C’est l’histoire de trois vies qui s’entremêlent, celles de trois amies de longue date : Hoda, Gigi et Nana. Elles ont fait leurs études dans la même école et ont continué à être comme les doigts de la main.
Le choix du titre du roman Talat Malekat Min Masr (trois reines d’Egypte) est très significatif. Car chacune d’elles constitue une incarnation moderne des illustres reines de l’Egypte Ancienne : « Chacune de nous mérite d’être une reine », s’exclame l’un des personnages féminins dans le premier chapitre. Effectivement, les trois copines quadragénaires rêvent de régner sur leur royaume familial.
Hoda, symbole du dévouement et du sacrifice, intelligente et forte de caractère, se compare à la reine Hatchepsout. La deuxième, Gigi, réputée pour sa beauté et son amour de la vie, incarne Néfertiti. Et Nana, dotée d’un esprit critique, s’assimile à Cléopâtre. Mais malheureusement, leur vie est « vouée à l’échec », et leurs conjoints sont « égoïstes ». « Il est absorbé par son travail, n’est plus disponible émotionnellement, happé par les hauts et les bas. La routine s’est installée entre nous », dit l’une d’elles.
Que faire alors ? Les relations extraconjugales ont constitué une sorte d’échappatoire pour les trois copines « malheureuses ».
Hoda, la professeure d’économie à l’université, se lance dans une aventure avec l’un de ses étudiants. « Quand elle rentre chez elle, elle se souvient toujours des câlins de ce jeune homme, dans la vingtaine, ayant l’âge de sa fille (…) parfois, elle pense rompre avec lui, mais c’est plus fort qu’elle », écrit Mona Zaki, qui continue à décrire les sentiments de cette femme mûre qui veut satisfaire son ego. Hoda compare souvent les moments furtifs qu’elle passe avec son amant à sa vie avec son conjoint qui semble l’exploiter en permanence.
Tout au long des 14 chapitres du livre, l’auteure nous entraîne dans un voyage émotionnel, à travers lequel les sentiments des trois femmes sont mis à nu. Rien ne permet de les juger, bien au contraire, l’écrivaine tente de justifier leur quête du bonheur.
Le désir de voir ailleurs
Les trois copines livrent leurs confessions, elles expliquent dans les plus infimes détails pourquoi elles ont voulu voir ailleurs. « Je suis toujours aussi belle qu’avant, capable de séduire », affirme Gigi, diminutif de Gihane. Elle a rencontré un pilote de l’air, par pur hasard. A Paris, cette relation a pris son élan. « Ses yeux brillent, ses lèvres deviennent plus rouges et sa bouche plus pulpeuse ». La présence de cet homme gentil et généreux à ses côtés a changé son existence. Elle cherche alors à se donner des prétextes : « Je ne fais rien de mal ! », « Hadi (son partenaire) est infidèle lui aussi ». Il drague tout ce qui bouge ! Alors, elle veut prendre sa revanche.
Les dialogues intérieurs se poursuivent, et on arrive à la troisième femme du roman, Nana, qui cherche une bouffée d’oxygène, une dose d’adrénaline avec son amant Khaled, un homme d’affaires. Etant copte, elle n’a pas droit au divorce. Et ce, malgré les maltraitances qu’elle subit. Son mari est bisexuel, il la trompe souvent, alors pourquoi pas elle ? « Je veux faire en sorte que personne ne souffre ; je ne dois pas renvoyer mon amant, et mon époux ne doit pas découvrir mon infidélité ». En effet, ce qui lui facilite un peu la tâche c’est qu’ils n’ont pas d’enfants. Face à face avec son mari, autour de la table de déjeuner, elle laisse échapper de longs soupirs.
L’auteure parvient à affirmer, avec beaucoup d’audace, que « construire un couple exige du temps, de l’attention et beaucoup de travail ». Une femme a besoin de se sentir désirée, sinon elle peut se donner le droit elle aussi à aller voir ailleurs. Or, ceci n’est pas toujours accepté au sein d’une société masculine, donnant tous les droits aux hommes et condamnant les femmes si elles se comportent de la même manière.
Mais pourquoi l’écrivaine et universitaire francophone a-t-elle eu recours à des références et des comparaisons avec l’Egypte Ancienne ? « La plupart des membres de ma famille portent des noms ou prénoms pharaoniques : Ahmos, Osiris, Séti ; ma mère s’appelle Isis et ma grand-mère Néfert ! », a-t-elle dit lors de la soirée de dédicace. L’oeuvre serait éventuellement traduite vers le français, l’anglais et l’espagnol, tout comme son premier roman Le Royaume du coeur, paru chez L’Harmattan et traduit par Ahmed Youssef et Osama Khalil. On retrouve d’ailleurs dans son nouveau roman le même style fluide et libre, et la même préoccupation de donner une image de l’évolution de la société égyptienne. Elle raconte toujours des histoires de femmes, allant au-delà des tabous habituels .
Talat Malekat Min Masr (trois reines d’Egypte), de Mona Zaki, éditions Hayaat Al-Khedma Al-Rouhiya, 2024, 433 page
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