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A l’origine des défaillances de la gouvernance mondiale

Abir Taleb , Mercredi, 18 septembre 2024

Alors que s’ouvre la 79e Assemblée générale des Nations-Unies, les questions relatives à la gouvernance mondiale et à la réforme de l’ONU refont surface. Et attendent des réponses. Décryptage.

A l’origine des défaillances de la gouvernance mondiale

C’est une rencontre à la fois comme les autres et pas comme les autres. La 79e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies, ouverte le 10 septembre et qui se tient jusqu’au 24 de ce mois, intervient dans un contexte mondial des plus tendus, à l’heure où la planète vit des maux de tous genres : conflits et guerres, pauvreté et famine, changements climatiques et inégalités. Reconnaissant la gravité de la situation mondiale actuelle, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a d’ailleurs exprimé, lors de l’ouverture de la session, l’urgence d’une action collective pour faire face à un monde « en difficulté », soulignant la nécessité de solutions concrètes dans ces divers domaines.

Comme chaque année, l’Assemblée générale offrira « un espace de discussion multilatéral unique pour débattre de l’ensemble des thèmes couverts par la Charte des Nations-Unies », comme le dit le site Internet de l’organisation. Des dirigeants du monde entier viendront livrer leur vision des questions qui leur tiennent à coeur. Comme bon leur semble. Sauf qu’à l’Assemblée générale, tout le monde parle et personne n’écoute. Bref, ce qui s’y passe, on s’en moque un peu, puisque tout simplement, ses résolutions n’ont aucun caractère impératif.

Cela n’a pas empêché Philemon Yang, président de la 79e Assemblée générale, de revenir sur les préoccupations du monde en ces temps difficiles, en soulignant, dans son discours d’ouverture, la nécessité d’une croissance économique équitable, portée par l’innovation et les économies vertes, afin de garantir que « les bénéfices du développement économique soient accessibles à toutes les nations, grandes et petites ». La paix et la sécurité, a-t-il ajouté, seront également des priorités-clés, exhortant les nations à résoudre les conflits en cours, notamment dans la bande de Gaza, en Haïti, en Ukraine et au Soudan.

Un siège symbolique

Une petite nouveauté cette année pourtant. Pour la première fois, les Palestiniens ont pris leur nouvelle place au sein de l’Assemblée générale de l’ONU. Et ce, après qu’en mai dernier, une majorité écrasante de l’Assemblée eut jugé que les Palestiniens mériteraient d’être membres à part entière de l’ONU, leur octroyant quelques droits supplémentaires. La résolution prévoit qu’à partir de cette 79e session, les Palestiniens peuvent soumettre directement des propositions et des amendements, ou encore siéger parmi les Etats membres par ordre alphabétique, comme c’est le cas désormais. Mais la résolution de mai dernier n’octroie pas à la Palestine le droit de voter ou de présenter sa candidature aux principaux organes de l’ONU tels que le Conseil de sécurité ou le Conseil économique et social.

Malgré cela, Israël a clairement manifesté son mécontentement. Jusqu’à présent, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, n’a pas demandé à rencontrer le secrétaire général de l’ONU lors de l’Assemblée générale. Cette démarche inhabituelle serait motivée par l’insatisfaction d’Israël face aux déclarations du secrétaire général depuis le début de la guerre, a rapporté la radio publique israélienne jeudi 12 septembre. Mais ce n’est pas tout. Auparavant, l’Etat hébreu avait dénoncé le fait que la Palestine siège à l’Assemblée générale. « Toute décision ou action qui améliore le statut des Palestiniens, que ce soit à l’Assemblée générale de l’ONU ou de façon bilatérale, est une récompense (...) pour le terrorisme en général et pour les terroristes du Hamas en particulier », a lancé l’ambassadeur israélien adjoint, Jonathan Miller.

Tout le monde sait pourtant que la présence palestinienne n’est que purement symbolique, que les droits et les privilèges supplémentaires ne confèrent pas à la Palestine le statut de membre et que ce n’est qu’une avancée minime à défaut d’une véritable adhésion, bloquée par les Etats-Unis.

Réforme impossible ou indispensable ?

Ce qui nous fait revenir à la question-clé : comment l’ONU peut-elle aujourd’hui accomplir la mission qui lui était conférée lors de sa création, à savoir maintenir la paix et la stabilité dans le monde ? La question semble saugrenue, voire cynique au vu de l’état dans lequel se trouve notre monde : deux guerres majeures, l’une en Ukraine, l’autre à Gaza avec les risques d’une extension au Proche-Orient ; plusieurs autres conflits dramatiques comme le Soudan, sans compter les multiples crises statiques et sans solutions. Face à ces conflits, l’ONU, dont le premier rôle est de ramener la paix, reste totalement impuissante. Et pour cause, le fonctionnement même de l’organe central des Nations-Unies, à savoir le Conseil de sécurité, où les cinq pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine) disposent d’un droit de veto qu’ils se sont octroyés comme une assurance-vie en 1945. Et certains de ces pays, en tête les Etats-Unis et la Russie, en ont depuis profité pour protéger leurs « amis ». Le cas le plus flagrant depuis la création de l’ONU est la question palestinienne avec le positionnement américain au côté d’Israël depuis des décennies et les multiples vetos américains au Conseil de sécurité, le plus récent est la guerre en Ukraine dans laquelle ledit conseil a fait preuve d’impuissance, la Russie étant membre permanent.

Conscient de la paralysie du Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a en personne concédé, il y a quelques mois, la nécessité pressante de « réformer les institutions construites par un monde passé, pour une époque passée ». Or, cela ne peut se faire sans l’intégration de nouveaux membres, ainsi que l’instauration de nouveaux modes de gouvernance pour accompagner les changements mondiaux. Car le système imaginé en 1945, sans les pays du Sud, sans les vaincus de la guerre, et en protégeant les plus puissants avec le droit de veto, n’a abouti qu’à une impasse dangereuse. Que faire alors ? Faut-il se résigner à voir mourir l’ONU, comme dans les années 1930, on a assisté au lent déclin de son ancêtre, la Société Des Nations (SDN) ? Ou vite entreprendre une réforme pour sauver l’organisation ?

Lueur d’espoir pour l’Afrique

Or, si aujourd’hui, tout le monde reconnaît la nécessité de mener cette réforme, elle peine à voir le jour. Depuis que la question a été soulevée, la réforme du Conseil de sécurité est un véritable serpent de mer, évoquée depuis des années, mais jamais effectuée. Les principales questions qui alimentent le débat sont le droit de veto, l’élargissement du Conseil de sécurité et la représentativité de ses membres. Mais la question est de savoir comment peut se faire cet élargissement. Les candidats sont nombreux et les places limitées.

Jeudi 12 septembre, l’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, a déclaré, lors d’une conférence organisée par le centre de réflexion Council on Foreign Relations : « Les Etats-Unis soutiennent la création de deux sièges permanents pour l’Afrique au Conseil, comme revendiqué par les pays africains ». En septembre 2022, le président Joe Biden avait déjà donné un nouvel élan aux discussions sur la réforme du Conseil, soutenant à la tribune de l’Assemblée générale la revendication de sièges permanents pour l’Afrique et l’Amérique latine, sans autre précision à l’époque. Cela s’ajoute à leur soutien pour des sièges permanents réclamés par le Japon, l’Allemagne et l’Inde.

Quant au droit de veto, c’est une autre affaire : Linda Thomas-Greenfield a clairement indiqué que les Etats-Unis ne soutenaient ni l’extension du droit de veto pour de nouveaux membres, ni son abolition pour les membres actuels. « Aucun membre permanent ne veut abandonner son droit de veto, nous y compris, je suis honnête. Nous pensons qu’étendre ce droit de veto rendrait le Conseil plus dysfonctionnel », a-t-elle déclaré. Ce n’est pas le cas des Africains qui réclament depuis longtemps deux membres permanents et veulent que ces futurs membres soient sur un pied d’égalité. « L’Afrique veut l’abolition du veto. Mais si les Etats membres veulent conserver le veto, il doit être étendu aux nouveaux membres permanents, c’est une question de justice », avait déclaré en août le président sierra-léonais Julius Maada Bio, s’exprimant devant le Conseil de sécurité au nom de l’Afrique.

Force est de constater donc qu’alors que l’ONU soufflera ses 80 bougies en 2025, l’aboutissement de la réforme est plus qu’incertain compte tenu des vues diverses et du fait que cela nécessite l’adoption puis la ratification par deux tiers des 193 Etats membres, dont les fameux cinq membres permanents.

La SDN a été créée après la Grande Guerre, l’ONU lui a succédé après la Seconde Guerre mondiale. Espérons qu’il ne faudra pas d’un nouveau conflit mondial pour que la gouvernance mondiale retrouve sa voie.

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