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Préparer l’avenir numérique de l’Afrique

Nada Al-Hagrassy , Mercredi, 21 août 2024

L’Union africaine a adopté une Stratégie continentale d’Intelligence Artificielle (IA). L’objectif est de créer un écosystème et un marché africains de l’IA adaptés aux réalités du continent.

Préparer l’avenir numérique de l’Afrique

« L’Afrique a franchi une étape majeure vers la transformation numérique propulsée par l’Intelligence Artificielle (IA) », a déclaré l’Union Africaine (UA) sur son site officiel en annonçant l’adoption de la Stratégie continentale d’intelligence artificielle et du Pacte numérique. Ces deux initiatives ont été adoptées lors d’une réunion virtuelle regroupant quelque 130 ministres de la Communication et des experts africains en Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), qui s’est tenue du 11 au 13 juin 2024, dans le cadre de la deuxième session extraordinaire du comité technique spécialisé de l’UA sur les TIC. « Pour nous, Africains, l’IA offre d’énormes opportunités. C’est une force motrice pour un changement positif et transformateur favorisant la croissance économique et le progrès social », a déclaré Amani Abou Zeid, commissaire à l’infrastructure et à l’énergie à l’UA, lors de la séance inaugurale, avant de souligner qu’il est crucial d’adapter l’IA aux réalités africaines. Et d’ajouter : « Les systèmes d’IA doivent être capables de refléter notre diversité, nos langues, notre culture, notre histoire et nos contextes géographiques ». Ces deux initiatives visent à « tracer un avenir numérique pour le continent, afin de favoriser le développement durable, la croissance économique et le bien-être de la société africaine dans tous les domaines », stipule la déclaration de l’UA.

D’ailleurs, cette démarche intervient deux mois après la publication d’un « Livre blanc sur le développement de l’IA en Afrique » par l’Agence du développement de l’UA (AUDA-NEPAD) en avril 2024. Ce document aborde des questions essentielles telles que le capital humain, les infrastructures nécessaires, la protection des données, la réglementation et la sécurité de l’IA, son économie, la création de partenariats durables, ainsi que le suivi et l’évaluation.

Potentiel de développement économique

La question qui se pose est la suivante : quel est le potentiel de l’IA en Afrique et quels sont les enjeux ? Le continent a déjà franchi de grandes étapes dans l’intégration de l’IA dans son processus de développement. Plusieurs pays ont réalisé de grands progrès pour l’adoption de l’IA, notamment l’Egypte, les Iles Maurice, le Rwanda et le Sénégal. L’Afrique du Sud a mis en place un institut national, un centre de recherche et un projet national, tous dédiés à l’IA. Selon Jihane Abdel-Salam Abbas, professeure assistante en économie au centre des études africaines de l’Université du Caire, il existe actuellement près de 2 400 organisations d’IA en Afrique, dont 40 % ont été fondées au cours des cinq dernières années, opérant dans de divers secteurs tels que la santé, l’agriculture, le droit, la formation et les assurances. « Ce boom s’explique principalement par la période de la pandémie de Covid-19, qui a accéléré cette transition numérique », souligne Jihane Abbas. Et d’ajouter : « Les investissements dans l’IA ont attiré environ 500 millions de dollars de la part de 120 entreprises de 12 pays issus de différentes régions du continent, faisant de ce secteur l’un des plus prometteurs pour le développement économique ».

Selon de nombreux observateurs, l’IA pourrait offrir un potentiel économique important pour l’Afrique. Selon les estimations du Fonds Monétaire International (FMI), « elle pourrait contribuer à hauteur de près de 1 500 milliards de dollars au PIB africain d’ici 2030, en transformant en profondeur des secteurs-clés tels que la santé, l’agriculture, la finance et l’éducation ». L’utilisation de l’IA ne se limite pas aux seuls domaines économiques de développement durable, elle peut également être utilisée comme outil dans la prévention des conflits, comme le souligne Jihane Abbas : « Les informations obtenues grâce à l’IA peuvent permettre de prendre des mesures pour prévenir les conflits ou en réduire la propagation et les dommages qu’ils causent, notamment en Afrique, qui abrite le plus grand nombre de conflits dans le monde ».

Toutefois, selon Mohamed Abdel-Karim, spécialiste de l’Afrique, l’utilisation de l’IA dans le domaine politique est une arme à double tranchant. En effet, en raison de sa capacité sans borne à analyser d’énormes quantités de données, l’IA peut influencer les électeurs en faveur d’un candidat ou d’un parti politique après avoir analysé les préférences et les habitudes de vote des citoyens de la région concernée. En plus, l’IA peut gérer plusieurs sites de chat automatisés pour orienter les électeurs. Ainsi, lors des élections kényanes de 2017, la société de conseil Cambridge Analytica a été accusée d’utiliser l’IA pour cibler et manipuler les électeurs, ce qui aurait pu influencer les résultats des élections. Cet incident a mis en lumière l’un des principaux défis de l’utilisation de l’IA, notamment dans le domaine politique. « Il s’agit principalement de la confiance envers l’IA elle-même. L’autre défi est la capacité des pays africains à gouverner, réglementer et surveiller de manière équitable l’utilisation des outils d’IA par tous les acteurs politiques », estime Abdel-Karim.

Défis à relever

Malgré l’immense potentiel de l’IA en Afrique, sa mise en oeuvre sur le continent se heurte à de nombreux enjeux. La connectivité et l’accès à l’Internet sont le défi numéro 1, comme le souligne Jihane Abbas. La Banque mondiale indique que chaque augmentation de 10 % du taux de pénétration d’Internet mobile en Afrique pourrait générer une augmentation de 2,5 % du PIB. Seuls environ 40 % des Africains ont accès à Internet, contre près de 87 % en Europe et 95 % en Amérique du Nord. On estime à 267 millions le nombre d’individus qui n’utilisent pas l’Internet en Afrique. « Sans une connexion suffisante, des régions entières seront exclues de tout ce que cette technologie peut offrir », explique la spécialiste.

Autre défi : aucun pays africain ne figure parmi les 50 premiers au niveau mondial dans le domaine de l’IA en 2023. Le dernier rapport publié par la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Afrique (CEA) a mis en lumière le fait qu’à l’heure actuelle, « l’Afrique est largement absente des instances internationales encadrant et réglementant le développement de l’IA ». Lors du sommet de Bletchley Park qui s’est tenu en novembre 2023 et qui a rassemblé des responsables politiques, des géants de la technologie et des experts mondiaux pour définir une approche commune sur l’IA, aucun pays africain n’a participé à la signature de la « déclaration de Bletchley ». Cela a conduit le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à affirmer que « l’IA exacerbe les inégalités déjà croissantes entre les pays ». « L’enjeu est donc de taille. Il en va de la souveraineté numérique de l’Afrique et de sa place dans le nouvel ordre mondial qui se dessine. L’Afrique peut devenir un leader dans une IA responsable. Forte de sa jeunesse et de sa diversité, l’Afrique a la chance de tracer une voie originale vers une IA inclusive », conclut le rapport.

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