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Ces seniors qui se marient !

Chahinaz Gheith , Mercredi, 25 septembre 2024

Aujourd’hui, les seniors sont de plus en plus nombreux à se marier ou à refaire leur vie pour échapper à la solitude. Focus sur ce phénomène du mariage de compagnie, à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées.

Ces seniors qui se marient !
Le mariage des personnes âgées signifie compagnie et stabilité.

« Le mariage est pour moi une sécurité psychologique, voire un soutien émotionnel et physique. La vieillesse représente l’une des périodes les plus sensibles et difficiles. Vivre dans la solitude rend ces moments encore plus pénibles », explique Rawiya Mohamad, 65 ans, qui s’est mariée avec Moustapha, 72 ans. Malgré les rides gravées par les années sur son visage, son sourire ne la quitte jamais. Elle parle de son époux avec l’enthousiasme d’une jeune mariée. Elle raconte que son premier mari est décédé il y a 20 ans et qu’elle a deux enfants, l’un vit à l’étranger, l’autre travaille dans une autre province et vient rarement lui rendre visite en raison de ses occupations familiales. Elle est cardiaque et souffre d’une solitude extrême, les jours passent lourdement, lui faisant souhaiter la mort chaque jour. Indépendante depuis toujours, elle ne veut pas finir sa vie dans une maison de retraite. En plus, il n’est pas envisageable pour elle de dépendre de ses enfants ou de devenir un fardeau pour eux avec le temps. « Tout a commencé lorsqu’une amie m’a suggéré d’épouser, comme elle, un homme veuf ou divorcé pour que nous puissions nous tenir compagnie. Au début, j’ai refusé par crainte du jugement de la société, des voisins et de mes enfants, mais après un certain temps, j’ai accepté. Nous sommes donc mariés depuis trois ans. Depuis, ma vie a radicalement changé », explique Rawiya, heureuse aujourd’hui de partager ses jours, regarder la télévision, prendre ses médicaments à temps et sortir ensemble. « Avec l’âge, on sait mieux ce que l’on veut, et aussi ce que l’on ne veut plus », poursuit-elle.

Idem pour Abdel-Khaleq Zaki, qui constate que partager sa vie avec un partenaire lui permet d’être plus heureux et de se sentir aimé. Il a voulu choisir sa vie, tout comme il a choisi sa vieillesse. Débordant d’énergie à plus de 80 ans, cet homme qui ne ressent pas son âge dit : « Y a-t-il quelque chose de mieux qu’une femme pour réchauffer le lit d’un homme ? Peu importe notre âge, nous avons toujours besoin de compagnie. Ce n’est pas parce que nous vieillissons que la vie doit s’arrêter et que l’on doit attendre la mort ». Il a décidé de se remarier après la mort de sa femme et après que son fils unique est parti travailler à l’étranger. « J’ai vécu seul pendant longtemps et j’étais en mauvaise santé mentale. Si j’avais continué à vivre seul, j’aurais risqué de perdre la raison », confie-t-il.

Recherche de partenaire

Quant à Hussein Qadri, âgé de 85 ans, il ne s’attendait pas à retrouver sa fiancée de jeunesse après environ 70 ans de séparation, au cours desquels il a épousé trois autres femmes et son ancienne fiancée s’est mariée avec un autre homme, a eu des enfants, puis des petits-enfants. « Qui a dit que l’amour s’arrête une fois nous devenons senior ? La joie d’être ensemble ne prend jamais une ride », lance ce journaliste et écrivain, qui a clôturé son histoire avec un chapitre heureux en se mariant avec Ismat Sadiq, âgée de 81 ans. « J’aimais Ismat, la fille de mon oncle, depuis notre jeunesse. La famille savait que j’étais son fiancé. Lorsque j’ai demandé sa main en mariage, mon oncle m’a réprimandé en me disant de revenir une fois que j’aurais terminé mes études universitaires. J’ai donc concentré mes efforts sur mes études, j’ai obtenu mon diplôme en ingénierie et je suis retourné chez mon oncle pour demander des nouvelles de ma fiancée. Mais il m’a surpris en me disant qu’elle s’était mariée il y a quatre mois avec un autre homme. Depuis lors, je ne lui ai plus jamais demandé de nouvelles et je me suis concentré sur ma carrière », raconte Qadri, qui a épousé trois femmes, toutes décédées, et a vécu seul pour plus de 20 ans entre Le Caire et Londres, sans enfants. Puis, il a retrouvé Ismat après toutes ces années, maintenant grand-mère. Il lui a proposé de se marier avec lui après la mort de son mari et elle a accepté, ravivant ainsi leur histoire d’amour après environ 70 ans.

Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à s’unir, offrant ainsi à leur vie sentimentale le souffle d’une seconde jeunesse.

En effet, le phénomène du mariage de compagnie parmi les personnes âgées est devenu de plus en plus fréquent en Egypte ces dernières années. Ce type de mariage représente une lueur d’espoir pour une vie paisible et heureuse, redonnant aux personnes âgées la capacité de s’adapter à leur stade de vie afin de sortir de l’isolement et du sentiment de dépression qui les transforment en spectres désespérés attendant la mort à chaque instant. Dr Inès Ezzedine, professeure adjointe de sociologie à l’Université de Ménoufiya, attire l’attention sur la situation de cette tranche de la population, souvent ignorée, même par leurs propres enfants, lesquels sont emportés par le tourbillon de la vie, préoccupés par l’avenir et ses ambitions sans fin. Selon elle, vivre en communauté est essentiel pour la santé mentale de ceux qui ont perdu leur partenaire de vie. Le parent ou le grand-parent qui cherche à se remarier à cet âge recherche en réalité de la compagnie, du réconfort et le désir de se sentir important aux yeux des autres, ce n’est pas donc une sorte de déclin mental. Si certains pensent que les centres de soins et les maisons de retraite sont les meilleurs lieux pour ces personnes âgées, la réalité est différente. Cependant, Ezzedine explique que les raisons pour lesquelles les femmes recherchent un partenaire diffèrent de celles des hommes. Les femmes sont poussées par le besoin de sécurité et de protection, tandis que les hommes recherchent de la compagnie, une conversation et souvent quelqu’un pour gérer leurs affaires quotidiennes et répondre à leurs besoins alimentaires. Les deux sexes partagent cependant un désir commun, celui de se sentir rassurés par la présence d’un partenaire sous le même toit, d’une personne capable de les secourir en cas de problème de santé. La peur de mourir seul pendant la nuit est une angoisse qui envahit ceux qui vivent seuls, et ce sentiment s’accentue avec l’âge.


Le mariage des seniors contribue à réduire le risque des maladies de la vieillesse.

La société évolue

Selon l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), le nombre de personnes âgées en 2021 était de 6,41 millions (3,41 millions d’hommes et 2,99 millions de femmes), représentant 6,7 % de la population totale. Ce taux est prévu d’atteindre 11,5 % d›ici 2031. Un rapport de la CAPMAS révèle une augmentation du taux de divorce des personnes de plus de 65 ans d’environ 10 % en 2021, soit moins de 1 % du total des divorces. Les mariages ont également augmenté de 2 % dans cette tranche d’âge.

Une tendance qu’explique aisément Dr Iman Abdallah, conseillère en sociologie et relations familiales. « Aujourd’hui, la retraite n’est plus considérée comme la fin de la vie, mais comme une période où tout est possible. L’espérance de vie augmente et les seniors veulent en profiter au maximum. Ils n’hésitent plus à divorcer et à se remarier. La vie maritale des seniors aurait de quoi faire pâlir d’envie les moins de 35 ans. Délivré des obligations que suggère la vie à deux, le couple peut s’épanouir à l’abri des orages du quotidien », affirme-t-elle, ajoutant que le mariage des seniors prend une autre dimension que celui des jeunes couples. A cette étape de la vie, la plupart des impératifs ont été accomplis. Ils ont eu des enfants, acheté une maison, changé de voiture, fait des sacrifices, des choix, vécu des réussites, des déceptions … Bref, la check-list est au complet ! Autrement dit, passés les 60 ans, ils ne promettent ni famille ni stabilité financière, et les défis à relever sont peu nombreux. Selon elle, ces relations amoureuses d’un nouveau genre sont en train de transformer profondément notre société. Il semble que l’évolution de la société a ouvert une nouvelle voie au mariage des seniors. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se tournent vers les groupes de réseaux sociaux sur Facebook pour échapper à la solitude et chercher un partenaire de vie. Certains ont même créé des groupes tels que « Mariage après cinquante ans », « Mariage pour les personnes âgées » et « Veuves et divorcées âgées pour mariage », où les seniors peuvent annoncer leur situation et leurs attentes. Ibrahim Sayed, un veuf de 62 ans, propose en ligne : « Je suis à la retraite, père de quatre enfants mariés, et je vis seul, avec de l’argent et un appartement. Je recherche une femme de moins de 60 ans ». Fatma Mohamad, une femme divorcée de 56 ans, « cherche un homme dans la soixantaine, ayant les moyens et surtout un bon caractère ».


La hausse de l’espérance de vie a changé leur perception de la retraite.

D’autres hésitent encore à se remarier à un âge avancé en raison de la stigmatisation et des critiques de la société. Chadia Abdallah, âgée de 58 ans, explique : « J’ai besoin de compagnie et de soutien, mais mes enfants rejettent l’idée du remariage, la considérant comme inappropriée, voire honteuse. Ils pensent que l’homme qui se mariera avec moi cherchera seulement à profiter de mon argent ». Pourtant, elle n’a pas cédé aux objections de ses enfants et a suivi son désir. Elle a légué son appartement et tous ses biens à ses enfants avant de se remarier. Aujourd’hui, elle trouve du réconfort dans le fait de ne plus être seule et de pouvoir compter sur un partenaire en cas de besoin. Ses enfants ont repris le cours normal de leur vie après avoir été rassurés quant à leur héritage.

Cependant, tout comme il est permis à certains d’aimer la compagnie, d’autres préfèrent la solitude. C’est le cas de Zeinab, 62 ans, qui a divorcé il y a une vingtaine d’années et rejette complètement l’idée de se remarier. « C’est le bonheur total de vivre seule. Je me suis mariée une fois dans ma vie et ce fut assez. Je ne suis pas si folle pour me mettre encore la corde au cou à un âge aussi avancé », conclut-elle.

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