Al-Ahram Hebdo : Depuis le 7 octobre, le Liban est confronté à des défis économiques sans précédent et des pertes dépassant les 10 milliards de dollars, selon les estimations préliminaires, un chiffre qui représente plus de la moitié du produit intérieur brut du pays. Quelles sont les répercussions de l’escalade actuelle sur les secteurs vitaux au Liban ?
Ayman Omar : La guerre israélienne contre le Liban a connu deux phases. La première avait une portée géographique limitée, elle était située à quelques kilomètres du sud du Liban, puis dans sa deuxième phase, elle s’est étendue à de nombreuses zones, dont la banlieue sud de la capitale, Beyrouth. Chaque phase a des répercussions spécifiques. L’agriculture fait partie des secteurs touchés, le sud du Liban est un centre agricole qui représente à lui seul 21,5 % des superficies cultivées du pays, et les plaines de Marjaayoun et de Wazzani, situées sur la bande frontalière adjacente à Israël, fournissent environ 30 % des besoins du marché local. Ce secteur constitue également une source de revenus pour environ 70 % de la population du sud du Liban. La guerre empêche les agriculteurs d’accéder à leurs terres pour faire leurs récoltes. Les raids israéliens dans le sud emploient du phosphore blanc, une substance interdite internationalement qui contamine les sols, les eaux souterraines et détruit la végétation. En parallèle, la perte de dizaines de milliers d’emplois agricoles, le dysfonctionnement de l’économie et la récession persistante depuis 2019 aggravent considérablement la situation économique.
— Quel avenir pour le secteur du tourisme au Liban qui a montré des signes de reprise en 2024, malgré les défis économiques et politiques ?
— Le secteur du tourisme est l’un des plus importants de l’économie libanaise, et c’est le plus touché. Les mouvements touristiques sont actuellement limités aux seuls expatriés libanais, les touristes étrangers et ceux de la région du Golfe sont quasi inexistants. Les pertes sont estimées à environ 3,5 milliards de dollars, ce qui représente environ 50 % des revenus touristiques du Liban générés au cours de l’année écoulée. Si la guerre continue jusqu’à l’hiver, cela signifie l’élimination du tourisme hivernal et une perte économique estimée à environ 450 millions de dollars. Avec l’intensification des bombardements, l’activité à l’aéroport de Beyrouth est devenue quasi nulle. Cette situation pourrait s’étendre aux ports de Beyrouth et de Tripoli en cas de blocus maritime, ce qui aurait pour conséquence de restreindre l’approvisionnement de la plupart des produits, en particulier les denrées alimentaires.
— La guerre à Gaza a eu un impact significatif sur le commerce et le transport dans la région. Dans quelle mesure le Liban a-t-il été affecté par les tensions actuelles dans ces deux secteurs ?
— La guerre à Gaza a entraîné une augmentation des coûts de transport maritime et d’assurance. Le Liban, dont les importations en provenance de Chine et les exportations à destination des Emirats arabes unis transitent par la mer Rouge et le Canal de Suez, a été particulièrement touché par les troubles dans cette région. Les tensions en mer Rouge ont eu des répercussions directes sur les chaînes d’approvisionnement libanaises, se traduisant par des retards considérables dans l’arrivée des marchandises importées. Ces troubles ont non seulement mis en péril l’approvisionnement du marché local, mais également pénalisé les exportateurs. En parallèle, les coûts logistiques ont explosé : le prix des conteneurs dans le transport maritime a doublé, passant de 2 000 à 4 000 dollars en moyenne, et les primes d’assurance ont enregistré une hausse vertigineuse de près de 700 % en raison des risques accrus liés aux conflits.
— Selon vous, de quoi le Liban a-t-il besoin pour résister à l’agression israélienne ?
— La résistance à l’agression israélienne nécessite la disponibilité de plusieurs éléments. Sur le plan sanitaire, il est impératif de renforcer les capacités hospitalières en termes de matériel, de médicaments et de ressources humaines. La pénurie de personnel médical, estimée à 55,8 %, due à l’exode et à un manque d’investissement, constitue un défi majeur. En plus, la disponibilité des produits de première nécessité tels que les aliments, l’eau et le carburant est cruciale, surtout en cette période hivernale où la consommation augmente. La guerre menace d’interrompre les chaînes d’approvisionnement , rendant l’aide internationale indispensable. Concernant l’électricité et l’eau, les Libanais se sont habitués au rationnement électrique et aux coupures de courant constantes. Malgré ces défis, l’unité nationale est un atout précieux pour faire face à cette épreuve.
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