L’objectif déclaré de l’offensive est de permettre le retour de quelque 60 000 Israéliens déplacés dans le nord de l’Etat hébreu. Cependant, celui-ci vise un objectif plus ambitieux : un changement de l’équilibre des puissances au Moyen-Orient, comme l’a reconnu le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, le 28 septembre.
En portant un coup sévère au Hezbollah, à travers l’assassinat de son chef et plusieurs de ses commandants, la dégradation de son réseau de communication et la destruction d’une partie de ses stocks d’armes et de ses sites de lancement de missiles, Benyamin Netanyahu voit une opportunité s’ouvrir pour une reconfiguration des puissances dans la région via l’élimination de la milice chiite qu’il estime mortellement blessée. Celle-ci est la pièce maîtresse dans le réseau d’alliés régionaux de l’Iran, l’ennemi juré d’Israël.
L’histoire récente n’offre néanmoins que des leçons amères au dirigeant israélien. En 1982, Israël a envahi le Liban dans le but d’écraser l’Organisation de libération de la Palestine. Il cherchait également à établir un gouvernement allié au Liban et chasser les forces syriennes du pays. Il a échoué sur tous les plans. Certes, les groupes armés palestiniens au Liban ont été contraints de quitter le pays en vertu d’un accord négocié par les Etats-Unis qui les a envoyés en exil en Tunisie. Mais l’objectif de supprimer les aspirations nationales palestiniennes a échoué. Aujourd’hui, les Palestiniens sont déterminés plus que jamais dans leur rejet de l’occupation israélienne.
L’un des résultats majeurs de l’invasion de 1982 a été la naissance du Hezbollah, qui a ensuite mené une guérilla incessante contre l’occupant israélien qui avait établi une zone de sécurité au Sud-Liban. Alors que ses pertes augmentaient, Israël a été obligé de se retirer unilatéralement en 2000. Ce fut la deuxième fois, après la guerre d’Octobre 1973, qu’une force militaire arabe réussit à contraindre Israël à se retirer d’une terre arabe. Le nouveau groupe, avec l’aide de l’Iran, s’est avéré beaucoup plus efficace que les militants palestiniens qu’Israël avait réussi à chasser. Le retrait israélien a amplifié la popularité et la puissance du Hezbollah en tant que formidable force paramilitaire contre l’Etat hébreu.
Israël a récidivé en envahissant le Liban en 2006 dans le but, cette fois-ci, d’anéantir le Hezbollah. Il a échoué dans son entreprise. Après 34 jours de combats sanglants et de coûts substantiels pour les deux parties, il a accepté une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU pour un cessez-le-feu, le Hezbollah sortant triomphant.
Aujourd’hui, Netanyahu se sent confiant qu’il pourra enfin réussir. Israël a plus de puissance de feu que jamais. Il l’a montré dans ses bombardements intensifs et meurtriers au Liban, qui ont fait en deux semaines plus de 2 000 morts, ainsi que dans la guerre de Gaza où l’armée a rasé des pans entiers de l’enclave palestinienne et tué plus de 41 000 de ses civils — 35 % d’entre eux étaient des enfants — et 2 millions d’autres ont été déplacés à plusieurs reprises. En cela, l’Etat juif a méprisé les normes de la guerre, le droit international humanitaire, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu et l’avertissement de la Cour internationale de justice contre les actions génocidaires. En plus, il a effrontément ignoré la condamnation mondiale généralisée de ses agissements. Cette attitude de dédain a été impulsée par le soutien aveugle, militaire, politique et financier des Etats-Unis, qui viennent d’approuver un programme d’aide supplémentaire de 8,7 milliards de dollars à l’appui de l’offensive israélienne au Liban.
Netanyahu pourra-t-il réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ? Le Hezbollah a sans conteste subi de sérieuses pertes, qui devraient le réduire au moins sur le court terme. Mais la milice chiite dispose toujours d’un vaste arsenal et de dizaines de milliers de combattants aguerris et continue d’attaquer le nord d’Israël. En outre, l’incursion terrestre d’Israël au Sud-Liban offre au Hezbollah l’opportunité de mener une résistance sans fin à l’occupation israélienne, tout en ralliant des soutiens et en reconstituant ses propres rangs. Cela entraînerait des coûts humains et matériels élevés pour Tel-Aviv, ce qui pourrait également empêcher de nombreux Israéliens de rentrer chez eux dans le nord du pays. La force brutale appliquée par Netanyahu au Liban a rarement servi de substitut viable à la diplomatie dans la gestion des crises mondiales. Le seul horizon qu’offre Netanyahu à ses concitoyens est la guerre. Celle-ci garantirait-elle à Israël une plus grande sécurité ? Les salves destructrices lancées contre le Hezbollah ont mis ce dernier en désarroi, mais elles n’offrent aucune garantie qu’Israël gagnera une guerre plus longue. Les deux précédentes invasions du Liban, en 1982 et 2006, ont infligé des dommages substantiels mais n’ont pas permis d’obtenir des gains durables en termes de sécurité pour Israël.
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