Mercredi, 13 novembre 2024
Dossier > Opération israélienne en Cisjordanie >

L’économie palestinienne touchée de plein fouet

Ola Hamdi , Mercredi, 04 septembre 2024

Israël mène une guerre économique d’une ampleur sans précédent en Cisjordanie, affectant tous les aspects de la vie des Palestiniens. Décryptage.

L’économie palestinienne touchée de plein fouet

Parallèlement à la guerre dans la bande de Gaza, une guerre économique sans précédent fait toujours rage en Cisjordanie, entraînant de nombreuses restrictions économiques pour les habitants des villes palestiniennes. Ces restrictions imposées ont touché tous les aspects de la vie quotidienne allant de la distribution de la nourriture jusqu’à l’emploi et au commerce, l’accès aux ressources et aux services de base tels que l’eau et l’électricité.

Selon la Banque mondiale, l’économie palestinienne est confrontée à un choc majeur en 2024 : elle s’est contractée de 35 % au premier trimestre de l’année en cours, perdant environ 500 000 emplois depuis le début de la guerre à Gaza.

L’Autorité palestinienne souffre d’un manque de liquidités depuis des mois. Après le déclenchement de l’agression israélienne contre Gaza, Israël a cessé de reverser l’intégralité des recettes douanières et a bloqué le transfert des paiements de l’argent des impôts de Cisjordanie aux autorités palestiniennes sous prétexte qu’elles soutiennent le Hamas. Le 5 août, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a ordonné de saisir 100 millions de shekels (24 millions d’euros) de recettes fiscales destinées à l’Autorité palestinienne, affirmant que ces fonds seront réalloués « aux victimes israéliennes du terrorisme ». En vertu des accords de paix négociés en partie par la Norvège dans les années 1990, Israël collecte les fonds destinés à l’Autorité palestinienne. Selon certaines estimations, ces sommes représenteraient près de 60 % des revenus de l’Autorité. Ces fonds sont nécessaires pour payer les salaires des employés, des fournisseurs et des prestataires de services du gouvernement palestinien.

Impacts majeurs sur tous les secteurs

Israël a également empêché l’entrée d’environ 150 000 travailleurs palestiniens, entraînant la perte de près de 148 000 emplois dans la région. Cette situation a plongé de nombreuses familles dans la pauvreté et la faim. Pour pallier ce manque de main-d’oeuvre, Israël a recruté des travailleurs indiens. Cette situation a fait grimper le taux de chômage à 32 %. En parallèle, l’Autorité palestinienne s’est trouvée obligée de réduire les salaires de 50 %, ainsi que le nombre de travailleurs.

Les restrictions économiques ont également conduit à la fermeture de la plupart des projets commerciaux en raison des points de contrôle militaires à l’intérieur des gouvernorats de la Cisjordanie, ce qui s’est reflété sur la nature de la vie des Palestiniens. La Banque mondiale a signalé une baisse de 30 % de l’activité commerciale — 35 000 établissements commerciaux en Cisjordanie se trouvent aujourd’hui hors service — et une baisse de 26 % du PIB par habitant par rapport à l’année dernière.

 Le déclin économique s’est également étendu pour enregistrer des baisses record dans les activités des secteurs vitaux tels que les secteurs minier, électrique et manufacturier, qui ont diminué de 29 %, ainsi que le secteur de la construction de 51 %. Les activités agricoles et de pêche ont diminué de 11 %. Pire encore, selon les estimations du ministère palestinien du Tourisme, la bande de Gaza a subi des pertes estimées à environ 2,5 millions de dollars par jour pendant la guerre de Gaza, et la ville de Bethléem, à elle seule, a subi 67 % de ces pertes.

Selon International Crisis Group (ICG), une organisation non gouvernementale mondiale à but non lucratif, « les restrictions arbitraires strictes imposées par Israël sur la circulation des personnes et des biens en Cisjordanie — prétendant qu’il s’agit d’une nécessité de sécurité — ont entravé la croissance économique et affecté négativement la qualité de vie. Les entreprises palestiniennes sont également confrontées à d’énormes défis pour exporter et accéder aux marchés internationaux ».

Une économie dépendante d’Israël

En effet, les économies palestinienne et israélienne sont profondément liées, dans la mesure où l’économie palestinienne dépend d’Israël. Le shekel est la monnaie palestinienne d’après les négociations d’Oslo dans les années 1990, le protocole de Paris de 1994 et l’accord d’Oslo II, qui imposaient à l’Autorité palestinienne d’utiliser le shekel dans ses transactions bancaires avec Israël, qui constitue en même temps le marché le plus important pour les importations et les exportations palestiniennes.

Depuis 2016, le ministère israélien des Finances accorde à deux banques israéliennes, à savoir Israel Discount Bank et Hapoalim Bank, une exemption annuelle leur permettant d’établir des relations commerciales avec des banques palestiniennes. Cette exonération offre aux deux banques une permission d’agir en tant que chambres de compensation pour les transactions palestiniennes avec les marchés mondiaux. Elle facilite également le paiement des services et des salaires liés à l’Autorité palestinienne et l’importation de produits de base tels que la nourriture, l’eau et l’électricité dans les territoires occupés. En outre, il s’agit de l’unique mécanisme par lequel les recettes fiscales collectées par Israël au nom de l’Autorité palestinienne peuvent être transférées dans les caisses de l’Autorité. C’est également le seul moyen par lequel les banques palestiniennes peuvent convertir le shekel en d’autres devises par l’intermédiaire de la Banque Centrale d’Israël.

« Si Israël ne renouvelle pas l’exemption — suspendue début juillet dernier —, la plupart des services bancaires palestiniens seront bientôt perturbés et l’économie palestinienne ressentira immédiatement les ondes de choc. Les banques palestiniennes ne seront plus en mesure d’effectuer la plupart de leurs transactions, et les déposants palestiniens ne seront plus capables de payer les entreprises israéliennes ou de recevoir des paiements de leur part, à moins qu’ils n’aient recours à des transactions en espèces dont le plafond légal en Israël est de 6 000 shekels », a confirmé Tahani Moustapha, chercheuse en affaires palestiniennes au Centre de recherches de l’ICG.

Selon les observateurs, la Cisjordanie serait confrontée à une crise financière d’une ampleur similaire à celle qui s’est produite au Liban, et il y aurait un effondrement économique généralisé et complexe. Et si l’exemption n’est pas renouvelée, cela équivaudrait à « une décision politique visant à mettre fin à l’Autorité palestinienne, car elle mettrait un terme à toutes ses relations commerciales ».

Le Crisis Group a conclu qu’il était nécessaire que les Etats-Unis et les pays européens et arabes prennent des mesures susceptibles d’atténuer les répercussions économiques potentielles en Cisjordanie. « Sans mesure décisive, l’économie palestinienne se dirige vers un désastre qui déstabiliserait la Cisjordanie et la région dans son ensemble », a prévenu le Crisis Group. « Israël vise, à travers la punition collective des Palestiniens, à renforcer dans l’esprit des citoyens de Cisjordanie qu’il n’y a aucun espoir ni avenir pour y vivre, ce qui soutient l’idée du déplacement volontaire pour réduire la démographie palestinienne et amener des colons plutôt à la place de la population locale », conclut Tamara Haddad, experte dans les affaires palestino-israéliennes.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique