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Les Frères musulmans et les Américains

Tuesday 23 oct. 2012

On a beaucoup entendu parler ces derniers temps de relations étroites entre les Frères musulmans et leur Parti Liberté et Justice (PLJ) d’une part, et l’administration américaine d’autre part.

Ces paroles ne manquent pas d’exagération. J’ai d’ailleurs été témoin de discussions entre des parlementaires américains et des Egyptiens, membres de la confrérie des Frères musulmans durant l’ancien président. Les Américains tenaient beaucoup à ce genre de dialogue. Je pense qu’ils pariaient beaucoup à l’époque sur le cheval islamique qui pourrait gagner la course pendant les prochaines années. Les Frères musulmans axaient leurs discussions sur deux principales questions. Premièrement, l’injustice qu’ils subissaient, la persécution permanente de leurs activités politiques et l’iniquité des chances dans les activités politiques. Deuxièmement, la cause palestinienne en tant que principale cause musulmane à laquelle il faut trouver une solution juste qui répond aux droits légitimes du peuple palestinien tout en confirmant leur soutien pour l’orientation politique du mouvement Hamas et leur compassion pour les habitants de Gaza face à l’embargo israélien injuste. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts politiques depuis cette époque. Nous nous trouvons face à une scène différente après la révolution du 25 janvier 2011. Les Frères musulmans sont entrés avec force sur la scène politique d’une manière sans précédent dans leur histoire depuis la création de la confrérie en 1928. En effet, ils sont parvenus à la tête du pouvoir en obtenant la majorité des sièges dans le premier Parlement post-révolutionnaire et l’arrivée du président du PLJ, Dr Mohamad Morsi, au siège du président de la République.

Nous avons beaucoup entendu parler de contacts quasi secrets entre les directions des Frères musulmans et les cercles concernés à Washington après la révolution égyptienne. L’objectif était de renouveler l’esprit de coopération et de coordination entre les deux parties. A mon avis, les demandes des Américains à la confrérie, qui est passée de la politique de la rue au palais présidentiel, se résument en un certain nombre de points. Premièrement, ils ont revendiqué l’aide des Frères pour contrer les activités des groupes religieux extrémistes qui exercent ce que les Américains appellent le terrorisme en faisant allusion dans ce contexte à ce qui se passe dans la péninsule du Sinaï. Le second point s’axe sur la possibilité que la confrérie influence le mouvement palestinien de Hamas pour qu’il soit plus modéré et plus flexible, afin d’accepter les conditions du règlement pacifique avec l’Etat hébreu avec tous ses aspects racistes, agressifs, et surtout expansionnistes. Le mouvement Hamas est un mouvement de résistance islamique qui est presque l’aile militaire de la confrérie des Frères musulmans en Palestine, sans oublier qu’il est la faction qui jouit de la plus grande popularité à Gaza, voire même dans tous les territoires palestiniens. La troisième demande s’axe autour de la capacité des Frères musulmans de préserver la sécurité et la stabilité en Egypte et dans les pays arabes et islamiques. Le quatrième point s’axe autour du fait que la confrérie, avec son prolongement dans l’orient arabe et dans la région du Golfe, représente une muraille face au prolongement chiite en provenance de l’Iran.

On ne peut pas prétendre que la confrérie des Frères musulmans et ses directions islamiques nationales accepteront de se plier aux demandes américaines. On peut même prétendre qu’il est difficile que la confrérie, fondée par Hassan Al-Banna, s’enlise dans le marécage de la domination américaine sur ses politiques et ses orientations. En effet, celle-ci s’oppose aux principes de la confrérie et le cadre islamique de son mouvement politique. Je suis convaincu que Washington découvrira tôt ou tard que l’histoire de la confrérie ne lui permet pas de répondre aux demandes américaines et qu’elle s’arrêtera à un certain niveau qu’elle ne pourra jamais dépasser quel que soit le prix. En effet, répondre à ces demandes dans leur globalité signifie que la confrérie a changé de peau et a renoncé à ses principes. C’est une chose que le groupe au pouvoir de cette confrérie ne peut se hasarder à faire. En effet, elle perdrait l’estime de ses partisans si elle répondait à l’orientation américaine sous la tentation du soutien économique ou moral de son pouvoir pendant les prochaines années, surtout que l’histoire prouve jour après jour que les Américains n’assurent le couvert à personne.

Dans ce contexte, il s’avère important de signaler quelques remarques. Premièrement, une grande partie de ce qu’on entend à propos des discussions et des relations entre les Américains et la confrérie est plus proche des prédictions que des informations. De plus, les Etats-Unis et l’administration d’Obama ont commencé ces dernières semaines à réviser sérieusement leurs politiques envers l’Egypte à tel point qu’Obama a déclaré que l’Egypte n’était ni alliée ni ennemie. Des sondages d’opinions américains ont même révélé que 70 % d’un échantillon soutiennent la suppression des dons américains versés à l’Egypte, ou du moins leur réduction, notamment après les agressions contre l’ambassade américaine au Caire en septembre dernier.

Deuxièmement, la confrérie est coincée entre deux choix difficiles. Accepter les idées américaines ne s’accorde pas avec ses politiques, et l’animosité avec les Etats-Unis la placera spontanément dans le cadre des groupes et des pays ennemis de Washington. Le choix est donc difficile. La confrérie ne peut que jouir du parterre national égyptien qui lui octroie un véritable crédit dans toutes les circonstances.

Troisièmement, nous ne devons pas oublier que c’est l’année de l’élection présidentielle américaine avec toutes ses surenchères et sa guerre des déclarations qui ne s’arrêtent pas. Dans ce contexte, le régime au pouvoir en Egypte ne doit pas entrer en lice des batailles médiatiques, notamment après les déclarations émises par le ministre des Affaires étrangères d’un pays du Golfe, qui dénonce les politiques de la confrérie, s’y oppose et met en garde contre elles.

Il s’agit d’une lecture rapide du dossier épineux de l’avenir de la relation entre la confrérie des Frères musulmans et l’administration américaine actuelle et vraisemblablement prochaine. Une relation qui confirme que le mariage entre les deux parties est voué à l’échec, car les éventualités de choc sont plus grandes que toute autre éventualité.

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