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La peur de se regarder dans le miroir

May Sélim, Mercredi, 25 septembre 2024

Dans la pièce Haga Tekhaouf (c’est effrayant), le metteur en scène Khaled Galal aborde les atrocités de la société d’aujourd’hui. Il arrache nos rires et nos larmes, à pas de loup.

La peur de se regarder dans le miroir
(Photo : Hassan Ammar)

Quand Aristote évoque dans son ouvrage La Poétique le rôle d’une représentation théâtrale, il souligne l’importance de l’effet de catharsis, c’est-à-dire la purification de l’âme du spectateur et du comédien par le biais du spectacle. Cet objectif est atteint lorsque les comédiens réussissent à produire un effet sur eux-mêmes et sur le public, suscitant la pitié et la crainte, à titre d’exemple. Cette règle classique a été ressuscitée dans la nouvelle pièce de théâtre de Khaled Galal, Haga Tekhaouf (c’est effrayant), donnée actuellement au centre Ibdae (dans l’enceinte de l’Opéra du Caire), avec une équipe de jeunes talents, issus du studio d’acteurs que gère le metteur en scène.

Galal condamne fortement les atrocités de la société actuelle. De quoi nous faire rire et pleurer pendant deux heures.

La pièce relate l’histoire d’un groupe de voyageurs qui se perd dans un endroit désertique. Ils ne retrouvent refuge que dans un ancien palais macabre. Les voyageurs croient y avoir trouvé un abri et espèrent y passer la nuit, mais l’ambiance est effrayante. Leurs hôtes (un homme et ses deux filles) adoptent une attitude bizarre. L’inquiétude et la méfiance s’installent.


Diffuser des « Reels  » sur les réseaux sociaux, c’est tout ce qui compte  ! (Photo : Hassan Ammar)

Dans le noir, il n’y a pas moyen de s’en sortir. Les voyageurs sont emprisonnés dans des locaux effrayants, les salles sont pleines de miroirs.

Les «  égarés » n’arrivent plus à dormir. Les voix des hôtes qui fusent dans tous les sens sont criardes et alarmantes. Les voyageurs répondent sans réflexion à leurs questions: on n’a rien fait. Et à travers les scènes qui se suivent, on découvre les atrocités et les crimes qu’ils ont commis.

A l’entrée de la salle, les décors sont sombres. On entend la chanson pour enfants Twinkle, twinkle, little star, How I wonder what you are ! (brille, brille, petite étoile, comme j’aimerais savoir ce que tu es !) dans un arrangement nouveau. Le chant devient plus angoissant et les voix qui chantent adoptent un timbre plus méfiant.

La chanson accentue la peur des spectateurs, assis dans le noir. Un éclairage rougeâtre est utilisé pour accentuer l’atmosphère d’appréhension et de méfiance. Les habits des voyageurs sont noirs avec des tâches de poussière.

Chacun des voyageurs passe par un jugement. Au fond de la scène, son double se trouve devant un miroir. Il est temps pour eux de refléter les moments les plus sombres de leur vie. Chacun des personnages raconte son histoire en face du miroir. Chacun simule le crime qu’il a commis, avoue ses fautes et ses actes abominables, perd conscience, puis regagne ses esprits. Les hôtes-fantômes prennent une photo de chaque voyageur, en plein effroi, en poussant de fous rires.

Devant le miroir, chacun voit son image la plus cruelle. La confrontation est donc nécessaire pour que le jugement soit fait et pour que la purification soit accomplie.

Rires et larmes

Les scènes de jugement défilent comme des sketches séparés. Ils sont reliés par une même ligne dramatique qui est le récit-cadre de toute la pièce, à savoir la perte des voyageurs et leur jugement au palais. A travers ces sketchs, Khaled Galal ne cherche ni à présenter simplement une parodie sarcastique qui se moque de la société, ni à pousser le rire à l’extrême. Bien au contraire, le rire est provoqué par l’absurdité des situations et l’excellent jeu des comédiens.

L’une des scènes hilarantes montre Hamo et sa mère, des gens simples vivant dans un quartier pauvre. Hamo parle de manière vulgaire, il tourne des Reels pour les diffuser sur les réseaux sociaux en compagnie de sa mère qui répond à ses aspirations sans trop comprendre ce qu’il fait. Le dialogue entre eux est hilarant, basé sur une suite de malentendus. Pour Hamo, le Reel est une source de richesse et de puissance. En tournant une vidéo avec sa mère voilée, il insiste sur le fait qu’elle regarde la caméra. Il fixe violemment sa tête, au point de lui tordre le cou. Ce qui compte pour lui c’est de continuer à filmer, et par la suite à attirer des fans.

A la fin, il découvre qu’il a tué sa mère de ses propres mains! La scène qui nous faisait rire au départ finit par déclencher nos larmes.

Un autre sketch douloureux est celui des hommes âgés abandonnés par leurs fils dans une maison de retraite. Deux d’entre eux jouent aux échecs, puis se disputent. Ils appellent leurs fils au téléphone et chacun se plaint de l’attitude de son ami. Les fils les réprimandent et refusent de venir régler la situation. Les vieux copains essayent de cacher leur déception et se vantent de la relation qu’ils entretiennent avec leurs fils. Ces derniers sont convoqués après la mort de leurs parents. D’où une scène assez touchante où les enfants sont rongés par le remord.

Chacun des voyageurs est condamné pour son indifférence, son égoïsme, son arrivisme... Au lever du jour, ils se retrouvent ensemble dans le hall du palais. C’était un cauchemar? Une confrontation avec soi? Avant de chercher les portes de sortie, ils décident de ne plus renoncer à leur humanité et de ne plus agir de la même façon. Ils veulent tourner la page et commencer une nouvelle vie, plus humaine.

Tous les jeudis, vendredis, samedis et dimanches, à 21h, au centre Ibdae, terrain de l’Opéra, Guézira.

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