Pétrole et sécurité: deux mots pour vulgariser la crise en Libye. En octobre 2013, le premier ministre Ali Zeidan avait été enlevé par un groupe d’anciens rebelles. Retenu plusieurs heures, il est sorti en lançant un appel au «
calme » et à «
l’apaisement ».
Il y a deux semaines, Zeidan prend la fuite après avoir été destitué par le Parlement. Depuis l’Allemagne, il dénonce la « falsification » d’un vote de défiance et rejette les accusations de corruption à son encontre.
Selon lui, seuls 113 députés ont voté en faveur de son renvoi, alors que le quorum est fixé à 120 voix. Les députés, eux, parlent de 124 voix ayant exigé son départ. On lui reproche aussi d’avoir été incapable de reprendre le contrôle des installations pétrolières, aux mains des milices armées fédéralistes (katibas) depuis juillet (lire page 5).
Ces dernières sont allées jusqu’à exporter du pétrole volé, au nez et à la barbe des autorités. Il a fallu une intervention des forces américaines pour que les autorités libyennes récupèrent le Morny Glory, ce navire battant pavillon nord-coréen chargé de brut illégal qui leur avait échappé le 11 mars. Le brut devrait désormais alimenter la raffinerie de Zawiya, à l’ouest de Tripoli, principale raffinerie du pays.
Réunis début mars à Rome, les « amis de la Libye », soit les représentants de quarante délégations étrangères, dont pour la première fois la Russie et la Chine, ont dressé un bilan alarmiste de la situation en Libye, alors que seulement deux semaines auparavant les Libyens avaient élu une Assemblée constituante, représentant les trois grandes régions de la Libye— Tripolitaine (ouest), Cyrénaïque (est) et Fezzan (sud) — pour rédiger une nouvelle Constitution. Celle-ci sera ensuite soumise à un référendum avant le mois de juillet. Un progrès « très lent », selon les amis de la Libye.
« C’est un paresseux », dit-on du premier ministre sortant. Désormais, c’est le ministre de la Défense, Abdallah Al-Tani, qui est chargé d’assurer l’intérim. Le choix du ministre de la Défense ne garantit en rien une situation sécuritaire meilleure.
L’armée, déjà faible sous Kadhafi et rebaptisée « armée nationale », s’est davantage fragilisée après la chute du colonel et fait face à davantage de défis, dont le plus compliqué est « la collecte des armes des milices », explique Khaled Hanafi, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Pas d’armée efficace
« Trois ministres consécutifs de la Défense ont échoué à créer une base apte à fonder une armée nationale et à réactiver les institutions militaires et sécuritaires », affirme Khaled Al-Torgoman, conseiller du président du Congrès national général (CGN) (lire entretien page 4).
Les Libyens attendent théoriquement la nomination d’un nouveau chef du gouvernement avant la fin du mois alors que le CGN est extrêmement divisé. Les rivalités entre les deux pôles politiques, le courant libéral représenté par l’Alliance des forces nationales et les islamistes du Parti de la justice et la construction, jettent leurs ombres sur la situation sécuritaire.
Trois ans après une « révolution » épaulée par une intervention militaire occidentale, l’opposition et les rebelles armés ne sont jamais parvenus à s’entendre pour administrer le pays. Aucun gouvernement solide n’a pu être formé et les cabinets successifs ont assisté à une dégradation sécuritaire du pays, notamment dans les régions est et sud, la première étant contrôlée par des islamistes radicaux.
Selon Human Rights Watch, les milices retiennent quelque 8000 personnes dans leurs prisons où la torture serait routinière. Une vague d’assassinats ne cesse de frapper notamment les villes de Benghazi et de Derna, qui échappent entièrement au contrôle du gouvernement.
Il a fallu une intervention, cette semaine, des chefs de tribus dans l’est pour échapper de justesse à une guerre civile sur fond de blocus des ports pétroliers. Les exportations de pétrole se sont effondrées d’environ 1,5 million de barils par jour à moins de 500000, ce qui signifie des milliards de dollars de pertes pour ce pays déserté par les investisseurs.
Le sud livré aux trafics et aux djihadistes
Le sud, lui, est livré à un conflit entre tribus sur le contrôle des trafics, région où s’épanouissent aussi les djihadistes. Dans les grandes villes, les milices et bandes armées tiennent la rue alors qu’il n’y a plus de ministre de l’Intérieur.
Réuni la semaine dernière à Marrakech, le Conseil des ministres arabes de l’Intérieur a appelé les pays arabes à apporter un soutien aux services sécuritaires libyens pour leur permettre de mieux accomplir leur mission de préservation de la sécurité et de protection des personnes et des biens.
Le Conseil a également insisté, dans son communiqué final, sur « l’importance de la coopération entre la Libye et les pays voisins pour la protection des frontières contre les activités de groupes terroristes et de bandes qui reposent sur le trafic d’armes, de drogue et organisent la migration clandestine ».
La Libye d’aujourd’hui est envahie par des milices en tout genre et fait face à une détérioration de la situation des droits de l’homme et à un chaos qui menace de se transformer en guerre civile.
« Les Libyens n’ont pas risqué leur vie dans la révolution pour replonger dans la brutalité et la violence », disait le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, à Rome sans aller plus loin. La situation en Libye semble susciter très peu d’intérêt de la part de ces pays qui étaient partis en guerre en 2011 pour faire chuter le colonel Kadhafi, occidentaux comme arabes.
L’ordre du jour du sommet des chefs d’Etat arabes, qui se tient cette semaine au Koweït, incluait la Libye mais le dossier est dépassé par les conflits interarabes, le classique dossier palestinien et la lutte contre le terrorisme.
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