Après treize ans où l’Afghanistan n’a connu qu’un seul dirigeant — Hamid Karzaï — qui ne peut pas briguer un troisième mandat selon la Constitution, les Afghans étaient appelés aux urnes samedi dernier pour le premier tour d’une présidentielle qui doit consacrer la première transition démocratique de l’histoire de ce pays miné par trois décennies de guerre. Il s’agit d’un test majeur pour la stabilité du pays et la solidité de ses institutions, alors que le retrait des forces de l’Otan d’ici fin 2014 fait craindre une flambée de violences talibanes.
Là, il faut avouer que les Afghans — de Qandahar à Kaboul — ont réussi leur premier test démocratique, en défiant les menaces talibanes et en allant voter « en nombre et sans incidents majeurs » grâce à la mobilisation de centaines de milliers de policiers et soldats afghans à travers le pays. « Malgré les menaces talibanes, la participation a été très bonne, plus forte que ce à quoi nous nous attendions. Les Afghans sont prêts à tout défier pour construire un avenir sûr », s’est réjoui Ahmad Nuristani, chef de la Commission électorale indépendante. Et d’ajouter que les Afghans ont ainsi écarté l’une des principales menaces qui pesait sur le scrutin : l’abstention qui a marqué la présidentielle de 2009. Pour l’heure, les autorités afghanes évoquent une possible participation de plus de 50 % qui serait largement supérieure à celle de la présidentielle de 2009 (30 %).
Selon les experts, cette forte participation porte « un coup dur » aux Talibans qui n’ont réussi ni à empêcher le scrutin ni même à le perturber comme ils l’avaient juré, malgré toute une série de violences qui a marqué la campagne électorale. Chassés du pouvoir en 2001 mais jamais vaincus, les Talibans restent les artisans d’une violente insurrection : près de 3 000 civils ont péri dans le conflit en 2013.
Pour ne pas baigner dans l’optimisme, il faut attendre les résultats du premier tour le 24 avril, avant un probable deuxième tour le 28 mai. A condition que les candidats recalés acceptent le résultat des urnes. Ce qui semble « chimérique » puisque les favoris du vote ont commencé dimanche à évoquer « des irrégularités et des fraudes massives ». Autre menace de poids : les Talibans ne vont pas rester les bras croisés jusqu’à la publication des résultats, ils vont tout faire pour perturber les deux prochaines semaines. A commencer par une bombe artisanale qui a explosé dimanche dans le nord afghan au passage d’un camion transportant des bulletins de vote, tuant trois personnes. Une sorte de goutte qui annonce la pluie ...
De toute façon, on n’a qu’à attendre le résultat de la course électorale qui s’est engagée entre huit candidats, dont trois favoris, tous anciens ministres de Karzaï : Zalmai Rassoul, considéré comme le candidat du pouvoir sortant, Ashraf Ghani, économiste réputé, et Abdullah Abdullah, opposant arrivé en seconde position lors de la présidentielle de 2009.
Principal défi : la lutte anti-terroriste
Quel que soit le nom du nouveau président afghan, il aura la tâche ardue d’instaurer la paix dans un pays en proie à une violence talibane sans merci. Et ce, en signant le traité de sécurité bilatéral (BSA) encadrant la présence américaine dans le pays après 2014. Une signature qui va lui attirer la foudre des Talibans opposés à toute présence étrangère après 2014. Jusqu’à la dernière minute de son mandat, Karzaï s’était opposé à la signature de ce traité et a préféré laisser cette tâche à son successeur pour ne pas être cité par l’histoire comme « celui qui a vendu son pays aux Américains » et aussi pour ne pas s’exposer à la vengeance talibane.
Malgré les atermoiements de Karzaï, Washington compte toujours signer l’accord avec le nouveau président afin de maintenir environ 10 000 hommes jusqu’à la fin 2016 pour entraîner les forces afghanes et continuer la « mission anti-terroriste ». « Les principaux candidats à la présidentielle sont des personnes avec qui nous pouvons travailler, avec qui les relations seront bien meilleures qu’avec Karzaï. Tous sont favorables au BSA », observe Ronald Neumann, ancien ambassadeur américain en Afghanistan. Selon les analystes, le nouveau président afghan doit vite signer le BSA, sinon le président Barack Obama pourrait retirer toutes ses troupes de l’Afghanistan, comme il l’a déjà fait en Iraq. Pire encore, si cet accord tarde trop, l’armée afghane cessera d’être financée et elle se fragmentera.
Outre le feu vert du président afghan, le maintien des forces américaines après 2014 dépendra aussi de la légitimité de ce nouveau pouvoir aux yeux de la population. « S’il y a une fraude effrénée, un échec à négocier un résultat représentatif, on risque de voir s’effondrer le soutien politique aux Etats-Unis et dans les autres pays pour continuer à fournir une assistance à l’Afghanistan », pronostique l’ex-numéro trois du Pentagone, Michèle Flournoy.
En effet, après 2014, la guerre va devenir un « concours d’endurance » entre les Talibans et le Congrès américain opposé à toutes nouvelles dépenses dans le « bourbier afghan ». A partir de 2015, les forces afghanes coûteront 5 milliards de dollars à l’Otan, dont environ 3,2 milliards à la charge de Washington. Ce qui pourrait être refusé par le Congrès, surtout que Washington et ses alliés ont beau déployer des moyens militaires exceptionnels et investi des centaines de milliards de dollars pour instaurer la paix dans le pays. Mais, ces sommes fabuleuses étaient gâchées et des milliers de vies étaient brisées, alors que la menace talibane persiste toujours, voire s’endurcit. De quoi rendre probable le spectre d’une guerre civile qui éclaterait à l’aube 2015 car les Talibans — forts et organisés — vont tout faire pour récupérer par force le pouvoir perdu en 2001, surtout que les forces afghanes sont faibles et sous-équipées. L’aube de 2015 pourrait-elle ramener le pays à l’avant-2001 ?.
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