Les Ukrainiens paient le tribut du bras de fer opposant l'Occident à la Russie.
(Photo:AP)
Le fossé ne cesse de se creuser entre Moscou et l’Occident, laissant planer le spectre des pires jours de la Guerre froide. Les deux antagonistes campent toujours sur leurs positions inconciliables, abstraction faite des douleurs d’une Ukraine déchirée.
Dans un monde où « la raison du plus fort est la meilleure », deux scénarios se profilent à l’horizon : la guerre ou la division du « gâteau » entre Russes et Occidentaux. Se contentant de la division du gâteau, au moins pour le moment, l’Union européenne a signé cette semaine le volet politique de l’accord d’association avec Kiev, alors que la Chambre haute du Parlement russe a ratifié à l’unanimité le traité sur le rattachement de la Crimée à la Russie.
Cette division du pays a amené les responsables ukrainiens pro-européens à lancer un cri d’alarme, alors que des milliers de personnes se rassemblaient sur le Maïdan à Kiev pour soutenir l’unité nationale face à l’agitation séparatiste qui menace l’est et le sud du pays, après la sécession de la Crimée. « La situation est plus explosive qu’elle ne l’était il y a une semaine », a estimé le chef de la diplomatie ukrainienne, Andriï Dechtchitsa. Se rendant compte que leur pays n’est qu’un « bouc émissaire » dans une équation politique qui ne les concerne pas, des patriotes ukrainiens dans certaines régions russophones séparatistes comme l’Odessa ont haussé le drapeau national lors de manifestations pour s’opposer à l’effritement du pays.
Foulant aux pieds les inquiétudes du peuple ukrainien, les deux protagonistes de la crise ukrainienne ont poursuivi de plus belle leur guerre cette semaine. Barack Obama a entamé lundi dernier une tournée de six jours en Europe pour participer à plusieurs sommets internationaux, entre autres le G7 consacré à l’Ukraine. Cette tournée, qui a commencé par les Pays-Bas, a mis en relief l’isolement de la Russie sur la scène internationale et l’union des Occidentaux face à un défi commun. « L’Europe et les Etats-Unis sont unis pour soutenir le gouvernement ukrainien et les Ukrainiens. Nous sommes unis à faire payer la Russie », a menacé le président Obama lors de sa visite aux Pays-Bas.
De même, les 28 ont adressé un nouveau coup à Moscou en décidant d’accélérer les préparatifs pour signer « au plus tard en juin » un accord d’association avec la Géorgie et la Moldavie, deux ex-Républiques soviétiques souhaitant sortir de la sphère d’influence russe.
Montrant leurs griffes, Européens et Américains ont imposé une nouvelle vague de sanctions contre Moscou cette semaine. Franchissant un nouveau cap, Washington a frappé haut, en élargissant la liste de ses sanctions contre Moscou, ajoutant 20 personnes à la liste des onze dont les avoirs étaient déjà gelés.
Cette fois, la liste cible de proches collaborateurs du président Vladimir Poutine, dont Sergueï Ivanov, son chef de cabinet. Bruxelles a emboîté le pas en décidant l’ajout de 12 Russes et Ukrainiens pro-russes à la liste, portant à 33 le nombre de personnes ciblées. Les nouveaux sanctionnés sont des responsables « haut placés » comme le vice-premier ministre Dmitri Rogozine, et les présidents des Chambres haute et basse du Parlement russe. Les Européens se sont par ailleurs entendus sur l’annulation du prochain sommet UE-Russie prévu en juin à Sotchi, ainsi que de réunions bilatérales avec Moscou.
Moscou inflexible
Malgré tout cela, l’arme des menaces n’a guère affaibli la détermination de la Russie de mener à bien le rattachement de la Crimée. « Toutes ces sanctions ne valent pas un seul grain de sable de la terre de Crimée qui est retournée à la Russie », a réagi M. Rogozine, alors que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a affirmé que « les tentatives d’isoler la Russie sont une voie sans issue ».
Loin d’être affolées par les sanctions, les forces russes ont achevé lundi leur conquête de toutes les bases ukrainiennes en Crimée, amenant Kiev à retirer ses troupes vers l'Ukraine continentale. Le ministre russe de la Défense s’est rendu lundi en Crimée pour y inspecter les installations militaires. Ce ministre est le plus haut responsable russe à se rendre en Crimée depuis le début de la crise.
Ne pouvant plus rester les bras croisés face aux sanctions occidentales, la Russie a riposté en sanctionnant trois conseillers du président Barack Obama et des parlementaires, dont le sénateur conservateur John McCain. « Qu’il n’y ait aucun doute : à chaque acte hostile nous répondrons de manière adéquate », a prévenu le ministère russe des Affaires étrangères.
Les nouvelles sanctions américaines annoncées contre Moscou ont commencé cette semaine à se concrétiser. Alors que la première série de sanctions contre des personnalités russes, annoncée la semaine dernière par les Etats-Unis, n’a pas eu d’impact particulier sur l’économie, la deuxième, rendue publique vendredi dernier par le président Obama, a eu des effets plus perceptibles.
Cette semaine, les clients de plusieurs banques russes ont eu la mauvaise surprise de ne plus pouvoir utiliser leurs cartes bancaires Visa ou Mastercard pour effectuer leurs achats ou aux distributeurs d’autres établissements. Les deux géants américains des cartes bancaires ont en effet mis fin à leurs services de paiement pour les clients de ces banques. Pour les experts économiques, l’Occident ne peut pas imposer beaucoup plus de sanctions économiques, car cela nuirait à ses propres intérêts.
Quelles que soient les pertes, il semble que M. Poutine ne renoncera pas à son rêve de bâtir son « Union eurasiatique ». Le dirigeant russe n’a jamais caché que la dislocation de l’URSS avait été « le plus grand désastre politique du siècle dernier ».
Il pourrait tout faire pour retrouver son « empire perdu ». Pour Poutine, la Crimée n’est qu’un test lancé à la communauté internationale pour voir jusqu’où peut aller la riposte. Regrettant la décision de la France et de l’Allemagne de suspendre leur coopération militaire avec Moscou, la Russie a augmenté de 44 % son budget de défense dans les trois ans à venir après avoir mis ses troupes en état d’alerte maximum, de quoi rendre de plus en plus envisageable le scénario de la guerre.
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