Pour l’ouverture de cette 31e édition du Festival international du théâtre expérimental, le metteur en scène et chorégraphe libanais Walid Aouni a conçu un nouveau spectacle intitulé Echo of a Silent Wall (écho d’un mur silencieux), condamnant le génocide de Gaza. Présenté dans la grande salle de l’Opéra du Caire, par les membres de sa troupe de danse moderne, l’oeuvre fait écho à l’actualité, en nous plongeant dans l’histoire de la cause palestinienne. C’est la sixième fois que Aouni évoque celle-ci sur les planches, sous des angles différents.
Dans le noir, des corps couverts de draps blancs sont allongés sur les planches. Sous l’effet du bruit qui s’amplifie progressivement, ils bougent, remuent leurs draps, se lèvent et se soulèvent contre leur destin fatidique. Les danseurs rangent ensuite les draps, on dirait des martyrs enveloppés dans leurs linceuls. Ils s’allongent de nouveau par terre. Ils dansent pour nous révéler par la suite leur triste histoire. « Je suis né il y a 75 ans et j’ai vécu tous les événements tumultueux qu’a connus la Palestine. Tant d’années se sont écoulées et aucune résolution n’a été appliquée pour résoudre la question. La situation va de mal en pis ! », souligne le directeur de la troupe de danse moderne de l’Opéra du Caire, Walid Aouni.
Le génocide palestinien et la guerre à Gaza sont un peu plus qu’alarmants ; leurs échos retentissent dans toute la région. Les condamnations s’accumulent par-ci et par-là et les atrocités se poursuivent. Le choix de ce sujet pour l’ouverture du festival tombe donc à pic. Le spectacle figure également parmi les oeuvres de la compétition officielle.
Si dans ses spectacles précédents présentés au festival Aouni a opté pour une approche abstraite et expérimentale, depuis les années 1990, préférant les scénographies symboliques, cette fois-ci, il choisit d’approcher directement le sujet.
Les danseurs sont des réfugiés palestiniens qui ont été forcés de se déplacer à cause des bombardements israéliens qui ont ciblé leurs maisons et détruit leur ville. Ils tournent dans un cercle vicieux portant leurs valises, ainsi que des proches, des malades, des blessés, ou encore des personnes âgées sur des fauteuils roulants.
La scène affirme que l’on est tous pris dans ce tourbillon de folie. Quelques instants de stop-cadre insistent sur des images accablantes. Les danseurs finissent par crier à haute voix : « Gaza ! ».
Dans une autre scène, Aouni évoque le sort des malades et des blessés dans les hôpitaux sous les bombes. De temps à autre, les danseurs escaladent le mur de l’apartheid : de longues plaques de béton mises en place par l’Etat hébreu. Ils dansent sur ces plaques et devant les murs. Ils tentent de les faire bouger, pour reconstituer eux-mêmes les frontières, ou recomposer les camps de réfugiés.
Chant et musique engagés
Tout au long du spectacle, Aouni a recours à une compilation de chansons engagées de la diva libanaise Fayrouz consacrées à la cause palestinienne. Certaines chansons sont très peu connues du grand public et expriment une vive condamnation à l’égard de ce qui se passe ; elles semblent d’une grande actualité bien que composées il y a bien longtemps. La sélection est assez significative et permet d’accentuer la danse.
La voix de Fayrouz s’élève pour tourner en dérision le mutisme international ; elle parle du « procès » (la cause palestinienne) qui part en valise, voyageant d’un endroit à l’autre, pour porter sa plainte devant les tribunaux du monde entier. Sur scène, les paroles de cette chanson sont traduites par un tour de danse sur des chaises. On tourne en rond, on joue avec des sacs en plastique. Puis on couvre sa tête avec ses sacs. Les danseurs les remplissent d’air jusqu’à les faire exploser.
Les danseurs traversent les murs de l’isolation. (Photo : Hassan Ammar)
La cause juste du peuple palestinien se réduit à de vaines palabres devant les instances internationales. Sur scène, la Palestine est incarnée par une jeune danseuse en vert, qui est écrasée par les rouleaux manuels de deux ouvriers de construction, portant les casques des Nations-Unies. Les compositions de Wagner et de Vivaldi accentuent le sentiment de mystère, d’attente, d’inquiétude.
Aouni a ensuite recours à la voix d’Oum Kalsoum, chantant la trilogie sacrée écrite par le poète Saleh Gawdat et mise en musique par Riad Al-Sonbaty. Ce dernier fait fusionner les sons des cloches de l’église et le chant du muezzin annonçant la prière musulmane. La musique nous fait penser à Jérusalem, cette ville sacrée pour toutes les religions monothéistes. Puis survient la voix d’Oum Kalsoum qui chante un extrait de Daret Al-Ayam (les jours tournent).
Un jeu de mixage bien maîtrisé crée une sorte de dialogue entre Fayrouz et Oum Kalsoum, agençant des extraits de leurs chansons. Aouni tente de transmettre un message d’espoir malgré toutes les atrocités en cours.
Jésus, Saladin et d’autres héros
Les danseurs reproduisent la Cène ou le dernier repas de Jésus sur les planches. Ce dernier résume toute l’histoire de la Palestine.
Saladin, considéré comme le protecteur « emblématique » de Jérusalem, car il l’a autrefois défendue contre les attaques des Croisés, danse en scandant son épée, pour symboliser sa force et son courage. La Palestine attend-t-elle un nouveau Saladin, un héros salvateur ?
Au cours du spectacle, d’autres personnages historiques font leur apparition sur scène : mère Teresa, un combattant portant le keffieh, etc. Ces personnages qui défilent l’un après l’autre représentent toujours un espoir, une aspiration à la liberté.
Dans l’une des scènes-clés, les jeunes danseurs jettent des fleurs sur les rangs du public. Les filles qui avaient jeté leurs robes blanches de mariées les reprennent … La vie continue, avec tant de hauts et de bas. On fête les mariages et on danse, malgré les crises.
Vers la fin, les murs forment une barrière qui divise la scène en deux. Les danseurs traversent les murs, les barrières, afin de retrouver l’autre rive. Ils dansent et célèbrent la vie. On rêve du retour et d’une Gaza reconstruite.
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