A chaque fois que les protestations augmentent, le gouvernement promet une hausse du salaire minimum. Promesse qu’il ne peut tenir, par manque de ressources, mais aussi de volonté. Le moment où le bluff est découvert, le gouvernement est poussé à partir. Cette tactique a réussi pendant trois années à contenir partiellement la grogne sociale. Mais le sortilège aurait-il perdu de sa magie ?
Au mois de février, les sit-in et les grèves se sont multipliés dans un grand nombre de régions et d’industries. Le gouvernement Beblawy a échoué à contenir cette colère sociale. Les manifestants réclamaient leur droit au salaire minimum de 1200 L.E. promis— puis partiellement retiré— par le gouvernement. Mais rien ne permet de dire que le nouveau cabinet sera davantage penché sur la justice sociale. Plusieurs indicateurs montrent que ce dossier, déjà réduit au salaire minimum, demeurera plutôt un calmant.
Le gouvernement Beblawy est un bon exemple. Il a annoncé la hausse du salaire minimum d’un tiers, pour démontrer son alignement sur une justice sociale. C’était le moment de l’après-30 juin, quand les aspirations du peuple étaient à leur apogée. C’est le troisième cabinet depuis 2010, qui entreprend une hausse des salaires. Mais pourquoi alors cela ne rend-il ni les salariés plus satisfaits, ni l’économie plus animée ?
Parce que, sur le terrain, le gouvernement n’a alloué les 1200 L.E. qu’à une minorité d’employés, laissant de côté la grande majorité des travailleurs. Dans le 1er gouvernement post-révolution, seuls 120 000 fonctionnaires publics ont profité de cette hausse, sur 6 millions de fonctionnaires et 20 millions d’employés du secteur privé.
A chaque fois que les travailleurs exclus de la hausse des salaires découvrent le bluff, les protestations reprennent. C’était le cas sous Morsi. Face au nombre record de protestations, ce dernier a cependant obstinément refusé de remanier son gouvernement, alimentant la révolution populaire du 30 juin (voir graphique).
Le problème n’est donc pas, aux yeux des décideurs, l’échec du gouvernement d’Al-Beblawy de se plier aux aspirations justes et populaires d’un salaire décent mais plutôt que tout « échec du gouvernement Al-Beblawy éroderait la popularité du ministre de la Défense et candidat très probable à la présidentielle, Abdel-Fattah Al-Sissi », avance un expert politique proche des cercles de prise de décision.
Le nouveau cabinet, à défaut de ressources et de volonté, n’est donc qu’une éponge destinée à absorber la colère du peuple pour préparer le terrain à la présidentielle. Changer de cabinet à ce moment ne serait qu’un lifting, une mesure de « cooptation » : faire semblant de reformer pour satisfaire les citoyens. La première déclaration faite par le premier ministre était d’appeler les manifestants à cesser leurs protestations, en promettant de négocier leurs demandes. Une déclaration qui rime parfaitement avec cet argument.
D’après l’expérience des années récentes, une part des demandes sera acceptée, avec une promesse renouvelée d’en accepter prochainement une autre part. Les élections apporteront une nouvelle personne au pouvoir et un nouvel espoir aux gens qui attendent calmement une amélioration de leur niveau de vie qui ne vient pas et qui reprendront leurs manifestations ... .
Les grèves en chiffres
Le gouvernement d’Ahmad Chafiq, le premier post-révolution de 2011 (29 janvier – 3 mars), n’a pas témoigné de grèves mais de manifestations quotidiennes appelant à son départ. Le plus grand nombre de grèves enregistrés reste sous les gouvernements de Hicham Qandil, Essam Charaf et Kamal Al-Ganzouri. Le gouvernement Al-Beblawy, qui vient de démissionner, a seulement fait face à des grèves durant les deux derniers mois de son exercice, enregistrant 55 grèves.
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