Al-Ahram Hebdo : Quelle relation existe-t-il entre les tensions géopolitiques mondiales et un nécessaire établissement d’un ordre mondial multipolaire solide ? Comment l’Egypte peut-elle en bénéficier au service de son économie ?
Abdel-Hamid Mamdouh : Nous allons aborder le sujet du général au particulier. Sur le plan général, je dirais que la situation géopolitique mondiale est pleine de secousses et de tensions à tous les niveaux, ce qui impacte la situation commerciale à plusieurs égards. D’abord, l’impact sera ressenti sur le plan des relations entre les Etats. D’autant plus que la tension déjà existante dans ces relations entraîne des perturbations dans les relations commerciales. En général, dans de tels cas, la partie qui assume le plus de préjudices est la plus faible.
Ensuite, l’effet est détecté au niveau de l’ordre mondial multipolaire qui est témoin de perturbations soulevant maintes interrogations sur sa crédibilité, partant des Nations-Unies, passant par les organisations humanitaires, jusqu’à la sauvegarde de la sécurité.
— Quel est l’intérêt d’un ordre multipolaire et quelles sont les règles qui le régissent ?
— Les règles techniques dans le monde du commerce et de l’investissement sont intimement liées. Le commerce des services couvre les deux tiers des flux d’investissements étrangers directs à l’échelle mondiale, conformément à l’accord du commerce des services. Pour prospérer, ce commerce a besoin d’une croissance stable dans les relations commerciales et les flux d’investissements, ainsi qu’un environnement juridique stable dont il est facile de lire les perspectives à venir. Ceci est garanti, de fait, par l’ordre multipolaire qui repose sur des bases bien claires. Une stabilité permet aux compagnies, notamment celles du secteur privé, d’évaluer les risques par les meilleurs moyens. Ainsi, la stabilité et les prévisions que procure cet ordre sont les clés. L’ouverture des marchés vient en second lieu.
Dans le cas d’un Etat comme l’Egypte, nous sommes chanceux que la Constitution stipule que l’économie est basée sur un marché libre, une économie ouverte qui doit inciter la compétition. Bien sûr, le gouvernement joue le rôle vital de régulateur et de concepteur des politiques. Il est le garant de la loi et contribue à la stabilité des transactions, qui sont le moteur du développement durable.
— Quels sont les principaux défis que doit relever l’OMC ?
— L’ordre mondial actuel est perturbé et ce qui arrive au sein de l’OMC n’est que la réflexion d’un nombre d’évolutions. L’OMC n’est pas en bonne posture et la situation va de mal en pis. Et ce, parce que les dernières négociations au niveau de la 13e session ministérielle sont pires que celles de la 12e. En comparaison avec les sessions qui les ont précédées, le développement est maigre. Le discours général et la propagande disent que la situation est de loin meilleure, mais la réalité sur le terrain n’est pas cela et cette contradiction n’est pas saine.
Le majeur problème réside dans les défis institutionnels qui obstruent la marche de tout développement, ainsi que l’absence d’un leadership mondial fort comme celui procuré par les Etats-Unis au lendemain de la crise financière de 2008. Aucun autre pays ne parvient à combler le vide laissé par l’absence des Etats-Unis. L’alternative à l’Amérique ne peut pas être nécessairement un seul Etat. A la place, nous avons besoin d’un groupe d’Etats ayant foi en le système et son importance. Lorsque je parle de leadership, je ne fais pas allusion au poids politique, mais surtout au poids intellectuel, qui a été le moteur qui nous avait transportés de l’étape du GATT à celle de l’OMC.
Il y a un autre problème, celui de la complexité des négociations commerciales à cause du commerce électronique, qui est de nature compliquée. Ces négociations ont besoin de réaliser un équilibre entre la libéralisation du commerce et les lois qui protègent la société. Comme les lois de la santé publique, de l’ordre public et les droits des consommateurs. A titre d’exemple, il n’y a pas de dialogue effectif entre les responsables de l’économie, du commerce et de l’investissement, ainsi que les législateurs qui régularisent tout le processus.
Le troisième défi nécessite de changer radicalement la structure organique de l’organisation. Trente ans plus tard, la structure des Etats membres a été très différente et nous avons été témoins de variations et d’une diversité sans précédent. La réalité actuelle le montre clairement. La Chine, la plus grande puissance commerciale du monde, est devenue un pays en développement. Ce changement a entraîné des difficultés à communiquer et à gérer efficacement l’organisation.
Quatrièmement, il existe un état d’incertitude dans l’esprit de certains. Il est devenu clair qu’un groupe de pays, notamment l’Inde, estiment que ce système ne répond pas à leurs objectifs. L’Inde ne veut pas d’une OMC efficace parce qu’elle ne veut pas d’un système juridique qui libéralise le commerce dont la Chine est membre. L’Inde croit que la Chine la surpassera toujours. Pour cette raison, l’Inde a décidé de se retirer des négociations dans leur phase finale à cause du jeu d’opposant que joue la Chine.
Cette situation a créé au fil des années un problème empêchant la progression de toutes négociations au sein de l’OMC, causant aujourd’hui un état d’insuffisance et d’inefficacité des règles existantes. C’est pour cela que nous devons réviser certaines règles importantes concernant le soutien de l’industrialisation et des pratiques des compagnies gouvernementales, et qui mènent à des diffamations allant à l’encontre de l’esprit de l’OMC. Nous avons besoin de moderniser les règles. A mon avis, il n’y aura aucune réforme réelle sans que le principe de la remise en considération du membership soit présent. Il faut qu’il y ait une réforme réelle.
— Comment est-il possible de commencer cette réforme ? Quelles sont les propositions pour qu’elle aboutisse ?
— L’OMC est basée sur trois fonctions essentielles. La fonction de négociation, appelée la législation, qui consiste à négocier les règles qui gèrent le commerce mondial. Vient ensuite la fonction de règlement des litiges, c’est-à-dire régler les différends commerciaux entre les Etats membres. Et, enfin, la fonction de consultation qu’on peut appeler la fonction exécutive chargée de prendre des décisions.
Ces trois fonctions sont liées. Par exemple, quand un Etat affronte un problème commercial compliqué, on a recours à la fonction consultative à travers la tenue de réunions et de discussions afin de mettre la main sur le problème et de lui trouver des solutions. Aujourd’hui, cette fonction consultative ne fonctionne plus. Pour entamer une réforme, il faut commencer par la fonction de négociation, entièrement entravée par l’Inde.
Ce qui signifie que nous ne pourrons pas avancer sur la voie de la proposition de nouvelles fonctions basées sur le produit de la fonction de négociation. Ce système ressemble au système juridique dans le fait qu’il est basé sur la législation et le jugement. Il faut qu’il y ait un équilibre entre la législation basée sur la négociation intégrée dans l’Etat et la réalité.
Cette conception vise à moderniser les règles juridiques sur lesquelles le système est fondé. Au cours de 30 ans, elles n’ont pas été modernisées, ce qui a causé l’existence d’un fossé entre ces règles et la réalité. Les trois fonctions, malgré ce qui est dit, ne sont plus effectives.
— Comment les pays en développement, en particulier les pays africains, peuvent-ils profiter des réformes actuelles ? Est-ce que ces Etats doivent jouer un rôle plus important dans la formulation des réformes ?
— La réforme ici signifie que nous devons nous installer ensemble et penser à l’avenir. Nous voulons savoir vers où nous diriger exactement. La réforme ne viendra pas d’un seul Etat, mais à travers la coopération entre les différents Etats.
Malheureusement, notre rôle dans le leadership n’est pas clair. Le leadership signifie que nous devons nous réunir pour déterminer nos objectifs avec précision et élargir la coopération afin d’englober d’autres Etats non africains. La réforme réelle se réalise à travers la coopération entre les différents groupes. Nous devons entamer un dialogue avec l’Union européenne, le Canada et tous les pays intéressés par le système économique mondial.
— Comment l’activation des accords régionaux en Afrique et dans le monde arabe peut-elle contribuer à faire face aux défis croissants qu’affronte le commerce mondial ?
— Au niveau régional, il faut avant tout qu’il y ait une vision claire car les Etats africains possèdent une grande possibilité de profiter entre eux à travers la Zone africaine de libre-échange. Mais il existe des problèmes structurels dans le commerce africain qu’il faut régler. Il faut qu’il y ait un certain taux de communication qui suffise à affronter les obstacles face au commerce. La communication est très importante, qu’elle soit numérique ou matérielle. Il est impossible de transporter des marchandises de l’est à l’ouest de l’Afrique en passant par l’Europe.
Pour ce qui est des télécommunications et du commerce des services, il y a une grande chance de complémentarité. Au niveau arabe, il y a l’accord GAFTA, le défi réside cependant dans le moyen de transférer certains éléments de l’expérience internationale à l’espace régional afin de rendre cet accord effectif.
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