Tenir une exposition du grand peintre et graveur Abdel-Wahab Morsi (1931-2021) signifie documenter une riche partie de l’histoire de l’Egypte. C’est la mission à laquelle s’est donnée la galerie Yassin, à Zamalek, en montrant une trentaine de ses grands formats, datés entre 1950 et 2010. L’artiste empruntait souvent ses thèmes et motifs au monde rural et à l’Egypte Ancienne. Son univers était riche en signes et en symboles.
Dans le catalogue de l’exposition, on reprend une citation de l’un de ses pairs, également disparu, qui est Hussein Bicar. « La rugosité qui émerge de ses tableaux a une grande influence sur l’âme. Cela provient de ces matériaux qui nous placent devant les murs d’un ancien temple ... C’est comme s’il s’agissait des échos d’une ancienne civilisation qui insiste à s’étendre au XXe siècle », dit Bicar. Et d’ajouter : « Je l’ai connu alors qu’il travaillait dans le service des antiquités égyptiennes entre 1958 et 1976. Il vivait au quotidien avec les dessins de l’Egypte Ancienne. C’était l’air qu’il respirait, qui remplissait ses poumons et aiguisait son imagination ».
Les oeuvres sont exposées dans la galerie selon un ordre chronologique afin de révéler l’évolution de l’artiste à ceux qui découvrent son art. Car Morsi prônait constamment le retour aux sources. Après des études aux beaux-arts du Caire, il a rejoint l’Université de San Fernando en Espagne vers 1971, a exposé un peu dans le monde entier, mais il a fini par rentrer en Egypte.
L’une de ses plus belles peintures, à la galerie Yassin, réalisée en 1973, laisse entrevoir une influence occidentale ; cependant, Morsi ne perd jamais le nord, ses yeux restent rivés sur sa terre natale. Cela se ressent à travers la toile, montrant un taureau battu par un matador. Les lignes errantes sont lancées avec audace, dans une aventure avant-gardiste.
La mariée, 1959.
La technique à base de sable
Certaines de ses peintures murales sont vues comme un voyage dans les secrets sacrés des temples pharaoniques. Il use de la technique à base de sable, qui lui est chère. En passant d’une fresque à l’autre, en les contemplant de près, il nous invite à décrypter ses grands mystères. L’enduit chaux sable, qui caractérise ses oeuvres, a l’avantage de s’adapter au bâti de ses peintures murales à l’ancienne, leur offrant une texture rigoureuse proche de celles des temples pharaoniques. « Cette technique a assuré la protection de ses toiles, on a l’impression qu’elles respirent toujours », explique Hani Yassin, le propriétaire de la galerie.
L’enduit dont se sert Morsi dans ses fresques sablonneuses est un enduit naturel, né de la poussière du Sahara et de la terre égyptienne, aux tons ocre. L’énorme tête d’une villageoise, signée 1982 ; des dieux et des déesses pharaoniques dans des scènes d’offrande, des scènes de musique et de danse, avec tambour, sistre, lyre, harpe ... Des figures nubiennes. Des écritures hiéroglyphiques. Des amulettes. Des totems, etc. Le tout flotte dans un agencement harmonieux, sur une surface rugueuse, l’artiste étant un maître incontesté des textures picturales.
Gravures lumineuses
Ensuite, dans une autre salle, on passe à des peintures-gravures, encore plus lumineuses. Cette série ressemble à une épopée picturale, à une fresque pharaonique, à une symphonie de couleurs. Car celles-ci revêtent chez Morsi la même importance que chez les anciens. Elles ont une valeur symbolique et incarnent des phénomènes naturels : le jaune du soleil, le rouge du désert, l’orange du soleil et le vert de la végétation.
La série est exécutée selon la technique des « viscosités », de quoi donner l’impression aux visiteurs qu’elle est fabriquée à partir de papyrus. Voilà une autre technique chère à Morsi, laquelle est capable de résister avec magnificence au temps.
La galerie présente également quelques-unes de ses oeuvres inspirées de la culture rurale et du monde villageois, ses traditions, ses rituels et ses croyances religieuses.
L’artiste avait un atelier dans l’ancien bâtiment du Mossaferkhana, à Gamaliya, au coeur du vieux Caire fatimide, entre 1958 et 1974. Ce lieu était une belle source d’inspiration et lui a permis de varier les motifs populaires dans ses tableaux : poisson, coq, crocodile, pigeon, vache, palmier ... Ces touches populaires, doublées de sa prouesse technique, trouvent leur apogée dans la phase qui a commencé autour de 1999-2000, lorsqu’il s’est lancé dans une nouvelle aventure. Il a adopté un nouveau réalisme égyptien, que ses admirateurs appellent le « morsisme » et que la galerie a tenu à représenter dans son actuelle exposition.
Jusqu’au 10 octobre, de 10h à 21h, à la galerie Yassin. 159, rue 26 Juillet, Zamalek.
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