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Ahmed Maghawry Diab : Il faut redéfinir les notions d’Etats développés et d’Etats en voie de développement

Nevine Kamel , Mercredi, 18 septembre 2024

Ahmed Maghawry Diab, ministre délégué et directeur du bureau de représentation commerciale égyptien à l’ONU et à l’OMC, évoque les défis auxquels est confrontée la réforme de l’organisation.

Ahmed Maghawry Diab

Al-Ahram Hebdo : A l’heure où l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) célèbre son 30e anniversaire, l’ordre commercial mondial, que l’organisation représente essentiellement, est-il incapable de fonctionner ou est-il pratiquement à l’arrêt ?

Ahmed Maghawry : L’inaction de l’OMC a plusieurs causes. Mais cela ne signifie pas forcément que l’organisation a perdu de sa pertinence. Dans ce contexte, il est important de comprendre le rôle de l’OMC. L’organisation est souvent confondue avec l’ordre commercial multilatéral dans son ensemble. Nous devons reconnaître que l’OMC en fait seulement partie.

L’ordre commercial multilatéral englobe un large éventail d’accords et de blocs économiques, tels que les accords régionaux et bilatéraux, les zones franches et les unions douanières, à l’instar de la COMESA, la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) et le Partenariat européen. Tous ces accords, ainsi que l’OMC, constituent l’ordre commercial multilatéral.

L’OMC occupe une place centrale dans ce système complexe. Elle fournit le cadre juridique et les règles fermes qui régissent le commerce international. Ces règles sont respectées par la majorité de ses membres qui sont au nombre de 166 pays.

Malgré les défis auxquels elle est confrontée, l’organisation joue toujours un rôle essentiel dans l’économie mondiale. Depuis sa création en 1995 pour remplacer le GATT, elle a été chargée de gérer un large éventail d’accords commerciaux, notamment ceux relatifs à l’agriculture, aux industries et aux services, ainsi que l’accord sur les textiles et celui sur les aspects de l’investissement qui touchent au commerce.

Les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle et le secteur des services en général sont un pilier essentiel de l’économie mondiale contemporaine. Ce secteur vital connaît une croissance rapide, ce qui en fait un moteur-clé du développement économique.

— Malgré la croissance continue du secteur des services, la question de sa réglementation reste fort préoccupante. Mais qui est chargé de réglementer ce secteur vaste et complexe ?

— La réponse réside dans le fait que le commerce mondial des services est très professionnel. Ce qui soulève des questions sur les mécanismes de réglementation et de gestion de ce commerce. Dans ce contexte, il faut citer Abdel-Hamid Mamdouh, qui a joué un rôle de premier plan dans la rédaction d’accords liés au secteur des services. Cela montre le rôle central joué par les experts dans le domaine.

— Quelles sont les raisons pour lesquelles cette organisation est si importante ? Et pourquoi dit-on qu’elle agonise ?

— La réponse réside dans ses fonctions principales, qui sont de négocier des accords commerciaux, de surveiller la mise en oeuvre de ces accords et de résoudre les différends commerciaux qui peuvent survenir entre les Etats membres. Ces fonctions font de l’OMC une pierre angulaire de l’ordre commercial mondial.

Il s’agit de négocier les nouvelles données, dispositions et règles, ainsi que les nouveaux accords. Prenons l’exemple de la convention de pêche. Une partie de cet accord a été conclue au cours du mandat d’anciens cabinets ministériels, mais l’autre partie est toujours en cours de négociation. Cependant, de nombreux Etats ont déposé leurs instruments de ratification auprès de l’organisation concernée, ce qui signifie que la convention est sur le point d’entrer en vigueur.

En Egypte, les procédures nécessaires à la ratification de cet accord n’ont pas encore été prises. Cependant, de nombreux Etats membres ont achevé la procédure de ratification, ce qui démontre que le processus de négociation se poursuit malgré certains défis.

Bien que de nouvelles ententes aient été conclues, d’autres dossiers de négociation sont au point mort. Par exemple, les négociations concernant l’accord sur l’agriculture se poursuivent depuis plus de 25 ans et n’ont guère progressé. En plus, les négociations sur les services se heurtent à certains obstacles, mais il s’agit d’une impasse partielle.

— Quel sera l’impact de cet accord sur le commerce s’il est approuvé ?

— L’accord sur l’agriculture est l’un des plus importants de l’OMC. Son impact est important sur le commerce des produits agricoles. Par conséquent, l’impasse dans laquelle s’enlisent les négociations à ce sujet représente un défi majeur pour l’organisation.

Je pense que la conclusion de cet accord relancerait l’OMC, qui souffre d’une impasse fonctionnelle depuis un certain temps. Toutefois, un autre aspect inquiétant est la déception des pays en développement de ne pas avoir atteint les objectifs de développement auxquels ils aspiraient par le biais de cette organisation. L’absence d’une définition claire du développement à l’OMC est un obstacle majeur. Il est vrai que l’Accord de Marrakech instituant l’OMC parle de l’amélioration des niveaux de vie et de l’augmentation de la part des pays en développement dans le commerce, mais il ne dispose pas de mécanismes clairs pour atteindre ces objectifs. Lorsque l’OMC a cherché à répondre à la question de la classification des pays, elle s’est appuyée sur une simple division en pays développés, en développement et moins avancés. Toutefois, cette classification, bien que simplifiée, ne répondait pas aux besoins des pays en développement, en particulier en ce qui concerne la question de la redéfinition de la notion de développement en fonction de leur situation.

Le développement n’est pas seulement une classification, mais un processus dynamique qui nécessite une redéfinition constante. A un certain moment de l’Histoire, l’idée de diviser les pays en ces catégories s’est figée, ne prenant pas en compte les changements et les évolutions qui se produisaient dans les pays en développement.

La Corée du Sud avait du mal à sortir d’une situation économique difficile, alors que la Chine n’avait pas encore adhéré à l’OMC. Aujourd’hui, après avoir réalisé des bonds considérables dans son économie, la Corée du Sud cherche unilatéralement à passer du stade des pays en développement à celui des pays développés.

En 2001, la Chine a adhéré à l’OMC et a donné lieu à un tournant radical dans l’ordre commercial mondial. L’émergence d’une force économique puissante comme la Chine en tant qu’acteur fondamental dans le commerce mondial et l’investissement a complètement changé les cartes du commerce et de l’industrie, y compris les chaînes d’approvisionnement mondiales. Avec les évolutions dans les techniques modernes comme l’Internet et l’intelligence artificielle, ces cartes n’ont cessé d’évoluer à un rythme plus rapide. Les changements climatiques ont également conféré une nouvelle dimension et ont amené les Etats à prendre des mesures unilatérales afin de préserver leur environnement. Ainsi, l’OMC est devenue incapable de s’adapter à un monde en mutation avec son système rigide, qui est vieux de 30 ans.

— Comment peut-on introduire la réforme ?

— Il s’agit d’une question importante qui nécessite un travail laborieux. Dans ce dossier, en tant qu’OMC, notre objectif actuel est de faire bouger les négociations vers l’avant. Le problème essentiel réside dans l’impuissance de l’OMC à développer un nouveau concept du développement. Ce concept doit être global et doit prendre en considération les différends entre les Etats. En plus de cela, il doit faire preuve de flexibilité pour pouvoir s’adapter aux besoins de chaque Etat.

Le système actuel est basé sur le concept de « traitement préférentiel spécial » qui vise à aider les Etats en développement. Mais le problème est que la carte économique mondiale a largement changé. Il y a des Etats en développement comme le Costa Rica et le Brésil qui jouissent de capacités concurrentielles non négligeables au niveau de l’économie mondiale. Ce qui est surprenant, c’est que ces Etats sont très rigides dans les négociations de l’OMC en comparaison avec beaucoup d’Etats développés. Ce qui prouve que l’ordre actuel ne reflète aucunement la réalité économique en jeu.

La classification des Etats entre développés et en développement limite la flexibilité de l’organisation. Il n’est pas logique que les Etats développés obtiennent les mêmes privilèges que ceux en développement. Il faut redéfinir les notions de développés et en voie de développement en se basant sur une nouvelle philosophie ou approche allant de pair avec les capacités de chacun. C’est difficile et compliqué.

— Si ce changement est opéré, comment les pays en développement en bénéficieront-ils ?

— Ce concept devra relever maints défis au niveau des négociations, vu les contraintes imposées à l’OMC. Il faut que l’approbation soit unanime par tous les Etats membres et le refus d’un seul est suffisant pour avorter le projet. Si nous acceptons le concept d’une nouvelle répartition, nous devrons aller au-delà de la répartition traditionnelle : développés et non développés. L’OMC est en quête d’un nouvel agenda développemental. Cependant, l’inexistence d’un territoire commun entre les pays développés et non développés rend difficile la cristallisation d’un agenda unifié.

L’OMC a réussi parce qu’elle s’est focalisée sur des dossiers spécifiques, comme le commerce des récoltes agricoles, la protection des droits de propriété intellectuelle, l’investissement, les services et le dumping. Aujourd’hui, les Etats développés proposent d’autres dossiers comme la relation entre le commerce et les questions du genre humain, la paix, la durabilité et l’environnement. Ces dossiers sont importants mais leurs aspects ne sont pas bien déterminés et mettent les pays en développement dans une situation difficile. Ainsi, les négociateurs se trouvent entraînés dans des négociations floues.

— Comment l’OMC peut-elle être bénéfique à l’Egypte ?

— L’existence d’un système unanime est de grande importance pour l’Egypte. Si nous supposons qu’il existe 30 accords internationaux dont chacun comprend en moyenne 30 articles, cela veut dire que l’Egypte est concernée par 900 articles dans le cadre de l’OMC. Nous pouvons dire qu’environ la moitié de ces articles représente des droits de l’Egypte et l’autre moitié concerne des engagements qui lui sont dus. Ce système procure un cadre clair pour les relations commerciales internationales. Si l’Egypte arrive à bénéficier de ses droits et à éviter les contraventions découlant de certains désengagements, elle pourra ainsi façonner une politique commerciale étrangère efficace en accord avec les règles de l’OMC. Ainsi, avec une bonne compréhension de ses droits et engagements, elle pourra accroître ses exportations, viser de nouveaux marchés et déterminer ses points de force et de faiblesse. Espérons que le nouveau gouvernement arrivera à relever ce défi.

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