Al-Ahram Hebdo : Comment évaluez-vous la situation actuelle au Yémen ?
Zaid Al Zari : La situation actuelle au Yémen est très complexe, tant sur le plan politique que sur le plan militaire. Nous assistons à un état d’impuissance générale des parties impliquées. Aucune partie n’est en mesure de réaliser des résultats politiques par des actions militaires. Nous vivons une déchirure, une effusion de sang et une déconnexion sans précédent. J’appelle les sages à convoquer toutes les parties, tant internes qu’externes, ainsi que les acteurs régionaux pour trouver rapidement une solution politique. Je ne vois pas de perspective d’issue militaire.
Le Yémen est témoin d’une effusion de sang au vu et au su des Nations-Unies, du Conseil de sécurité, des organisations internationales et des superpuissances. Nous sommes profondément attristés par le peu d’attention que les Arabes et les musulmans portent au peuple yéménite, qui est en détresse. Le Yémen, après une période de stabilité, est devenu un pays dévasté, à l’instar d’autres pays arabes détruits et disloqués, dans un contexte de dérive générale. Je ne blâme pas uniquement les acteurs étrangers, mais aussi les dirigeants et élites yéménites, qui n’ont pas su instaurer la stabilité. Ces élites sont principalement motivées par des intérêts privés, partisans et géographiques. Il n’existe pas de projet national unificateur vers la voie de la stabilité.
Aujourd’hui, le Yémen est un pays affaibli. Les raids ont détruit les infrastructures et les luttes internes déchirent le pays. Si la situation persiste, nous pourrions assister à une division du Yémen et, pire encore, à de nouvelles démarcations et frontières géographiques.
— Est-il encore possible d’appliquer la résolution de l’ONU 2 216 et l’initiative des pays du Golfe ?
— La guerre n’a pas seulement opposé les Yéménites entre eux, mais aussi le Yémen aux pays du Golfe. L’intervention saoudienne au Yémen ne doit pas être négligée. Toutefois, tous les acteurs ont affiché leur désir de paix après leur épuisement. Espérons qu’il sera possible de mettre fin aux hostilités. Deux rounds de négociations à Genève ont eu lieu sans résultats concrets. D’autres négociations ont eu lieu entre la partie yéménite, « Ansar Allah » (les Houthis), et l’Arabie saoudite, préparant ainsi le terrain pour les discussions au Koweït. Ces négociations ont conduit à une accalmie sur la frontière saoudo-yéménite, bien que les affrontements se poursuivent sur d’autres fronts. Les raids aériens continuent, ce qui indique que le règlement n’est pas encore proche, malgré un climat régional et international relativement favorable.
La résolution de l’ONU 2 216 n’a pas résolu la crise et ne la résoudra probablement pas. La solution réside dans des concessions de toutes les parties et un accord entre les Yéménites pour mettre fin à la guerre interne. L’intervention saoudienne contre le Yémen est survenue dans un contexte de divergences internationales et régionales aiguës, visant à redéfinir les équilibres dans la région. L’Arabie saoudite a justifié son intervention par des soupçons concernant l’expansion de l’influence iranienne et le rattachement du Yémen à l’axe iranien. Il est certain que la poursuite de la guerre renforce la présence iranienne au Yémen et pourrait conduire à un contrôle total de ce dernier par l’Iran si aucune initiative n’est prise pour arrêter la guerre et parvenir à une paix juste et équitable. Nous savons que les attaques menées par les Etats-Unis et le Royaume-Uni contre le Yémen découlent d’une décision internationale visant à trouver un compromis avec l’Iran.
— Comment répondre aux craintes saoudiennes d’une expansion de l’Iran à ses frontières et à ses préoccupations concernant un rapprochement américano-occidental avec Téhéran via l’accord nucléaire ?
— L’Arabie saoudite soupçonne les intentions occidentales. Elle estime que cela pourrait se faire à ses dépens et redoute que l’Iran se voit attribuer un rôle plus dominant. A mon avis, les objectifs de l’Arabie saoudite ont été atteints. L’un d’eux était d’affaiblir le mouvement « Ansar Allah » (alias les Houthis) et c’est ce qui a été accompli. Ce groupe ayant été déstabilisé par les conflits internes. Un autre objectif était d’éloigner la présence iranienne du Golfe, et en ce sens, l’Arabie saoudite a obtenu des résultats.
— Existe-t-il encore des dangers en provenance du Yémen qui menacent l’Arabie saoudite ?
— L’état de faiblesse, de pauvreté et de souffrance dans lequel vit le peuple yéménite, notamment dans les régions frontalières, peut représenter un danger pour ses voisins si les blessures des âmes ne sont pas guéries et si les villes et villages détruits ne sont pas reconstruits. Le Yémen doit rectifier le tir et cicatriser ses blessures.
— Pensez-vous que la situation dans laquelle se trouve le Yémen aujourd’hui tienne aux interventions étrangères ?
— Je refuse catégoriquement de réduire la situation au Yémen à des raisons purement étrangères, car la théorie du complot étranger ne fait que renforcer le sentiment tribal. Sous le règne de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, ses rivaux historiques ont exploité la révolte des jeunes lors de la Révolution de 2011. En plus, des projets étrangers malveillants et des politiques pragmatiques aux intérêts étroits ont également profité de cet élan national, poussant certaines personnes à faire appel à des puissances internationales et régionales pour contrer le président. Il s’agissait notamment du Qatar, dans le cadre du projet misant sur les « Frères musulmans » visant à gouverner les pays arabes.
— Après l’échec des négociations au Koweït, pensez-vous qu’il soit toujours possible de reprendre le processus de négociations ?
— J’appelle à la reprise des négociations pour adopter des mesures concrètes en vue de parvenir à la paix, selon le dernier plan de l’émissaire onusien, basé sur l’initiative de l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry. Pour assurer le succès des négociations, je propose que Le Caire, la capitale des Arabes, accueille les prochaines discussions, afin de parvenir à une solution globale et effective. Tout retard ou espoir en des changements internationaux après les élections américaines n’entraînera que davantage de conflits, non seulement au Yémen, mais aussi dans la région avoisinante.
— Comment est-il possible de réaliser la réconciliation nationale et de mettre fin à l’effusion de sang et à l’effondrement économique ?
— Nous devons tous nous unir et adopter un slogan commun : faire la guerre à la guerre. Les belligérants doivent avoir le même courage et la même volonté de s’engager dans un processus politique, avec la même détermination qu’ils ont eue pour mener la guerre. La seule issue est d’adopter le principe du partenariat au pouvoir au Yémen. Notre problème réside dans la culture de l’exclusivité et de l’annulation de l’autre, ce qui nous entraîne dans un tourbillon de conflits depuis la première guerre contre les Houthis. Certains souhaitent les écarter entièrement, mais cela n’a pas été possible. Les Houthis ont même été proches d’imposer leur pouvoir sur tout le Yémen. Il en a été de même pour le président Ali Abdallah Saleh en 2011, lorsque ses opposants ont tenté de l’écarter malgré sa popularité. La seule solution est donc de parvenir à des réconciliations locales dans les zones de conflit, menant à une réconciliation nationale globale, sous le parrainage arabe, notamment de l’Egypte et de l’Arabie saoudite.
La solution réside dans la priorité donnée à la réconciliation nationale. Il n’y a aucun inconvénient à ce que l’Arabie saoudite passe du rôle de leader d’une coalition en guerre au Yémen à celui de pionnier de la paix et d’initiateur du règlement et de la réconciliation nationale, à condition de rester neutre vis-à-vis de toutes les forces et composantes yéménites, afin d’instaurer la paix, la sécurité et la stabilité et de préparer la reconstruction et la restauration des relations. Si nous restons prisonniers des rancunes, nous ne verrons que davantage d’effusion de sang. Les pays de la coalition doivent être conscients qu’ils ne réaliseront aucun exploit militaire et ne récolteront que haine et désir de vengeance. Nous devons éviter cela et adopter des mesures concrètes pour parvenir à un règlement politique et une véritable réconciliation nationale, en commençant par des réconciliations locales dans chaque région. Il est impératif d’arrêter la guerre au Yémen pour sauver toute la région .
Lien court: