La nouvelle brouille entre Alger et Paris sur le Sahara occidental, à l'approche du scrutin présidentiel le 7 septembre en Algérie, complique encore la résolution des questions mémorielles, régulièrement "instrumentalisées" par les deux pouvoirs politiques, selon des experts.
"Le récit national sur la guerre d'Algérie est toujours dominant (dans le pays) et pendant une campagne comme la présidentielle, les Algériens sont sensibles à ces questions dans leurs choix de politique interne", souligne à l'AFP Hasni Abidi du Centre d'études CERMAM à Genève.
Le président sortant Abdelmadjid Tebboune, candidat à un deuxième mandat, n'a pas manqué d'y faire référence le 20 août lors de la journée du Moudjahid (combattant), en rappelant le passé colonial d'une France qui "croyait pouvoir étouffer la révolution du peuple par le fer et par le feu".
Pour Abidi, Tebboune va devoir "ajuster quelque peu son discours électoral pour se protéger d'éventuelles critiques en matière de politique étrangère" après le "fiasco total" de la stratégie de rapprochement avec le président Emmanuel Macron sur les questions mémorielles.
Le Maroc en arrière-plan
A l'été 2022, les deux hommes avaient en effet décidé de relancer la relation bilatérale en créant une commission mixte d'historiens pour clore une crise diplomatique qui avait éclaté près d'un an plus tôt autour de propos de M. Macron critiquant un "système politico-militaire" algérien "construit sur une rente mémorielle".
Le problème, selon Abidi, c'est que "le chantier mémoriel n'a jamais atteint sa vitesse de croisière et n'a pas réussi à s'affranchir de la tutelle politique".
Dans ce contexte, l'annonce fin juillet par Paris d'un soutien renforcé au plan d'autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental où l'Algérie soutient les indépendantistes du Front Polisario, va "porter un nouveau coup dur à la question mémorielle" et risque de "réveiller les blessures et stigmates du passé colonial", estime Abidi.
La longue conquête de l'Algérie à partir de 1830, la destruction de ses structures socio-économiques par des déportations massives, et la répression féroce de nombreuses révoltes avant une sanglante guerre d'indépendance (1954-1962) ayant fait 1,5 million de morts algériens selon l'Algérie, 500.000 dont 400.000 Algériens selon les historiens français.
Cette question est devenue "une sorte de serpent de mer que les deux pouvoirs instrumentalisent, selon les enjeux et les intérêts du moment", souligne à l'AFP l'historien Hosni Kitouni.
Pourtant, le contentieux mémoriel est surtout, selon Kitouni, "une affaire franco-française" depuis le transfert sur le sol hexagonal après l'indépendance, en 1962, des diverses composantes de l'ancienne colonie.
A savoir les "pieds noirs (Français rapatriés d'Algérie, ndlr), les harkis (auxiliaires des troupes coloniales, ndlr) et les descendants de colonisés (immigrés pour y travailler, ndlr), d'où sont issues des communautés mémorielles conflictuelles", estime le chercheur.
Chacune de ces communautés a, selon M. Kitouni, "un rapport différent au passé et chacune revendique la reconnaissance de ses souffrances, et des réparations de l'Etat" français, suscitant souvent d'âpres débats politiques internes. Comme lors de la condamnation officielle en mars dernier par l'Assemblée nationale du massacre de manifestants algériens à Paris en octobre 1961.
- "Crime contre l'humanité" -
Pendant les travaux de la commission d'historiens, Alger a demandé à Paris la restitution de crânes de résistants à la colonisation et de biens historiques et symboliques de l'Algérie du XIXe siècle, dont des objets ayant appartenu à l'émir Abdelkader, le héros anticolonial (1808-1883).
Conseillère à la Fondation Emir Abdelkader, Amira Zatir relève qu'un bon nombre de ces objets ont été dérobés lors de la chute de la Smala (troupes et entourage de l'émir) le 16 mai 1843. "Ces biens sont dans des musées en France où d'un point de vue juridique leur présence est illégale", dit-elle à l'AFP.
L'Algérie exige aussi la restitution des archives originales de la période coloniale (1830-1962) ramenées en France après 1962, de documents de la période ottomane, ainsi que la réparation d'actes commis par l'ex puissance occupante, comme les 17 essais nucléaires menés entre 1960 et 1966 dans le Sahara.
Président de l'association nationale des anciens condamnés à mort, l'ancien combattant Mustapha Boudina, 92 ans, réclame davantage, estimant qu'"il faut faire pression sur nos ennemis d'alors (la France) pour qu'ils se repentent et demandent pardon" de leurs "nombreux crimes".
La reconnaissance de la colonisation comme un "crime contre l'humanité" serait plus adéquate, estiment plusieurs historiens. Un qualificatif qu'avait utilisé Macron pendant sa première campagne présidentielle en 2017, soulevant une levée de boucliers dans la droite française.
Lien court: