« Al-Sissi annoncera officiellement sa candidature la première semaine de février », croit savoir un membre du mouvement
Tamarrod, chef de file de la campagne de collecte de signatures pour la destitution de Morsi. L’intention du ministre de la Défense, le général Abdel-Fattah Al-Sissi promu lundi dernier maréchal, le plus haut grade de l’armée et rarement attribué, de briguer le poste de président de la République ne fait plus aucun doute. La promotion serait un prélude à son départ à la retraite pour s’afficher comme «
candidat civil ».
Il a pourtant fallu trois déclarations en trois heures. L’agence de presse officielle Mena a annoncé lundi dans la soirée que « les forces armées ont à l’unanimité décidé de mandater le ministre de la Défense de se porter candidat à la présidentielle ». L’annonce est rapportée par la télévision publique après la réunion du Conseil suprême des forces armées qui aurait discuté du nom du successeur. Le porte-parole de l’armée ne tarde pas à nier les changements dans les rangs du conseil, mais ne conteste ni « la délégation de l’armée », ni « la candidature » d'Al-Sissi. « C’est comme si le Conseil militaire était lui-même candidat », explique le professeur de sciences politiques Moustapha Kamel Al-Sayed. Selon lui, « l’armée pourrait même chercher à trouver une interprétation de la Constitution qui permettrait à Al-Sissi de cumuler deux postes : la présidence et la Défense ». La formule ne serait outre qu’une réponse positive au « mandat » réclamé par Al-Sissi au peuple et à l’armée.
Le communiqué officiel, lui, appelle le chef de l’armée à répondre à l’« appel du peuple » en se présentant à l’élection présidentielle, prévue en avril, après la décision du président par intérim Adly Mansour de l'organiser avant les législatives, contrairement au calendrier fixé après la destitution de Morsi.
La veille, Yasser Rizq, PDG du quotidien Al-Akhbar, et l’un des journalistes proches d'Al-Sissi, chantait les mérites de son candidat. Il voit dans le futur président de l’Egypte « un homme honnête avec son peuple, fidèle à son pays et qui ose rêver. Un leader du peuple qui sait par où commencer et où se diriger ». La louange est reprise dès le lendemain par le journaliste Ibrahim Issa, à qui Al-Sissi, « l’homme de vision et d’expertise », aurait confié que « le peuple appellera de nouveau l’armée ».
En effet, l’armée avait été appelée à la rescousse en plein mandat du premier président civil, l’islamiste Mohamad Morsi, qui avait tenté de s’accaparer politiquement de toutes les institutions de pouvoir. L’occasion était alors idéale pour le Conseil militaire de se refaire une image, ternie par une transition désastreuse en 2011. Depuis la destitution de Morsi en juillet 2013, la cote des militaires ne cesse ainsi de grimper et la rue semble plus que jamais désireuse d’un président « fort ». « Il y a un besoin réel chez les Egyptiens : il est nommé sécurité et stabilité. Et l’armée parle un langage qu’ils cherchent », estime l’anthropologue politique Dina Makram Ebeid.
Rapport de force favorable
Avec des révolutionnaires affaiblis et diffamés, en plus d’islamistes pourchassés, le rapport de force est plus que jamais favorable à l’armée qui déclarait, pourtant auparavant, ne pas avoir l’intention de soutenir un candidat pour l’élection présidentielle. Mais 4 noms de militaires ou ex-militaires s’imposent aujourd’hui, bien que leur chance ne soit pas la même. Ahmad Chafiq, ancien candidat en 2012, vaincu au 2e tour face à Morsi, semble bénéficier d’un certain appui lié à l’ancien régime de Moubarak. Mais selon l’expert militaire Ahmad Abdel-Halim, « il possédait une popularité qui était uniquement liée à l’existence d’un rival Frère ». Derrière lui arrive l’ancien numéro deux du Conseil militaire, le général Sami Anan, chassé par Morsi en faveur d'Al-Sissi. Mais Anan, tout comme Mourad Mouafi, l’ex-chef des renseignements, ne semble disposer « ni d’un appui populaire, ni d’un appui politique », croit savoir Abdel-Halim. Selon cet ancien militaire toujours proche des cercles de prise de décision, il serait naïf de parler d’une force politique de l’armée en tant que telle, en comparaison par exemple avec une force islamique. « La popularité d'Al-Sissi vient plutôt de la rue, et il est difficile de parler d’une force politique uniforme et claire derrière lui ». Ainsi Al-Sissi a compté à plusieurs reprise sur une mobilisation de la rue pour réclamer une sorte de blanc-seing.
La force apolitique
Ce sont surtout les apolitiques qui forment cette nouvelle force. « Ceux qui militent pour Al-Sissi comme président ne sont pas les militaires, ce sont les gens de la rue, les femmes en premier lieu. N’oubliez pas que c’est un bel homme », a ainsi résumé le premier ministre, Hazem Al-Beblawi, lors de son passage au dernier Forum de Davos, en Suisse. De Gaulle, Eisenhower ou Nasser sont évoqués, à titre de comparaison. « Le charisme peut marcher, mais pas longtemps, explique l’analyste politique Dina Makram Ebeid. Le charisme ne peut remplacer les institutions et ne peut lui permettre de tenir longtemps face au recul des ressources du pays et son endettement auprès des monarchies du Golfe ».
Moubarak, durant ses trois décennies au pouvoir, s’était adossé aux forces de sécurité et à un parti en perpétuelle expansion. Ce n’est que durant ses dix dernières années qu’il avait fait des hommes d’affaires un pilier de la stabilité de son pouvoir. Le cas Al-Sissi reprend une partie de ces ingrédients : forces de sécurité, hommes d’affaires soucieux de restaurer un régime à l’ancienne qui protège leurs intérêts et médias partisans. « Une entente d’intérêt est désormais en place entre toutes les forces importantes et, en premier lieu, les médias », avance Ebeid. Ceux-ci ne véhiculent qu’un seul message et travaillent sans aucune exception en faveur d’une mobilisation à sens unique. Et c’est justement cette propagande incessante qui a amplifié la popularité de l’homme fort du pays, dont la performance ne peut plus être remise en question, comme l’indique l’activiste de gauche Waël Khalil. La performance en matière de sécurité, par exemple : en 7 mois, le pays est passé d’une division politique à des attentats à la voiture piégée.
Jusqu’au troisième anniversaire de la révolution, les partisans d'Al-Sissi le présentaient comme le « candidat du salut national », selon les termes de l’écrivain Abdallah Sennawi, l’un de ses théoriciens. « Un candidat exceptionnel dans une situation exceptionnelle », disait-il.
Même si Al-Sissi est assuré de remporter la présidentielle, la scène du 25 janvier 2014, jour anniversaire de la révolution, avec 64 morts et 1 000 arrestations, révèle tout au grand jour, sauf ce « consensus » promis. Sennawi parle désormais d’une « réconciliation entre l’Etat qui est de retour, et la révolution avortée ».
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