Le rideau est tombé sur l'édition 2024 du Forum public de l'OMC, qui s'est déroulé du 10 au 13 septembre, sous le thème « Remondialiser le commerce de manière plus inclusive ». Coïncidant avec le 30e anniversaire de l'organisation, ce forum a été l'occasion de se pencher sur les enjeux du commerce mondial dans un contexte de tensions géopolitiques accrues, lors de quatre jours de discussions intenses. En effet, les défis du commerce mondial persistent, tout comme la nécessité de réformer ses règles pour les adapter aux évolutions mondiales et intégrer équitablement les pays en développement dans le système économique mondial.
« La mondialisation et le commerce ne suffisent pas pour réduire la pauvreté dans le monde. Les gains du commerce ne sont toujours pas partagés équitablement ». C’est l’un des principaux messages du Rapport sur le commerce mondial 2024, rendu public au 1er jour du forum et qui analyse les liens complexes entre le commerce et l'inclusion dans les économies. Les inégalités de revenus dans le monde persistent depuis plus de 100 ans, comme en témoignent les chiffres : en 1910, les 10 % les plus riches de la population mondiale avaient un revenu 41 fois supérieur à celui des 50 % les plus pauvres. En 2020, cet écart était encore de 38 fois. Selon la directrice de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, « de nombreux pays en développement n'ont pas pleinement bénéficié de la mondialisation ». Pour remédier à cette situation, Ngozi Okonjo-Iweala a appelé à une « re-mondialisation », c’est-à-dire une « reconfiguration du système commercial mondial afin d'inclure davantage les pays à faible revenu et de favoriser une répartition plus équitable des bénéfices du commerce » (voir entretien page 11). La question qui se pose donc : quelle efficacité réelle de l'OMC dans un monde en pleine mutation ?
Commerce et géopolitique, une relation complexe
L'OMC est à la croisée des chemins. En 1994, 125 pays ont signé l'Accord de Marrakech, après huit ans de négociations. Cet accord visait à élargir le mandat du GATT, créé en 1947. A l’époque, les ambitions étaient grandioses. La création de l’OMC était perçue comme « une opportunité d’expansion du commerce, de croissance économique, d’emploi et de développement durable », selon les mots de Peter Sutherland, premier directeur de l'OMC. Trente ans plus tard, l’optimisme a cédé la place à une profonde incertitude envers le système commercial multilatéral. Selon la Banque mondiale, actuellement le commerce mondial ne progresse quasiment plus. Les cinq dernières années ont enregistré son taux de croissance le plus faible depuis les années 1990. Les volumes du commerce mondial ont diminué de 1,2 % en 2023 contre 5 % en 2020.
La succession de crises économiques a lourdement pesé sur les chaînes d'approvisionnement et le secteur du transport maritime mondial. Selon les observateurs, le déclin du volume du commerce de marchandises peut s'expliquer par la persistance des tensions géopolitiques qui dominent depuis de années le paysage mondial, qu'il s'agisse de la poursuite de la guerre en Ukraine depuis février 2022, de la guerre à Gaza et de l'escalade des attaques des Houthis en mer Rouge. Cette situation a conduit certains gouvernements à remettre en question les avantages de l'ouverture commerciale et de la mondialisation économique et à prendre des mesures protectionnistes pour soutenir la production locale tout en réorientant les chaînes d'approvisionnement vers leur environnement régional. Ce qui a finalement affecté les volumes du commerce mondial. Autres facteurs : l'augmentation de l'inflation et le resserrement de la politique monétaire mondiale. « L'un des défis les plus urgents auxquels le système commercial multilatéral est confronté aujourd'hui, c’est comment naviguer dans la géopolitique ? », a souligné Javier Gutierrez, conseiller aux relations extérieures de l'OMC, lors de sa participation à une table ronde de haut niveau intitulée « Re-mondialisation : Le commerce dans un monde géopolitisé ».
Enjeux institutionnels
Qu'est-ce que l'OMC a apporté aux pays en développement ? « Les pays en développement ont certes tiré profit du commerce, mais les bénéfices ne sont pas toujours répartis équitablement. L'OMC a offert une plateforme aux pays en développement, mais il faut renforcer leur capacité à négocier et à tirer pleinement parti du système », a déclaré Mari Pangestu, économiste indonésien et ancien directeur général à la Banque mondiale, lors de sa participation dans une autre table ronde de haut niveau sous le titre « L'OMC a 30 ans : évolution ou révolution ? ». En effet, outre les tensions géopolitiques et la montée du protectionnisme, l’organisation elle-même se trouve face à des défis institutionnels internes majeurs.
« Pourquoi l’existence de l’OMC est-elle importante ? Et pourquoi, en même temps, certains affirment-ils qu'elle est moribonde ? Les deux affirmations sont justes », explique Dr Ahmed Maghawry Diab, ministre délégué et directeur du bureau de représentation commerciale égyptien à l’ONU et à l’OMC. Et d’ajouter : « L’OMC exerce trois fonctions essentielles : négocier des accords commerciaux, surveiller leur application et résoudre les différends commerciaux entre les Etats membres. Ces fonctions font de l'OMC un pilier du système commercial mondial. Cependant, trente ans plus tard, le mécanisme de négociation au sein de l'organisation fait face à certains défis. De nombreux dossiers de négociation sont toujours dans l'impasse. L'OMC a besoin de moderniser ses règles juridiques pour rester efficace ». Maghawry a donné l’exemple des négociations concernant l'Accord sur l'agriculture, l'un des accords les plus importants de l’OMC et dont l’impact sur le système commercial des produits agricoles est considérable. Les négociations durent depuis plus de 25 ans sans progrès significatif. Autre défi : la déception des pays en développement qui n'ont pas atteint les objectifs de développement qu'ils espéraient réaliser grâce à cette organisation. « L'absence d'une définition claire du concept de développement au sein de l’OMC constitue un autre obstacle majeur. Il est vrai que l'Accord de Marrakech, qui a créé l'organisation, mentionne l'augmentation des niveaux de vie et l'accroissement de la part des pays en développement dans le commerce, mais il manque toujours de mécanismes clairs pour atteindre ces objectifs. Il faut développer une nouvelle conception du développement qui doit tenir compte des différences entre les pays et offrir la flexibilité nécessaire pour traiter chaque pays en fonction de ses besoins spécifiques », conclut Maghawry.
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