la Route ». En outre, elle a conclu des partenariats économiques plus profonds avec les principaux acteurs de la région — Arabie saoudite, Egypte, Emirats Arabes Unis (EAU) et Algérie —, tout en évitant la myriade de rivalités et de conflits régionaux. Elle y est parvenue grâce à ses politiques de neutralité politique et de non-interventionnisme.
Bien que l’implication régionale de la Chine en matière de sécurité soit relativement limitée, son empreinte dans ce domaine se développe grâce aux ventes d’armes, à la formation et aux exercices militaires. Les pays arabes se tournent vers Pékin pour l’octroi d’armes avancées à faible coût. A titre d’exemple, entre 2017 et 2021, les exportations d’armes chinoises vers l’Arabie saoudite et les EAU ont augmenté respectivement de 386 % et 169 % par rapport à 2012-2016.
Toutefois, même si la Chine cherche à contester l’influence américaine dans le monde arabe, il n’y a aucune raison de croire qu’elle vise à remplacer complètement le rôle politique et sécuritaire des Etats-Unis. Par exemple, malgré les coûts supplémentaires encourus par les exportateurs chinois en raison des attaques des rebelles houthis au Yémen contre des navires en mer Rouge, la Chine n’est pas intervenue militairement, laissant le fardeau de maintenir les lignes de communication maritimes ouvertes aux Etats-Unis et à ses proches alliés. Autre exemple, bien que les exportations chinoises d’équipements militaires aient augmenté, tout comme la coopération en matière de défense sous la forme d’escales portuaires et d’exercices conjoints avec les armées arabes, la Chine n’offre pas de garanties de sécurité à ses partenaires et ne semble pas intéressée à remplacer la présence sécuritaire des Etats-Unis dans la région.
La Chine s’est positionnée avec succès comme un partenaire alternatif en matière de développement économique. Grâce à des liens économiques et énergétiques étendus et à une amélioration constante des relations politiques, la Chine s’est révélée apte à contester l’influence américaine dans une région que Washington domine depuis la fin de la Guerre froide. Néanmoins, la pénétration régionale de la Chine trouve ses limites, notamment dans les pays pétroliers du Golfe, dans l’attrait persistant d’obtenir des engagements de défense et de sécurité des Etats-Unis.
Mais dans le contexte d’une guerre catastrophique à Gaza et de l’intensification des rivalités et de la concurrence commerciale mondiale, il existe un intérêt régional prononcé pour l’amélioration des liens avec la Chine et l’adhésion aux groupements internationaux qu’elle dirige, notamment les BRICS+. Cela suggère que l’accent mis par Pékin sur la souveraineté des Etats et sa vision d’un ordre mondial multipolaire plus équitable continueront de résonner dans le monde arabe. Toutefois, les Etats arabes, tout en renforçant leur rapprochement avec la Chine, ne veulent guère que leurs relations avec Washington et Pékin s’excluent mutuellement. Au contraire, ils estiment qu’en jouant sur la rivalité entre ces deux puissances mondiales, ils élargiraient leur autonomie et leur marge de manoeuvre extérieure et en tireraient des profits politiques, économiques et stratégiques.
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