Il est au comble de la joie. La sixième édition du festival international Medfest, dont il est le directeur et cofondateur, vient de prendre fin et a été une réussite. Il s’agit d’une initiative, mêlant cinéma et médecine, qu’il a lancée avec un autre ami soudanais vivant en Angleterre, également docteur et passionné du septième art.
Ce festival ressemble pour beaucoup à sa personnalité à multi facettes. Car Mina Reda El-Naggar est médecin nutritionniste, comédien et alpiniste, et a le goût de l’aventure sous la peau. « Pour moi, la médecine et le cinéma sont les deux domaines qui s’occupent le plus de l’Homme. Ils sont basés sur l’analyse et l’observation. En médecine, on procède au diagnostic en faisant des analyses ou plutôt en menant une investigation détaillée sur l’histoire médicale du patient. Au cinéma, il faut analyser et interpréter les relations humaines, sans tomber dans le piège de la sensibilisation directe et des leçons de morale. Si on suit une histoire d’amour entre deux personnages, on peut comprendre comment est né ce rapport entre eux. Les deux domaines visent à promouvoir les conditions des hommes, l’un à l’échelle de l’hygiène et la santé, et l’autre agit sur la conscience », souligne-t-il.
L’histoire du festival remonte à 2017. El-Naggar explique : « L’idée a germé bien avant cette date. A travers des amis, j’ai fait la connaissance du médecin soudano-anglais Khaled Ali qui s’intéresse aussi au cinéma. Un homme très intéressant que j’ai rencontré en regardant un film au cinéma Zawya, au centre-ville du Caire. Nous avons passé des heures à discuter autour du film. Cette année, il devait assister au festival de Dubaï, alors j’ai décidé moi aussi d’y aller. Nous avons passé des soirées entières à discuter de films relatifs à la médecine. Partant de cette idée, nous avons eu l’idée d’organiser une soirée dédiée à la projection de films en lien avec les soins hygiéniques. C’était en 2016 et la soirée a eu un grand succès. On ne s’y attendait pas. Et Medfest a vu le jour l’année suivante ».
Au départ, l’organisation, le financement, les sponsors … Tout ce qui est relatif à la création d’un festival n’était pas facile pour une équipe formée essentiellement de trois personnes : El-Naggar, Khaled Ali et Catherine Medhat qui s’occupait en grande partie de la programmation. « On s’autofinançait. Je me rappelle qu’à l’époque, je travaillais comme médecin dans une clinique privée pour gagner ma vie et réserver un peu d’argent au festival ».
D’autres personnes se sont jointes au groupe de base et l’ont aidé à sélectionner des films, contacter des cinéastes et tenir des rencontres-débats tout public, avec des artistes et des médecins. Et les activités se déroulaient d’abord au Caire, ensuite quelques projections se passaient à Alexandrie.
A la deuxième édition, l’équipe du festival a voulu se rendre aussi en province, notamment en Haute-Egypte, et on a commencé à sous-titrer les films en arabe. Mina s’est adressé aux facultés des langues, à l’Université de Aïn-Chams, à la recherche de 60 volontaires pour assurer la traduction. Leur budget couvrait à peine les frais du festival, mais El-Naggar cherche toujours à aller au bout de ses rêves. Il a collaboré avec des cinéastes tels Amir Ramsis, Hala Galal, Mervat Abou-Auf, Hani Khalifa et d’autres, pour animer des discussions en Haute-Egypte sur des thèmes qui se placent entre cinéma et médecine. « Ma famille est originaire de la ville d’Al-Mahalla, dans le Delta du Nil. J’avais hâte de découvrir les provinces, leurs identités culturelles authentiques. Aujourd’hui, malheureusement, certains de ces aspects disparaissent car on cherche à imiter la capitale en tout. D’autres aspects sont déformés à cause des conditions socioéconomiques. Il faut préserver ces sous-cultures et fournir aux jeunes de ces lieux des moyens qui leur assurent la liberté d’expression », affirme Mina El-Naggar, qui a réussi ces derniers temps à maintenir certaines activités du festival tout au long de l’année à Sohag, Minya, Béni-Soueif, Mansoura, Port-Saïd et Damanhour.
Fils du grand réalisateur Reda El-Naggar, disparu subitement il y a plusieurs années, et neveu du scénariste Karam El-Naggar, Mina n’a de cesse de développer ses talents de comédien loin des girons de sa famille. Il a fait du théâtre à l’école et à l’université. Il a pris part à plusieurs expériences théâtrales au centre Hanaguer, accueillant les oeuvres des troupes indépendantes, et il passait des auditions pour des séries télévisées et des courts métrages … Et souvent, il se présentait uniquement comme Mina Reda pour ne pas investir le nom de son père. « A la maison, mes parents avaient une grande bibliothèque où étaient rangés les chefs-d’oeuvre universels et classiques, à la portée de mes mains. J’empruntais aussi des livres chez mon oncle, en toute discrétion, et on en discutait. Après le bac, mon amour pour les arts dramatiques était un simple loisir et j’ai étudié la médecine car j’y trouvais une noble mission ».
Son père l’a fortement encouragé. Il l’a aidé à prendre sa décision en lui disant : « Tu peux toujours revenir à l’art quand tu veux, ce qui n’est pas le cas pour la médecine qui exige de longues études ».
Durant les six ans passés à la faculté de médecine, il a continué à jouer en tant que comédien-amateur. Il jouait avec la troupe de la faculté de communication à l’Université MUST de la science et la technologie. Car les étudiants en médecine n’avaient pas leur propre troupe de théâtre. Chaque année, il participait à deux pièces et à un court métrage. Son nom brillait en tant qu’artiste en herbe. Et aujourd’hui, il espère parvenir à faire une carrière satisfaisante en tant que comédien, notamment après le succès qu’il a remporté dans la série TV Rivo, récemment diffusée sur plusieurs chaînes et plateformes.
En jeune médecin, Mina a commencé par choisir la médecine légale. « J’hésitais entre urgence, soins intensifs, laboratoires et médecine légale. Pour moi, les deux premiers étaient très difficiles. L’idée de se retrouver en face d’un patient qui souffre d’une douleur et que je n’arrive pas à secourir me bloquait. Or, je n’avais aucun problème à approcher un cadavre. Au moins, lui, il ne souffre pas devant mes yeux. En plus, c’est un domaine plein de mystères et de recherches. Donc, j’ai opté pour la médecine légale ».
Il enseignait à l’université privée MUST et jouait en même temps avec ses étudiants, lorsqu’il y avait une performance. « Je projetais un film de suspens et demandais à mes étudiants de résoudre l’énigme : comment la victime a-t-elle été tuée ? Ou comment déchiffrer un crime ? ». Ainsi, il passait sa vie entre l’enseignement universitaire et la morgue de Zeinhom.
Mais au lendemain de la Révolution de 2011 et la violence répandue dans le pays, Mina El-Naggar a décidé de prendre un tournant et de se convertir aux études sur la nutrition. « La violence était insupportable ! Le fait d’examiner des cadavres, avec 36 coups de couteau, était injustifiable. C’était pénible ! Alors, j’ai changé de carrière. J’ai pensé aussi à l’aspect financier, car le nutritionniste gagne plus d’argent ». Mina discute longuement avec ses patients avant de leur indiquer un protocole de nutrition qui leur convient. « Je cherche à comprendre les désirs des personnes qui viennent me voir et à leur faire comprendre les besoins de leur corps. Auparavant, les gens étaient soucieux de suivre simplement des régimes alimentaires pour perdre ou gagner du poids. Mais aujourd’hui, le domaine est devenu beaucoup plus sophistiqué, et la culture du bien-être s’est nettement développée », évoque le nutritionniste et comédien, qui est aussi un aventurier en ses temps de loisir. Il aime faire des randonnées et pratiquer l’alpinisme. « Cela a débuté avec une tournée en tant que comédien avec la pièce La Waqt lel Fan (il n’y pas de temps pour l’art) de Leila Soliman, en 2012. On s’est produit pendant trois ans dans de différents pays. A mon retour, j’ai senti que quelque chose me manquait atrocement, je voulais voyager de nouveau. Je n’avais qu’une obsession : voir le lac Tana avant la construction du barrage éthiopien ».
Mina El-Naggar a ensuite découvert la Côte-Est de l’Afrique à travers une série de voyages successifs. Et en Tanzanie, ce fut l’aventure de l’ascension du mont Kilimandjaro.
Il y a quelques jours, Mina est parti à la recherche d’une nouvelle aventure. Il a effectué une randonnée de plus de 300 000 km entre l’Espagne et le Portugal. « L’idée est de bien gérer le temps entre ma clinique, les activités de Medfest, ma carrière de comédien, les tournages et mes voyages », conclut Mina, qui se prête à un vrai jeu d’équilibriste.
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