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Eviction du Hamas : quelles conséquences ?

Samar Al-Gamal, Lundi, 10 mars 2014

Dictée par des considérations de sécurité nationale, l'interdiction des activités du Hamas par la justice pourrait affecter le rôle de l’Egypte en tant que médiateur dans le dossier palestinien. Analyse.

Hamas
Photo:Reuters

Une semaine avant la chute de Morsi, un tribunal égyptien affirmait que le mouvement palestinien du Hamas et le Hezbollah libanais étaient impliqués dans l’évasion de prisonniers, dont le président lui-même, pendant la révolution contre Hosni Moubarak début 2011.

Cette semaine, un autre tribunal a proscrit toutes les activités et la présence du Hamas sur le territoire égyptien, considéré comme la branche palestinienne des Frères musulmans. La décision n’est pas définitive, et il faut encore attendre le verdict de la Cour de cassation. Mais, théoriquement du moins, le Hamas n’a pas de bureau en Egypte et n’a jamais exercé d’activités depuis ce pays.

Dans la bande de Gaza, des milliers de Palestiniens ont protesté devant le bâtiment qui abrite l’ambassade d’Egypte, fermée depuis 2007, munis de pancartes appelant à l’annulation de la décision de la Cour en scandant : « Résistance ! Notre voie, c’est la résistance ! ».

Au Caire, la décision vient prolonger des accusations en crescendo contre le mouvement, qui siège juste à la frontière-est de l’Egypte, et clarifier l’approche des autorités égyptiennes envers les Frères musulmans, classés organisation terroriste.

Le Hamas est accusé de prêter la main aux attentats qui secouent l’Egypte depuis la destitution du président Morsi.

De hauts responsables accusent régulièrement le Hamas d’être également impliqué dans les attaques menées par des djihadistes dans le Sinaï. Plusieurs membres du Hamas sont accusés aux côtés des Frères musulmans — dont Mohamad Morsi — pour « espionnage » et d’avoir « comploté » avec le Hamas et l’Iran pour « déstabiliser » l’Egypte.

Dans le procès de l’évasion de Morsi, des membres du Hamas sont également sur le banc des accusés. Le pouvoir actuel reprend à son compte des accusations formulées en pleine révolution par le chef des renseignements de l’époque, Omar Soliman, accusant les Frères musulmans d’avoir fait appel au mouvement palestinien pour attaquer des centres pénitenciers et des commissariats de police.

Mobiliser la rue sur fond de conflit

Hamas
Photo: AP

Les politologues en Egypte parlent de mesure « erronée » motivée par des considérations d’ordre interne. La tension avec le Hamas ne serait ainsi que l’ombre de la crise liée à la destitution du président-Frère et à la lutte acharnée menée par le pouvoir contre la confrérie. « Le Hamas est puni pour ses positions qui, malgré toutes les tentatives de les masquer, considèrent le renversement de Morsi comme un coup d’Etat », explique le politologue Wahid Abdel-Méguid.

Durant la présidence de Morsi, le Hamas a été l’un des plus proches alliés du nouveau régime. Morsi avait négocié même une trêve entre le mouvement palestinien et Israël quelques mois après son arrivée au pouvoir, bien que la destruction des tunnels entre les deux territoires se soit poursuivie et que le terminal de Rafah n’ait jamais été entièrement ouvert.

Le gouvernement intérimaire mis en place par le nouvel homme fort, le maréchal Abdel-Fattah Al-Sissi, n’a pas apprécié les critiques formulées par ses voisins contre la destitution de Morsi, et coupe les ponts avec le Hamas. Même au cours des pires moments de tension entre le Hamas et le gouvernement égyptien sous Moubarak, les liens entre Le Caire et le mouvement palestinien étaient maintenus, et les visites réciproques entre responsables des renseignements et le Hamas n’ont jamais été clairement interrompues. Professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, Moustapha Kamel Al-Sayed parle d’accusations dans les médias « ayant des liens étroits avec le gouvernement et les services de sécurité ».

Selon lui, « il y a de forts doutes sur la validité des accusations, surtout que certains des membres du Hamas, mentionnés par les responsables égyptiens, ont été tués dans des raids et des opérations israéliens avant la révolution de janvier ».

Le combat du Hamas est centré sur Israël

Historiquement, le Hamas n’a jamais opéré hors des frontières de la Palestine et n’a pas été impliqué dans des opérations dissociées du conflit avec Israël. L’implication de certains de ses membres au côté des rebelles en Syrie ou dans le Sinaï, même si elle se confirme, n’indique en rien qu’elle émane d’une décision centrale.

Les dirigeants du Hamas ont accusé Le Caire de « servir l’occupation israélienne » et « d’étrangler la résistance », selon les termes de Bassem Naïm, conseiller pour les Affaires étrangères du chef du gouvernement du Hamas.

Sous strict blocus israélien depuis 2006, Gaza suffoque : depuis juillet dernier, le terminal de Rafah, seul accès du territoire palestinien, est très souvent fermé par les autorités égyptiennes qui invoquent des raisons sécuritaires (lire page 4).

Les conséquences directes sur le Hamas sont notables, et plutôt d’ordre humanitaire. La rupture avec Le Caire pourrait nourrir le blocage dans la réconciliation avec le Fatah, négociée par l’Egypte. Bref, la position du Caire ne fera qu’entériner la réalité des choses et ne pourra faire dévier le mouvement de sa nature de « mi-résistance, mi-Frères musulmans ».

C’est l’impact sur Le Caire qui inquiète les spécialistes, d’autant plus que la mobilisation contre la cause palestinienne ne dessert pas ses intérêts régionaux. L’Egypte avait, pendant des décennies, fait de son rôle dans le conflit israélo-arabe le pivot de son poids dans la région. Abdel-Méguid met d’ailleurs en garde contre une mobilisation patriotique radicale qui serait similaire à celle, religieuse, des années précédentes et qui a engendré l’extrémisme dans la région et en Egypte. « Cette politique contribue à créer une mobilisation artificielle, sans base réelle et qui va engendrer une situation de haine chauviniste difficile à contrôler. C’est ce que nous disent les expériences des autres pays ».

La vague d’extrémisme sera remplacée par une xénophobie à travers l’exaltation de la théorie du complot, et finira, d’après Abdel-Méguid, par « cibler les Egyptiens eux-mêmes ».

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