L’universitaire Hala Foda présente dans cet ouvrage un récit touchant retraçant la biographie de son père, né en 1935, jusqu’à sa disparition en 2001.
En 285 pages, elle fait part de son amour inconditionnel pour cet ancien combattant qui a fait la guerre et en est sorti intact et plus fort. D’où le titre Fi Qalbi Réda (Réda est dans mon coeur), Réda n’étant que le prénom de son papa chéri.
Hala Foda, née vers la fin des années 1960, parle en détail de cette relation qui a lié père et fille. Cette dernière l’a toujours considéré comme son héros, et c’est ce qui l’a encouragée à entreprendre cette première tentative d’écriture. L’auteure ne cherche guère ni à disparaître du récit ni à rester anonyme. Bien au contraire, elle se présente comme le second personnage de l’oeuvre. Elle y est souvent présente, avec son prénom « Hala ». C’est la raison pour laquelle elle utilise deux types de narration, alternant le « je » et le « il ».
La fin du livre comporte un très bel album-photos, nous promenant dans leur grande maison familiale de trois étages, celle de son grand-père paternel Tewfik Foda, à Choubra. Puis, dans la villa de ses tantes et ses oncles maternels, dans le quartier de Hadaëq Al-Qobba.
Elle met l’accent sur le rapport enfants-adultes et décrit à l’aide d’une grande spontanéité les différentes phases de sa propre vie, mélangée à la sienne. Car elle taille également son propre portrait : enfant, étudiante chez les religieuses de Notre Dame des Apôtres, ensuite professeure de lettres françaises (comme sa mère Chouchou), épouse et mère de deux jumeaux. « J’adore les chansons de Charles Aznavour. La dentelle guipure des robes de noces. Les chaises style Louis XV », résume-t-elle dans son livre où elle nous fait sentir jusqu’aux odeurs propres à ses lieux favoris. « Tous les membres de la famille sont là, le vendredi, de bonne heure, afin de prendre ensemble le premier repas de la journée (…) Réda buvait un thé à la menthe », écrit-elle.
L’auteure semble regretter ces temps perdus, surtout après la mort de son père à la suite d’une crise cardiaque, lorsqu’elle avait 31 ans. « Sans toi, rien n’est plus comme avant. Ta disparition a été l’un des moments les plus complexes de ma vie. Aujourd’hui, lorsque j’écris, c’est seulement pour être avec toi papa. Les mots ne peuvent exprimer mon chagrin. Tu as laissé un vide énorme ».
Son unique consolation ? Les souvenirs qu’il a laissés derrière lui, mais aussi tout un système de valeurs, tout un ensemble structuré de croyances et d’idées. « Je ne pouvais rêver d’un père plus extraordinaire !», lance-t-elle.
Papa est sur le front
Diplômé de l’Académie militaire en 1955, Réda a participé à la guerre d’Octobre 1973. Haute comme trois pommes, la fille n’avait que 4 ans. « Tu ne rentrais à la maison que quatre jours par mois. Je ne saisissais pas les raisons pour lesquelles tu étais absent. Accompagnée de ma mère, ma tante maternelle Rawya, mes cousins et cousines, nous t’avons rendu visite sur le front, juste après la victoire (…) Tu nous as expliqué le rôle des soldats et officiers, ainsi que ta mission en tant que chef de l’unité d’infanterie. C’était difficile pour une fille de mon âge de comprendre que toutes les troupes devaient s’agglutiner dans des tranchées de trois mètres, creusées sous le sol. Tu m’as alors expliqué : les tranchées, ma petite Halloula, sont des abris, des trous d’obus, en zigzag, où se réfugient les soldats pour se protéger des tirs de l’ennemi ».
Le père avait l’habitude de raconter à sa fille des histoires qu’elle n’a pas vécues. Il lui passait toute son expérience. Du coup, après son décès, elle relit de temps en temps les pages de son journal. C’est un peu sa boussole. Car il tenait à laisser des traces écrites de son passage sur terre, à tout documenter et à noter même ses moments de désarroi. Aujourd’hui, c’est à son tour de traduire les sentiments qu’il a éprouvés, notamment avec la défaite de 1967. « Tu étais triste qu’Israël ait occupé en six jours trois fois plus de territoires qu’en 1948, année de la création de l’Etat hébreu ». Cette défaite a sans doute bouleversé la situation au Moyen-Orient. Israël a occupé le Sinaï égyptien, le Plateau syrien du Golan, la Cisjordanie et Jérusalem-Est, qui étaient sous administration jordanienne, et la bande de Gaza sous administration égyptienne. Bref, un chapitre noir de l’Histoire, dont nous vivons actuellement la suite.
« Tu étais contre Nasser qui te donnait constamment des ordres, alors que Sadate discutait avec les membres de l’armée, comme entre frères. Pour ce, il a réussi à réaliser la victoire », dit-elle.
Pour tracer cette biographie, elle a eu recours à tous ses proches, qui lui ont fourni les documents nécessaires, les correspondances, les témoignages verbaux … Et petit à petit, son père devient un personnage, le héros de son propre roman. « Je t’ai vu dans les yeux de ma grand-mère Fahima, de ma mère Chouchou, de mes tantes Salwa et Loulou, de tes camardes de classe amis Assem et Mohi, de tes collègues au travail ».
Chez sa maman, elle a retrouvé l’album-photos. Un vrai trésor ! Car il regroupait des photos de son père avec Sadate lors d’une visite sur le front, ainsi que d’autres en face des prisonniers de guerre, outre celles où il hissait le drapeau égyptien pour célébrer la victoire en 1973. « La photo la plus touchante et la plus impressionnante est celle de Chouchou et Réda sur le front en 1974 (…) Elle résume à elle seule l’amour et la tendresse que vous éprouviez. Chouchou était fière d’avoir épousé un héros de la guerre, exactement comme moi. Je suis fière d’être la fille d’un héros », conclut-elle.
Fi Qalbi Réda (Réda est dans mon coeur), récit biographique d’un homme qui a fait la guerre, par Hala Foda, aux éditions Al-Ein, 285 pages.
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