Al-Ahram Hebdo : Washington et Bagdad parlent d’un accord pour le retrait des forces de la coalition dirigée par les Etats-Unis. Est-ce la fin de la présence étrangère en Iraq ?
Dr Rehab El-Ziady : Il faut d’abord préciser que les termes de cet accord ne sont pas connus dans le détail pour le moment. En effet, c’est en janvier 2024 que le gouvernement iraqien de Mohammed Shia Al-Sudani et l’Administration américaine ont entamé des discussions au sujet du retrait de l’ensemble des troupes de la coalition internationale de l’Iraq. Le premier ministre vient d’annoncer que les discussions techniques avec Washington sur le retrait des forces de la coalition étaient terminées, sans aucun détail. Les détails seront sans doute publiés à la fin du mois, mais en attendant, les médias ont diffusé certaines informations sur cet accord, ces fuites médiatiques visent à tâter le terrain parce qu’il s’agit d’un dossier délicat pour l’opinion publique iraqienne, mais aussi pour les voisins de l’Iraq.
L’accord prévoirait que toutes les forces de la coalition quitteront la base aérienne d’Aïn Al-Assad, dans la province occidentale d’Anbar, et réduisent considérablement leur présence à Bagdad d’ici septembre 2025. Les troupes américaines et les autres troupes de la coalition devraient cependant rester à Erbil, dans la région autonome du Kurdistan du Nord, pendant une année supplémentaire, jusqu’à la fin de 2026, afin de faciliter les opérations en cours contre Daech en Syrie. C’est-à-dire pas de réel retrait avant 2026, et peut-être bien après. Donc, la présence américaine en Iraq ne prendra pas fin de sitôt. En plus, c’est un retrait partiel, voire c’est un redéploiement.
— Pourquoi Washington veut-il rester en Iraq malgré les attaques contre ses troupes, notamment depuis le 7 octobre dernier ?
— Au contraire, Washington a profité de ces attaques, quelque 190 depuis le début de la guerre à Gaza, pour allonger sa présence en justifiant que la présence des forces de la coalition est liée aux troubles sécuritaires résultant du retour de Daech qui a revendiqué 153 attaques depuis le début de l’année. Mais ce n’est pas tout. Washington s’accroche à sa présence en Iraq pour maintenir son influence régionale d’autant plus que l’influence iranienne est grande en Iraq et ailleurs. L’Administration américaine veut protéger son allié stratégique Israël, alors que le bras de fer entre l’Iran et Israël représente de grands risques. De même, l’extension de l’influence et de la puissance iraniennes dans la région dérange les intérêts américains. Washington cherche à limiter le rôle iranien dans la région, surtout dans les pays soumis d’une façon ou d’une autre à l’influence iranienne. Washington veut posséder toutes les cartes de pression possibles sur l’Iran pour les utiliser une fois venue l’heure des négociations sur le dossier nucléaire.
— Dans ces conditions, que signifie donc cet accord, notamment pour Bagdad ?
— On dit toujours que derrière chaque accord annoncé se cachent des dizaines d’accords secrets. Le premier ministre iraqien cherche à réaliser un certain équilibre entre ses alliés : les Etats-Unis, l’Iran et les pays arabes. Avec cet accord, les relations entre les Etats-Unis et l’Iraq vont passer à un autre niveau avec davantage de coopération dans différents domaines. L’Iraq est secoué par une grande crise économique, qui provoque le mécontentement de la population. Washington devrait présenter des aides financières à l’Iraq. Al-Sudani veut obtenir des gains économiques pour améliorer la vie quotidienne des Iraqiens, surtout à l’approche de la présidentielle prévue en octobre 2025.
— Et qu’en est-il de la présence des milices pro-iraniennes ?
— Les Etats-Unis, l’Iraq et l’Iran veulent garder ces milices, chacun pour ses propres raisons. L’Iraq en a besoin car ses institutions sécuritaires sont faibles et il ne possède pas les moyens pour les former et les réorganiser. Leur présence est une nécessité pour Bagdad. Pour Washington, la sortie de ces milices veut dire une augmentation de ses troupes. Pour l’Iran, il s’agit de protéger ses intérêts et garder une influence en Iraq.
— Cela veut-il dire que le risque sécuritaire est là et que la coalition n’a pas réussi à détruire Daech ?
— Daech a, en effet, annoncé son retour avec force en Iraq et en Syrie, revendiquant de nombreuses attaques. Un argument de plus pour la poursuite de la présence des forces étrangères en Iraq. Cependant, tout le monde sait que ces groupes ne sont jamais totalement anéantis, ils deviennent faibles puis ils renaissent, parfois sous de nouvelles appellations.
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