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Le pari manqué du Hamas

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 10 mars 2014

Ayant tout misé sur les Frères musulmans d’Egypte et sur le Qatar, le Hamas paie aujourd’hui le prix fort de son alignement. Le mouvement islamiste palestinien se retrouve face à un isolement croissant sur la scène régionale.

La vie semblait si réjouissante à Gaza le jour de l’élection de Mohamad Morsi. La victoire du candidat des Frères musulmans, auxquels le Hamas est lié idéologiquement et historiquement, a été fêtée en grande pompe dans toute la bande de Gaza. Pour le mouvement islamiste, Morsi était un allié de poids susceptible de lui donner un appui politique pour légitimer son pouvoir aux yeux du monde entier. Le contexte était favorable au Hamas avec l’émergence de l’islam politique dans plusieurs pays de la région. Et le Hamas se positionnait du côté des gagnants des révolutions arabes. Cette nouvelle donne a obligé le mouvement, comme l’explique Saïd Okacha, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, à s’adapter en changeant ses alliances régionales. « Le Hamas n’a pas affiché le moindre remords en rompant sa relation avec l’axe qu’il appelle l’axe de la résistance ou du refus, c’est-à-dire le trio Syrie-Hezbollah-Iran, cette alliance qui a tant inquiété les Etats-Unis et Israël, et qui a protégé le mouvement pendant de nombreuses années. Il a par contre essayé de renforcer ses liens avec les alliés régionaux, à savoir les Frères musulmans, le Qatar et la Turquie, amis des Américains », explique Okacha.

La rupture avec l’axe de la résistance s’est faite progressivement depuis le déclenchement de la révolution en Syrie. Le chef du bureau politique, Khaled Mechaal, qui résidait à Damas depuis 15 ans, avait décidé de couper les ponts avec le régime syrien, qui accusait le Hamas d’être impliqué dans des combats aux côtés de l’opposition, en quittant le pays en direction de Doha en janvier 2012, avec l’ensemble de son bureau. Il a perdu par conséquent son plus grand pourvoyeur de fonds et d’armes, l’Iran, le puissant parrain de Damas et du Hezbollah libanais.

Aide de 400 millions de dollars

Pour Okacha, ce renversement d’alliances n’était pas très grave pour le Hamas, qui trouvait dans ses nouveaux alliés Frères musulmans « des donateurs financiers alternatifs ». Franchissant le terminal de Rafah, l’émir du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al-Thani, s’est rendu en personne à Gaza, pour annoncer une aide de 400 millions de dollars pour des projets dans la petite bande sous contrôle du Hamas. Le régime turc, à l’époque soucieux d’apparaître comme une puissance régionale, apporte aussi au mouvement depuis 2012 un soutien financier non négligeable.

Mais le grand appui politique venait du Caire. C’est grâce à la médiation réussie de Morsi entre Israël et le Hamas que ce mouvement est sorti nettement renforcé de son dernier affrontement avec Israël en 2012.

Pour l’écrivain et politologue Hassan Abou-Taleb, cette alliance, que le Hamas considérait comme une victoire historique en privilégiant son appartenance à la confrérie des Frères musulmans au détriment de sa qualité de mouvement de libération, lui faisait perdre chaque jour une popularité en Egypte ainsi que dans la région arabe.

Un an après, tous les rêves politiques du Hamas se sont évaporés. Le régime des Frères musulmans est tombé et la porte vers l’Egypte est aujourd’hui fermée. « Le Hamas a fait un mauvais calcul en croyant que l’islam politique dans la région et le règne des Frères allaient durer. La chute de Morsi et l’opposition croissante aux islamistes en Tunisie ont coupé l’herbe sous le pied des Frères musulmans du Maghreb jusqu’au Golfe », dit Okacha.

Moins d’intérêt

Le nouvel émir du Qatar, le prince Tamim, a rendu la situation plus critique pour le Hamas, en affichant moins d’intérêt pour le mouvement. Des restrictions sont aujourd’hui imposées à la liberté de mouvement à Doha du chef du Hamas, Khaled Mechaal, par les autorités qatari. Le Hamas craint désormais de perdre l’assistance du Qatar, au cas où l’émirat succomberait aux pressions exercées par l’Arabie saoudite, pour mettre fin à son soutien aux Frères musulmans. Quant à la Turquie, comme l’explique Mohamad Abdel-Qader, spécialiste des affaires turques au CEPS, elle est secouée par des troubles intérieurs, ce qui influencera certainement son soutien au mouvement. Et à la grande surprise du Hamas, le régime syrien a renforcé sa position sur le terrain et le mouvement islamiste s’est retrouvé isolé.

Abou-Taleb pense que le Hamas tente désormais de renouer avec l’Iran et le Hezbollah. Téhéran a ainsi reporté sine die en octobre dernier une visite prévue de Mechaal. L’Iran de Hassan Rohani s’est rapproché des Occidentaux, après l’accord sur le nucléaire, et a même renoué avec l’Autorité palestinienne à Ramallah. Les relations avaient été rompues avec Yasser Arafat dès les années 1980. Et Jibril Rajoub, membre du comité central du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas, était à Téhéran il y a quelques jours.

Un retour du Hamas dans l’axe de la résistance sera cette fois « sujet à des conditions dont la première sera probablement des excuses auprès du régime de Bachar », dit le politologue. Toutefois, pour Okacha, en cas de retour, le Hamas n’aura plus sa place centrale d’autrefois.

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