Dans une saga à la fois plaisante et sarcastique, les
Contes de Cendrillon, de l’artiste-peintre Chaïmaa Kamel, nous plongent dans un monde chimérique. Ses collages placés sur un fond de peintures acryliques regroupent tissus et papiers colorés. Enfantins, ils sont exposés à la galerie
Machrabiya, reflétant son militantisme féminin.
A 33 ans, Chaïmaa Kamel est une artiste atypique. « Je suis rêveuse, je me sers de la peinture pour voyager en permanence, à travers l’univers… Je creuse et finis par découvrir ce que je cherche. Vous ne pouvez imaginer où peut nous emmener un coup de pinceau », dit-elle, éprouvant une sensibilité particulière face aux relations humaines, notamment femme/homme.
Son monde est fait de dessins animés, comme on le constate dans sa nouvelle exposition. Kamel s’y inspire des contes de fées à la Disney, mettant en relief les rêves, le romantisme, l’amour … « Quelle fillette n’a pas rêvé d’être l’une des belles princesses de Disney ? De Blanche Neige à Ariel, La Petite Sirène, en passant par Aurore ou La Belle au bois dormant. Chaque génération a sa princesse Disney ! », dit l’artiste, qui nous invite à partager la magie de Disney suivant ses propres règles. D’où le sarcasme hilarant...
Des princesses de Disney sont collées sur la toile, côte à côte avec d’autres peintes toutes nues, pour évoquer un aspect terre à terre. Chacune des princesses de Chaïmaa Kamel est dépeinte sous différentes postures, souvent sensuelles, révélant également un état d’âme: force, douceur, passion, anxiété, résignation… mais toujours il y a le rêve!
« J’aime travailler le langage du corps, à lui seul capable d’engendrer des effets émotionnels. D’ailleurs, le monde des princesses rêveuses de Disney, cette image collée à ma mémoire depuis la tendre enfance, n’a rien à voir avec le quotidien de la femme égyptienne. Je me livre à un jeu de contraste : rêve et réalité, pureté et vice… Chacune de mes oeuvres semble être le noeud d’une tragi-comédie, au sein d’une société bafouant sans cesse les droits de la femme ».
Mind Shooter.
Les contes se déroulent sur un arrière-fond de roses rouges, de lampes, d’oursons en peluche, de pommes, de coqs enfantins … Les protagonistes de Kamel partagent la vedette avec ces symboles d’un monde fabuleux. Une femme frustrée porte le
niqab (voile intégral), une autre attend son prince charmant et une troisième cherche la liberté.
L’une des oeuvres exposées, que Chaïmaa Kamel affirme être la plus proche de son coeur, est celle d’une femme-tireur, avec comme titre Mind Shooter. Une autre toile montre la solitude d’une protagoniste, sur fond rose, sans aucune ornementation.
« C’est vrai que nous vivons dans une société qui étouffe nos rêves. Néanmoins, il faut toujours y croire et chercher à les concrétiser en restant active. Pour ma prochaine exposition, je pense créer des peintures abstraites portant un brin de soufisme, inspiré notamment des poèmes de Jubran Khalil Jubran, ou de la musique d’Ibn Arabi. C’est une manière de s’éloigner un tout petit peu du chaos et du stress politique de nos jours », dit-elle.
En fait, l’artiste a eu recours à la même astuce, le jour de la démission de Moubarak en février 2011. Ce jour-là, elle a donné sur la place Tahrir une performance ayant suscité l’admiration de tous. Sur un air de musique soufie, en djellaba et châle blanc, elle a couvert sa tête de farine, puis s’est baladée parmi les passants. « J’ai inspiré par la suite au collectif d’artistes indépendants l’idée de la manifestation mensuelle, Al-Fan midane (l’art sur la place). Je rêve de voir un jour un guitariste jouer dans la rue, ou encore de voir un peintre créer parmi les passants », Chaïmaa Kamel n’arrête pas de rêver … .
Galerie Machrabiya: 8, rue Champollion, centre-ville. Tél. : 2578 4494. Jusqu’au 20 mars, de 10h à 21h (sauf le vendredi).
Espace Falak: 7, rue Gamaleddine Aboul-Mahassen, Garden City. Tél. : 010 9589 5850. Tous les jours, de 10h à 23h.
Trois étapes
Octobre 2000 : Chaïmaa Kamel participe à l’Exposition nationale avec une installation d’une cage en fer où sont enfermés une momie et un rat capturé vivant. Parterre, un châle palestinien rappelle le conflit israélo-palestinien.
2010 : Transparent black (noir transparent) est une vidéo de Kamel traitant des paradoxes de la société : femmes voilées et mannequins nus en vitrine. C’est l’obscurantisme d’un pays conservateur qu’elle dénonce.
2012 : Exposition à la galerie Machrabiya, sous le titre d’AB carton, sous le régime des Frères musulmans. Des animaux, des monstres et des loup-garou sont les principaux protagonistes de ces temps troublés.
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