« Mes débuts d’apprentissage de la langue arabe ont eu lieu à l’Université d’Aix-en-Provence, où j’ai poursuivi mes études supérieures. J’ai suivi des cours d’arabe littéraire, au total 160 heures, mais j’ai trouvé que ce n’était pas suffisant pour apprendre à parler cette langue de manière fluide. C’est pourquoi j’ai choisi l’Egypte pour développer mes compétences en arabe dialectal. De plus, apprendre l’arabe égyptien présente plusieurs avantages, comme celui de communiquer avec les locaux, car c’est le dialecte le plus compris dans les pays arabes », décrit Timothée Eloy, étudiant en sciences politiques. Il a décidé de venir en Egypte et de passer une année sabbatique pour apprendre l’arabe à l’Institut français dans le quartier de Mounira et le pratiquer au quotidien.
Timothée explique qu’en Egypte, les cours d’arabe ont un volume horaire de 30 heures par semaine, alors qu’en Tunisie ou en Jordanie, il n’y a que 15 heures par semaine. Durant son année d’apprentissage, il a vécu à Mounira, un ancien quartier du Caire proche du centre-ville, où il passait habituellement 4 heures par jour dans le café de Saeed Halawa, situé à 100 mètres de chez lui.
« J’ai appris par des amis en France qu’en Egypte, les gens sont ouverts d'esprit et chaleureux vis-à-vis des étrangers. Il est donc facile de communiquer avec eux et d’engager une conversation, surtout qu’ils sont connus pour leur sens de l’humour », s’exprime Timothée. Au café Saeed Halawa, « Timo » a tissé des liens d’amitié avec des Egyptiens. La rencontre quotidienne avec des personnes d’une autre culture avait créé des situations amusantes et inattendues que Abdel-Rahman Saad, l’ami de Timo, a exploitées en réalisant des vidéos comiques sur TikTok. « Ces vidéos montrent que je parviens à parler l’arabe dialectal et l’argot que les jeunes utilisent pour communiquer », raconte Timo. La présence de Timo, qui a l’apparence physique d’un Européen, sur TikTok a attiré l’attention des spectateurs, impatients de découvrir ses réactions avec son ami Abdel-Rahman. Des milliers de likes ont été envoyés à Timothée, qui a fait l’effort de parler la langue locale, même avec un accent occidentalisé !
Actuellement, il donne des cours de français à des émigrés arabes à Marseille qui souhaitent apprendre le français, tout en poursuivant ses études en sciences politiques. Il espère décrocher un diplôme en arabe littéraire et continue de l’étudier en France pour se perfectionner en cette langue et éviter d’oublier tout ce qu’il a appris en Egypte.
Le rôle des réseaux sociaux
D’autres ont choisi de débuter leur apprentissage par l’ouïe. Enfant d’un couple mixte, Maeva a eu la chance d’apprendre deux langues simultanément. Elle a appris la langue en l’écoutant et en la comprenant sans savoir l’écrire, ce qui lui a facilité l’apprentissage de la lecture et de l’écriture plus tard. « Ma connaissance du dialecte égyptien m’a aidée, car certains mots et racines sont issus du latin, donc proches du français, qui est une langue latine. L’arabe recèle plusieurs mots d’origine latine. L’enseignement académique m’a fourni les bases nécessaires pour apprendre l’arabe efficacement et le maîtriser. Mon objectif à long terme est de travailler dans le domaine de la solidarité internationale, en lien avec le monde arabe », décrit Maeva Nassar, étudiante à la Sorbonne qui prépare une double licence Histoire-Arabe. Etant franco-égyptienne, son oreille s’est déjà familiarisée avec l’alphabet et les sons arabes, ce qui lui a facilité l’apprentissage de l’écriture. Lorsqu’elle a du temps libre, elle suit des feuilletons et des films égyptiens et parcourt les réseaux sociaux pour lire de petits textes à voix haute et se concentrer sur la prononciation des mots. Le fait d’envoyer des messages en arabe sur WhatsApp lui a permis d’utiliser de nouveaux mots dont elle a appris le sens.
Clara est traductrice suisse. Elle s’est accrochée à l’arabe depuis son enfance. « C’est l’une des plus belles langues au monde, en plus incroyablement logique et poétique », affirme-t-elle. Elle a commencé son cursus d’apprentissage dans une école privée en Suisse. En rejoignant l’Egypte, elle continue de prendre des cours d’arabe en séances privées. Durant son long séjour d’un an, Clara souhaite s’intégrer culturellement. Pour améliorer sa lecture, elle passe son temps à lire les pancartes publicitaires accrochées dans les rues ou dans le métro. Elle aime aussi écouter les belles voix des présentateurs qui prononcent chaque mot clairement sur les stations de radio Sawt Al-Arab (la voix des Arabes) et Al-Sharq Al-Awsat (le Moyen-Orient). Elle essaie parfois de réécrire des phrases qu’elle a entendues à la radio.
Entre le littéraire et le dialectal
Cependant, pour les francophones, certains défis s’imposent. Beaucoup de francophones qui aspirent à devenir arabophones doivent surmonter le plus grand défi : distinguer entre l’arabe fosha (littéraire) et l’arabe ammiya (dialectal), que l’on parle au quotidien. Pierre-Luc, journaliste canadien, est arrivé en Egypte au début des années 1990 pour travailler en tant que reporter alors qu’il ne connaissait aucun mot en arabe. « Lors de mes études secondaires et universitaires, j’ai appris 4 langues : le français, l’allemand, l’anglais et l’espagnol, mais l’arabe a été un véritable défi. Je voulais comprendre la culture égyptienne et m’intégrer rapidement dans la société », précise Pierre-Luc. A l’époque, il s’était inscrit à l’International Language Institute (ILI). Au bout de 6 mois, il a réussi à parler l’arabe dialectal égyptien. Mais avant de rejoindre l’équipe d’Al-Ahram Hebdo, il a passé 9 mois à étudier l’arabe standard au Département de l’Enseignement de l’Arabe Contemporain (DEAC) à l’Institut français de Mounira. Son niveau a progressé.
Par la suite, Pierre-Luc est parti étudier l’arabe à la Sorbonne. Là, il a eu comme professeur Frédéric Lagrange, qui avait étudié l’arabe en Egypte et à Damas, en Syrie. Ce dernier, selon Pierre-Luc, était doué en dialecte égyptien et il écrivait et parlait aussi l’arabe standard. « Mais ce qui m’a permis de progresser, c’est de parler avec les autres, de ne pas avoir peur de faire des erreurs, d’aller de l’avant et d’accepter d’être corrigé », mentionne Pierre-Luc. En fin de compte, il est satisfait de son arabe, qui lui sert actuellement pour lire les journaux, s’informer sur l’actualité, comprendre et analyser des articles de presse. Aujourd’hui, il est le gérant de la galerie Loft et joue des rôles dans des feuilletons ou des courts métrages où il incarne des personnages au look européen, mais l’arabe reste la langue qui lui tient le plus à cœur.
Le rôle pionnier de l’IFE
L’apprentissage de l’arabe pour les francophones existe depuis des décennies en Egypte. L’Institut Français d’Egypte (IFE) a créé en 1982 le Département de l’Enseignement de l’Arabe Contemporain (DEAC). « L’immersion culturelle et linguistique peut grandement faciliter le processus d’apprentissage de l’arabe. Quatre niveaux sont réservés aux débutants pour apprendre l’arabe. 85 % des étudiants sont des Français. Il est possible pour d’autres nationalités de suivre ces cours de la langue arabe, même s’ils ne sont pas francophones », affirme Ali Mouhoub, Directeur du DEAC à l’IFE.
M.Mouhoub précise que les demandes ont considérablement augmenté. 120 étudiants sont inscrits chaque année, alors que le nombre de demandes atteint les 200. Plusieurs établissements universitaires, comme l’INALCO, la Sorbonne, Lyon et d’autres, ont signé des conventions avec l’IFE pour que leurs étudiants apprennent la langue arabe en Egypte. Durant le cursus d’apprentissage, des activités culturelles, touristiques et sociales permettent aux étudiants de pratiquer cette langue. Ils font parfois des comptes rendus en arabe pour évaluer leur niveau ou l’améliorer pour ceux qui sont plus faibles. « Passer deux semaines de séjours linguistiques à Louqsor est nécessaire durant le cycle de formation. Des sujets s’élaborent et des échanges linguistiques entre étudiants arabophones et francophones permettent de parfaire le langage des étrangers », souligne M.Mouhoub. Il ajoute qu’il ne faut pas oublier le rôle de la documentaliste Nourane Dessouki, qui prépare un agenda hebdomadaire sur les événements culturels ayant lieu au Caire, afin que les étudiants du DEAC puissent y participer et faire un compte rendu des activités se font uniquement pendant le Ramadan pour vivre la vie culturelle et nocturne au Caire.. Ces résumés sont relus à ceux qui n’ont pas assisté à l’activité pour que tout le monde puisse profiter des différents niveaux en matière de langue arabe.
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