Chose promise, chose due. Israël avait assuré qu’il lancerait une guerre contre le Hezbollah et il n’a pas tardé à passer à l’acte. Depuis une semaine, soit depuis l’explosion simultanée de bipeurs utilisés par des membres du Hezbollah, mardi 17 septembre, suivie de celle de talkies-walkies le lendemain (40 morts et quelque 3000 blessés au total), puis de l’assassinat, vendredi 20 septembre, du commandant des opérations du Hezbollah, Ibrahim Aqil, tué lors d’une opération israélienne dans la banlieue sud de Beyrouth, la situation ne cesse de se détériorer: des frappes massives israéliennes qui ont fait quelque 500 morts côté libanais pour la seule journée du lundi; des centaines de roquettes tirées par le Hezbollah sur Israël en représailles, ciblant notamment des régions plus en profondeur en Israël.
Dans un signal que la tension va crescendo, Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, a conseillé aux civils libanais de rester à l’écart des zones ciblées, promettant des frappes « plus importantes et plus précises », alors que le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a annoncé « une nouvelle phase de la guerre ».
Mais pourquoi cet acharnement maintenant ? « Parce qu’Israël a besoin de détourner les regards de ce qui se passe à Gaza, c’est une façon d’échapper aux pressions accrues pour qu’un accord de trêve soit trouvé à Gaza d’autant plus que c’est toujours Israël qui sabote les efforts de trêve. Une sorte de fuite en avant qui risque cependant d’élargir la guerre », répond Dr Rabha Seif Allam, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, spécialiste du Liban. Avis partagé par Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques, qui précise : « A l’approche de l’anniversaire du 7 octobre, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, veut ouvrir un nouveau front pour cacher ses échecs à Gaza étant donné qu’il n’a réussi ni à libérer les otages, ni à neutraliser Yahya Sinouar. Ce nouveau front lui permet de rester encore au pouvoir ».
Jusqu’où ?
Face à cette dangereuse escalade, les scénarios des jours à venir font l’objet de nombreuses spéculations. Se rapproche-t-on d’un point de non-retour? Se dirige-t-on vers un embrasement général? Selon de nombreux observateurs, la suite des événements reste incertaine. A la question de savoir si Israël entend mener une opération terrestre, Rabha Seif Allam répond: « Cela dépendra des dommages portés au Hezbollah par les frappes. Une campagne aérienne est plus dans l’intérêt des Israéliens, une incursion militaire dans l’intérêt des combattants du Hezbollah, qui maîtrisent évidemment leur propre terrain. Jusqu’à présent, Israël affirme qu’il a déjà ciblé plus de 1 300 cibles militaires du groupe, qu’il a détruit une large partie de ses missiles et qu’il a neutralisé ses principaux responsables militaires. Cependant, rien ne confirme que le Hezbollah a totalement perdu le contrôle. On l’a vu avec les frappes de lundi à l’intérieur d’Israël, ce qui veut dire qu’il possède toujours des missiles à moyenne et longue portée et que la communication n’est pas coupée entre les combattants sur le terrain et leurs supérieurs ».
Or, pour le moment, les roquettes tirées par la milice n’ont fait ni de dégâts importants ni de victimes. D’un côté, parce que les civils israéliens sont dans des abris et que certains missiles ont été interceptés par l’armée israélienne. De l’autre, parce que c’est aussi une tactique voulue par le Hezbollah. A plusieurs reprises, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a indiqué qu’il n’était pas intéressé par un conflit. Il a certes dû changer de ton suite au ciblage des appareils de télécommunications du groupe qu’il a lui-même reconnu comme étant un coup « sévère et sans précédent ».
Pour autant, le Hezbollah ne veut pas se trouver entraîné dans une guerre à grande échelle. « Mais il doit préserver son image. Avec les explosions d’appareils de communication, Israël voulait provoquer le Hezbollah pour qu’il lance des attaques importantes et que ce soit ces attaques qui soient mises en avant lors des réunions de l’Assemblée générale de l’ONU pour donner l’impression que c’est Israël qui subit une agression. Toutefois, la riposte du Hezbollah est restée relativement mesurée, une escalade graduelle, dans les limites des règles d’affrontement, c’est Israël qui accentue la pression », explique Allam. Et d’ajouter : « Ce qui s’est passé pendant la seule journée du lundi 23 septembre prenait auparavant plusieurs jours: les régions du sud puis la Bekaa, puis la banlieue sud de Beyrouth. Ceci veut dire qu’Israël est pressé d’atteindre un certain objectif militaire avant de subir la pression internationale pour baisser la tension. D’ailleurs, je pense que les réactions internationales ont quelque peu tardé pour laisser Israël mener à bien son plan. Tel-Aviv a sans doute convaincu Washington qu’il atteindra ses objectifs militaires en quelques jours seulement à travers une intense campagne. Il y a une complicité américaine ».
Officiellement, les Etats-Unis ont dit qu’ils allaient soumettre des « idées concrètes » pour faire baisser la tension à la frontière Liban-Israël et qu’ils s’opposaient à une invasion terrestre du Liban, a annoncé un haut responsable américain à l’AFP. Mais officiellement aussi, ils soutiennent le sacro-saint droit d’Israël à se défendre...
Quelle corrélation entre les deux fronts ?
Qu’en est-il donc des scénarios à venir? Et quelles sont les visions des deux parties? Selon Allam, il n’est pas dans l’intérêt du Hezbollah que la guerre s’élargisse, mais il est en position délicate. « Face à l’ampleur des attaques et au nombre de victimes de la seule journée de lundi, le Hezbollah se trouve en mauvaise posture et se doit de redorer son image et de mieux se positionner dans de futures négociations. Côté israélien, on table sur une opération éclair qui limite les capacités du groupe ».
Mais les calculs des uns et des autres répondent à une multitude de donnes. Si le Hezbollah est beaucoup plus puissant, militairement parlant, que le Hamas et si ses capacités sont aujourd’hui supérieures à celles qu’il avait lors de la guerre de 2006, l’Etat libanais, lui, est beaucoup plus fragilisé. En parallèle, Israël ne veut certainement pas d’une longue guerre. Et si le Hezbollah parvient à résister, l’Etat hébreu devra revoir ses calculs, d’autant plus que le groupe est bien plus puissant que le Hamas et que l’Iran est davantage prêt à soutenir le Hezbollah qu’à soutenir le Hamas, comme l’explique Rabha Seif Allam.
Ce qui nous ramène à un point crucial : la corrélation entre le front israélo-libanais et le front de Gaza. Dans son dernier discours, Nasrallah a réitéré que le front libanais, ouvert pour soutenir le Hamas, « ne s’arrêtera pas avant la fin de la guerre » à Gaza. « Quels que soient les obstacles et les sacrifices, la résistance au Liban n’arrêtera pas son soutien à Gaza, à la Cisjordanie et à la Palestine », a-t-il lancé. Selon Allam, cette persistance à lier les deux fronts représente aujourd’hui un véritable défi au Hezbollah, d’autant plus que, dans les jours à venir, la communauté internationale oeuvrera à les séparer.
Tous les scénarios restent donc ouverts, le Hezbollah tente aujourd’hui de se ressaisir après les récentes « victoires » israéliennes. L’Etat hébreu entend vite achever la tâche. Mais un dérapage est toujours possible. « Fatiguées par un an de tensions et d’échanges de tirs, ni l’une ni l’autre des deux parties ne veut d’un conflit plus large, mais elles semblent se diriger vers ce scénario », conclut Mona Soliman.
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