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Un si doux supplice !

Chahinaz Gheith , Mercredi, 14 août 2024

Pour être belles, les femmes sont prêtes à toutes les souffrances, y compris à porter des talons hauts, très hauts, symbole d’élégance et de féminité. Malgré la mode des baskets et la tendance du choix du confort, rien n’a pu détrôner les talons hauts. Inconfortables mais incontournables.

Un si doux supplice !

Sortir sans talons ? Impossible pour Dina, qui n’hésite pas à porter quasi systématiquement des talons de 7 cm ou de 9 cm, parfois plus. En journée comme en soirée, elle en est une véritable adepte et ne les quitterait pour rien au monde, malgré la douleur lancinante qu’ils provoquent. Pour elle, la féminité passe par les talons, un atout majeur pour valoriser toute silhouette. « J’en porte tous les jours, je ne peux me passer de la magnifique silhouette que les talons offrent. Ma démarche est plus assurée, je me tiens plus droite et me sens plus sexy. Cela donne une allure féminine », lance cette femme coquette à la cinquantaine d’années et qui déteste les chaussures plates et les petites ballerines. Très soucieuse de son apparence, elle raconte sa passion pour les talons hauts. « Ils rendent les femmes plus visibles et complètent l’attrait des vêtements. Les talons carrés ou coniques se marient bien avec la tenue d’entreprise. Les talons aiguilles donnent aux minis ou aux tuniques un aspect plus frappant. Porter des talons carrés avec un pantalon ou un jean à fond large donne un look cool », poursuit-elle, tout en ajoutant que les talons sont aux femmes ce que les cravates sont aux hommes. Non seulement ils donnent de l’élégance au code vestimentaire, mais aussi ils remontent le moral, ajoutent de la confiance et de la vigueur à l’apparence générale et à la personnalité d’une femme. Ainsi, les femmes qui portent des talons dégagent une aura indépendante, supérieure et intellectuelle.

Même écho pour Mona, 32 ans, qui se sent plus sûre d’elle en portant des talons hauts, d’autant qu’elle est en surpoids et petite de taille. « Le port de talons permet d’ajouter quelques centimètres à ma taille en ayant un look grand et en donnant à mes jambes une apparence plus longue et plus galbée », dit-elle, tout en racontant qu’elle porte toujours des talons au bureau pour être à la hauteur du regard de son patron. « C’est très différent de regarder en face ou de regarder vers le haut. Etre plus grande nous met à un niveau d’égalité », ajoute Mona qui peut marcher avec beaucoup de confiance sur des talons de 9 et de 12 cm.

Un attribut autrefois masculin

En effet, la garde-robe d’une femme n’est pas complète sans les chaussures à talons. Elles ont le pouvoir de sublimer les pieds et de donner à la femme une allure gracieuse et sophistiquée. Que ce soit pour une soirée spéciale, un événement formel ou simplement pour ajouter une touche d’élégance à la tenue quotidienne, les chaussures à talons sont l’alliance parfaite entre style et féminité. Et pourtant, les talons n’ont pas été inventés pour les femmes ! Ces chaussures, avec lesquelles les top-models ne cessent de défiler sur les podiums, ont été inventées par les hommes et pour les hommes. Leur création remonte, en effet, à l’Egypte Ancienne. A cette époque, tout le monde marchait pieds nus et certaines personnes, comme les bouchers, avaient les leurs qui pataugeaient dans le sang. Pour éviter cela, ils se fabriquèrent des sortes de sandales à talons hauts. Cette idée est ensuite reprise par les Perses au Xe siècle pour des raisons guerrières. Lorsque les cavaliers perses, au galop, se levaient sur leurs étriers pour tirer à l’arc, les talons leur permettaient d’avoir une meilleure stabilité et donc être plus précis. Des chaussures à talons apparaissent ensuite vers 1600 et elles sont portées par les hommes et les femmes. Louis XIV les popularise, car il est tout petit. Puis, ces talons disparaissent pendant la Révolution française. La mode étant influencée par l’Antiquité romaine, les sandales plates grecques et romaines sont de mise. Après la Seconde Guerre mondiale, Charles Jourdan invente le talon aiguille, qui est en acier. Les vedettes d’Hollywood telle Marilyn Monroe popularisent les talons hauts. Alors que les féministes des années 1960 y ont plutôt vu un signe de soumission, les talons hauts demeurent et conquièrent les coeurs des femmes.

« Aujourd’hui, la jeune génération refuse les diktats de la mode et n’affiche pas du tout sa féminité de la même façon. Pour elle, le confort est devenu une préoccupation dominante. Les jeunes d’aujourd’hui ont la liberté de passer d’un look à un autre sans se sentir obligées de passer par la souffrance des talons », explique Noura Essam, jeune styliste. Mais elle insiste : « Une femme qui porte un talon haut est nettement plus sexy ! A talon, on se sent plus femme qu’avec des baskets, même à la mode. Les chaussures à talons sont indispensables lors des événements formels ou des soirées chics. Et pour preuve, on voit les mannequins les porter dans les défilés de prêt-à-porter ou de haute couture et les stars du cinéma dans toutes les occasions ».

L’élégance … et la torture

Cependant, toutes les femmes s’accordent sur un point : c’est une torture ! Marcher une heure en équilibre sur des escarpins provoque chez la plupart d’entre elles des douleurs insupportables, à tel point que beaucoup avouent rentrer chez elles pieds nus pour atténuer leur souffrance. Mais la vogue des talons aiguilles reflète l’image d’une femme moderne, capable de se faire souffrir pour prouver sa pleine maîtrise d’elle-même, tout en affichant sa féminité. Il faut savoir en effet que, portés trop longtemps, les talons hauts provoquent des déformations parfois irréversibles : orteils en marteau, oignons, lésions aux tendons, aux genoux, déformation de la colonne vertébrale. Dr Ahmed Al-Barbari, ostéologue, estime que les chaussures à talons hauts créent des effets néfastes sur le corps : de la colonne vertébrale aux pieds. La rigidité, la hauteur du talon et la compression à l’avant des chaussures peuvent causer l’hallux valgus (oignon). Dans ce cas, la base du gros orteil dévie vers le deuxième orteil, entraînant une déformation de l’avant-pied.

« Avec l’utilisation de talons, la femme est obligée de se tenir sur la pointe des pieds pendant une période continue. Les muscles s’adaptent donc à cette position avec une longueur raccourcie. Il a été démontré que le développement d’un raccourcissement musculaire du triceps suralis (muscles du mollet et du soléaire) et de la plante du pied est dû à cette posture. Cela conduit finalement à une douleur dans la région postérieure du genou », explique-t-il.

Ampoules, pieds endoloris, crampes … Marcher en talons se transforme rapidement en calvaire pour de nombreuses femmes. Marwa, une femme de 41 ans, assure que ses pieds sont devenus assez sensibles et se chausser vire au casse-tête. « Mes pieds ont épuisé leur capacité à supporter l’inconfort. Aujourd’hui, je ne peux pas passer une journée entière à faire du shopping en portant des talons aiguilles avec une douleur limitée. Même lors de soirées ou pendant le mariage de mes amies, je ne peux pas garder des talons fins plus de deux heures. Je n’ai donc qu’à les troquer pour des sneakers, afin de pouvoir me lever, danser et profiter de la fête », souligne-t-elle.

Confort ou beauté ?

D’autres femmes évoquent plutôt la difficulté à se déplacer avec de hauts talons. « J’ai du mal à marcher avec et je n’arrive pas trop à m’y habituer. Aujourd’hui encore, j’en achète mais je ne les porte pas », dit Yasmine, 25 ans, pour qui l’inconfort et la douleur, c’est ce que représente le port de hauts talons. Elle en a bien deux ou trois paires dans son placard qui ne sortent que dans les grandes occasions, comme les mariages.

Si Yasmine s’en passe facilement, ce n’est pas le cas de Alia, une quinquagénaire nostalgique de ses 20 ans. « Il n’y a rien à dire, les chaussures plates sont confortables, celles à talons sont de loin plus élégantes. Je suis tellement triste de ne pas pouvoir en porter comme avant ! », se lamente-t-elle.

Par choix ou par obligation, nombreuses sont les femmes qui ont cependant renoncé à porter au quotidien des chaussures à talons hauts. Et ce, au profit des sneakers et des ballerines qui se sont imposées dans le monde du travail. Tous les matins avant d’aller au travail, Sawsan, 44 ans, comptable, n’a plus à s’inquiéter de savoir si elle va réussir à supporter ses chaussures à talons jusqu’au soir. Cela fait maintenant cinq ans qu’elle a abandonné ses escarpins au profit des sneakers. « Quel soulagement ! J’enfile ma paire de baskets sans me soucier de ce que j’ai à faire dans la journée ! », rapporte-t-elle, tout en ajoutant que cela l’a rendue beaucoup plus mobile et plus à l’aise.

Ce qui n’est pas du goût des créateurs de mode, à l’instar de Christian Louboutin, le créateur français des chaussures à la célèbre semelle rouge , qui estime que la beauté est synonyme de douleur. « Ce n’est pas mon travail de créer quelque chose de confortable. Je détesterai que quelqu’un regarde mes chaussures et me dise : Oh mon Dieu ! Elles ont l’air tellement confortables ! ».

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