Les protestations s'intensifient contre toute loi rappelant à l'urgence.
S’agit-il d’une nouvelle version de la loi d’urgence ? Le projet de loi sur «
la protection des acquis de la révolution » est rejeté par les experts avant même sa publication. Cette première ébauche soulève l’inquiétude des activistes et des défenseurs des droits de l’homme qui estiment qu’il s’agit d’une manœuvre discrète pour faire face à l’opposition au régime. «
Il n’y a pas de temps à perdre », assure Ahmad Fouad, activiste qui a participé à la marche organisée par le Front national pour la justice et le développement mercredi dernier, scandant des slogans contre la promulgation d’une telle loi. Les manifestants ont sillonné les rues du centre-ville, afin de «
sensibiliser les citoyens au danger qui les attend », ajoute-t-il. «
Il faut à tout prix lutter contre cette loi. On ne doit pas rester les bras croisés au moment où le gouvernement planche sur cette loi qui est, selon nous, une bombe à retardement. C’est une régression. Cette loi restreint tous les droits fondamentaux des citoyens », explique Fouad.
Selon les spécialistes, il existe depuis un certain temps des tentatives de la part du gouvernement pour faire passer ces nouvelles restrictions à travers une loi. En effet, ce brouillon n’est dans le fond qu’une copie du projet de loi déjà présenté par le ministre de la Justice, Ahmad Mekki, le mois dernier, sous le nom de « La loi de la protection de la société contre les éléments dangereux ». Ce projet, qui fut rejeté par toutes les ONG de défense des droits de l’homme qui l’ont considéré comme une alternative juridique à la loi d’urgence, réapparaît sous une nouvelle forme. Le terme « acquis de la révolution » est utilisé pour faire passer la pilule aux citoyens.
La protestation s’amplifie
C’est pire que la loi d’urgence. C’est en ces termes que les militants qualifient le nouveau projet de loi. Selon les déclarations officielles, le projet serait élaboré pour protéger les acquis de la révolution, garantir la sécurité et la stabilité du pays et lutter contre la criminalité. Il protège, en outre, la société contre « les éléments dangereux », en luttant contre tout acte de sabotage portant atteinte aux biens publics et aux monuments, ou entravant l’ordre public et la circulation. Il lutte également contre le trafic de drogue et le blanchiment d’argent. Des réunions incessantes sont tenues au Conseil des ministres pour parvenir à la version définitive. Le premier ministre Hicham Qandil a convoqué la semaine dernière les ministres de la Justice, de l’Intérieur, des Affaires juridiques et Parlementaires pour discuter de ce projet. Pourtant, Alaa Al-Hadidi, porte-parole du gouvernement, nie toute existence de ce projet : « Il n’existe pas de projet de loi dans ce sens devant le premier ministre en ce moment ».
Composé de 8 articles, le projet stipule que le ministère de l’Intérieur a le droit d’arrêter un suspect dans l’endroit qu’il choisit pour une durée de 30 jours. Le suspect n’a aucun droit de se plaindre. Il prévoit également la résidence surveillée pour ce suspect. Dans son 2e article, le texte définit le suspect en tant que « personne habituée à commettre des crimes comme le vol, l’abus de fonds publics et le trafic d’armes ». Le projet prévoit « le recours au code pénal et à la loi des procédures criminelles si ces crimes ne sont pas cités dans ces articles ». Selon Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, il ne faut pas laisser les droits humains entre les mains de l’exécutif, qui peut s’en servir pour se venger de l’opposition. « Cette loi attribue des pouvoirs absolus et extraordinaires au ministère de l’Intérieur dans la poursuite des citoyens et de leur surveillance sous prétexte de préserver la sécurité. Elle reprend les mêmes outils et les mécanisme adoptés par l’ancien régime, qui restreignent les libertés des citoyens », explique Seada, tout en dénonçant le fait que le projet de loi accorde aux services de sécurité le droit de détenir les suspects pour une période de 30 jours. Alors que la détention ne dépassait pas les 7 jours dans l’ancienne loi luttant contre le terrorisme, datant de 1997. Ce n’est pas tout. Cette période de 30 jours de détention n’est pas comprise dans la durée d’emprisonnement prononcée dans le verdict. En outre, le jugement est applicable immédiatement, même si l’accusé présente un recours.
Les articles 7 et 8 accordent aussi au ministre de l’Intérieur le droit absolu de désigner l’endroit dans lequel le condamné passera sa sanction.« Ce droit pourrait être exercé sur tout suspect menaçant d’utiliser la violence même s’il ne la pratique pas »,lance Seada, qui explique que ce projet n’est qu’« une nouvelle reproduction de la loi d’urgence, qui viole les acquis de la révolution au lieu de les protéger ».
Pour rappel, la loi d’urgence était mise en vigueur en Egypte depuis 1981, à la suite de l’attentat meurtrier de l’ex-président Anouar Al-Sadate. Après la révolution de 25 janvier, cette loi a été annulée par le Conseil militaire qui a géré le pays lors de la période transitoire. Toutefois, suite à l’attaque de l’ambassade israélienne en septembre 2011 par des manifestants faisant 4 morts et plusieurs centaines de blessés, la loi fut réactivée pour une période de 6 mois. Cette loi, tout comme celle en cours de discussion, permettait à la police une arrestation injustifiée et lui accordait le droit d’imposer des restrictions sur les libertés de l’individu.
Ainsi, la liste des dénonciations est encore longue, puisque ce projet de loi n’impose pas seulement une arrestation injustifiée, mais restreint aussi le droit d’organiser des grèves, de présenter un recours, vu que la peine est immédiatement réalisée. « J’estime que ce n’est pas nécessaire de promulguer une telle loi, à cause de l’absence du Parlement, même si on se laisse convaincre que cette loi a pour objectif de rétablir l’ordre et la sécurité. Il s’agit d’une grave erreur qui nous ramène à l’ancien régime où des lois exceptionnelles ont été promulguées sous des prétextes illusoires », conclut Seada.
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