«
Que l’armée annonce son soutien à la candidature (d’Al-Sissi) et qu’en plus, ses dirigeants apparaissent dans les médias (...) pour annoncer leur soutien au chef de l’armée, c’est inimaginable », affirme l’ancien militaire et ancien candidat à la présidentielle, Ahmad Chafiq. Ces déclarations faisaient suite à la diffusion par la presse d’un enregistrement dans lequel Chafiq critiquait la candidature d’Al-Sissi. «
L’élection sera une farce (...), je sais très bien qu’ils vont bourrer les urnes (en faveur d’Al-Sissi) », dit-il dans cet enregistrement.
Depuis son exil volontaire aux Emirats arabes unis, le dernier premier ministre de Moubarak, vaincu face au candidat des Frères musulmans en 2012, Chafiq, dit pourtant soutenir le maréchal dans sa volonté de briguer la magistrature suprême. Il affirme dans le même communiqué — qui confirme l’enregistrement sonore — que la candidature d’Al-Sissi « va à l’encontre de toutes les règles et coutumes selon lesquelles l’armée se tient à distance des élections. Cela tournera en un show comique ». Des déclarations qui choquent les partisans d’Al-Sissi aussi bien que ceux de Chafiq lui-même. C’est la première fois qu’un militaire de carrière critique publiquement l’armée et la probable candidature, sans cesse retardée, du chef de l’armée à la présidentielle.
Mais le lendemain, l’élite militaire pro-Al-Sissi est réconfortée par la décision d’un autre militaire, l’ancien chef d’état-major Sami Anan, de ne pas entrer en course. Dans une conférence de presse chaotique où se trouvaient à ses côtés deux des plus fervents partisans d’Al-Sissi, Anan a affirmé qu’il ne briguerait pas le poste-clé du pays pour « faire prévaloir les intérêts de l’Etat ».
Plus tard, il s’est avéré que deux des plus proches journalistes du ministre de la Défense avaient rédigé eux-mêmes ce communiqué.
Plus tard encore, Anan, dans un entretien avec le quotidien saoudien Al-Charq Al-Awsat, précise que sa décision de se retirer intervient après plusieurs rencontres avec des figures militaires, du corps judiciaire et des médias, qui ont essayé de le « persuader de ne pas se porter candidat ».
Il parle du maréchal Hussein Tantawi, ancien chef du Conseil suprême des forces armées, et de l’ancien membre du Conseil militaire, le général Hassan Ruwaini. Anan explique que ces « rencontres ont été conçues pour mettre fin aux rumeurs dans les médias sur la présence de plus d’un candidat ayant un passé militaire, ce qui donnerait un message de division et d’une guerre entre les généraux au sein de l’armée ».
Limogé avec Tantawi par le président déchu, Mohamad Morsi, Anan a été depuis mis sur les bancs et écarté de presque toutes les rencontres, au moins publiques, du maréchal Al-Sissi.
Un seul militaire en lice
Le retrait de Sami Anan et d’Ahmad Chafiq, deux ex-militaires, consolide désormais le ministre de la Défense et le place en position de force comme unique candidat de l’armée.
Le camp d’Al-Sissi, qui a apprécié la décision des deux hommes, est malgré tout ébranlé par une décision similaire d’un ancien candidat à la présidentielle et figure de la révolution.
Khaled Ali, avocat des droits de l’homme, a annoncé dimanche 16 mars qu’il ne briguerait pas la présidence en dénonçant la loi électorale encadrant le scrutin et qui interdit tout recours devant la justice face aux décisions de la commission en charge de la présidentielle (lire page 5).
Lors d’une conférence de presse, Ali, opposant farouche de Chafiq, a reformulé ses craintes : il a parlé également de « farce » et a appelé l’armée à ne pas s’ingérer dans la présidentielle et à s’éloigner de la politique pour ouvrir la porte à la démocratie. « Le rôle de l’armée est de protéger les Egyptiens et non de les diriger ».
Les partisans de l’actuel homme fort du pays ne cachent pas leur colère, accusant Ali de tous les maux. Al-Sissi, qui ne cache pas sa ferme intention de briguer la présidence et « de ne pas tourner le dos (au pays) au moment où la majorité réclame (sa) candidature », fait déjà campagne alors qu’il est encore en poste à la tête de l’armée, laquelle lui a déjà assuré son soutien. Ses portraits ont envahi les rues du pays. Il semble désormais obligé de faire face à l’ancien candidat à la présidentielle, arrivé troisième en 2012 : Hamdine Sabahi.
Sabahi, qui avait soutenu l’armée dans la destitution de Morsi, est donc aujourd’hui le seul candidat face à Al-Sissi, Al-Sissi qui ne reste, pour l’instant, qu’un candidat potentiel. Sabahi a devancé le maréchal en annonçant officiellement son intention de se présenter.
Candidature de dernière minute
« Al-Sissi annoncera à la dernière minute » sa candidature, affirme le journaliste, proche de l’armée, Abdallah Al-Sennawi. Mais même s’il semble être le favori du scrutin, la bataille d’Al-Sissi face à Hamdine Sabahi ne sera pas facile. Ce dernier dit en effet entrer en course « pour gagner » (lire page 5).
Un sondage mené par le centre Baseera, dont le directeur, aujourd’hui proche des militaires, dirigeait les sondages du gouvernement sous Moubarak, crédite Al-Sissi de 51 % et Sabahi de seulement 1 %.
Le camp Al-Sissi démontre certaines confusions : cherche-t-il à courir seul sous forme d’élection-référendum, un scénario qui lui épargnerait de présenter un programme et de répondre aux accusations de son rival ? Ou cherche-t-il à mettre en place un scrutin pluraliste ?
Le maréchal Al-Sissi est peut-être la figure la plus populaire en ce moment et incarne pour beaucoup la stabilité dans un pays secoué par des violences, mais « une élection sans véritable concurrence se traduira par moins de légitimité », explique le professeur en sciences politiques, Moataz Abdel-Fattah. « L’absence de concurrents sérieux dans des élections libres, concurrentielles et équitables n’est pas le meilleur départ pour un nouveau président », ajoute-t-il. Un politicien a, certes, besoin de partisans pour réussir en tant que candidat, mais il a aussi besoin de ses rivaux pour réussir en tant que président. Le sort de l’armée est désormais lié à ce succès.
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