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Thérèse Kayikwamba Wagner : « Nous ne voulons pas une guerre régionale »

Heba Zaghloul , Mercredi, 07 août 2024

Thérèse Kayikwamba Wagner, Ministre congolaise des Affaires étrangères, Coopération Internationale et Francophonie, revient sur la situation dans l’Est de la République du Congo en proie à de violents combats entre le groupe rebelle M 23, soutenu par le Rwanda, et l’armée congolaise. Entretien.

Thérèse Kayikwamba Wagner

Al-Ahram Hebdo : Comment la RDC fait-elle face aux groupes armés à ses frontières ?

Thérèse Kayikwamba Wagner : C’est une situation très préoccupante. Je dois dire que c’est la priorité des priorités pour le gouvernement de la RDC. Notre pays fait face à un cycle de violences qui dure maintenant depuis le milieu des années 90 et au cours duquel nous avons perdu des millions de nos compatriotes. La question de l’activisme des groupes armés a toujours fait partie de cette problématique de l’insécurité dans l’Est de la RDC. Mais aujourd’hui il faut parler ouvertement du fait que la plus grande menace à laquelle nous faisons face est la présence des forces armées rwandaises sur notre territoire. Leur nombre s’élèverait à 4000 soldats selon le groupe d’experts des Nations Unis. Donc, vous voyez que cela remet en question la perception selon laquelle la crise en RDC serait uniquement un problème congolais. Pourquoi un pays voisin se permet-il d’envoyer des forces armées dans un Etat souverain membre de l’UA et de l’ONU ? Et pourquoi insiste-t-on à parler d’un conflit congolais alors qu’il s’agit d’un conflit où la RDC est agressée par le Rwanda, menaçant ainsi la paix internationale ? C’est cette partie du discours qui manque dans la représentation du conflit à l’Est de la RDC, et qui nous empêche de parler de la corrélation entre la présence rwandaise et les répercussions humanitaires. Nous faisons face actuellement à plus de 7 millions de congolais déplacés en RDC à cause du conflit mais pire encore, des camps de déplacés sont bombardés par les M23 (groupe armé congolais) et les forces armées rwandaises. Tout cela est confirmé par le rapport du groupe des experts des Nations Unis. Pour la RDC, il n’y a pas de zone grise, nous sommes un pays qui a été agressé par son voisin mais nous voulons une paix durable.

 

- Où en sont les discussions avec le Rwanda ?

- La RDC est déterminée à trouver une solution durable au conflit. C’est la raison pour laquelle nous intégrons toutes les initiatives de paix et de dialogue qui peuvent mener vers une solution durable de ce conflit. Nous saluons l’initiative du Pprésident angolais, Son Excellence João Manuel Gonçalves qui facilite les pourparlers avec le Rwandale processus de Luanda. Néanmoins, tout processus de médiation doit être basé sur une première condition qui est la sincérité des parties. Nous sommes le pays qui paie le prix de cette violence, de cette agression. Nous voulons la paix et sommes sincères dans nos efforts et dans notre engagement au sein du processus de Luandau Rwanda. Mais nous nous posons sérieusement des questions quant à la sincérité de l’autre partie qui n’a aucune hésitation à bombarder des sites de déplacés de guerre, des femmes et des enfants qui meurent, ni à se lancer dans une conquête de guerre expansionniste et c’est pour cela que nous nous posons des questions sur la viabilité de ce processus puisque l’autre partie demeure dans une position extrêmement belliqueuse.

 

- Y’a-t-il un processus initié par l’Union africaine qui pourrait accélérer les négociations dans ce conflit ?

- Le président ougandais angolais a été mandaté par l’Union Africaine (UA), donc il s’agit d’une initiative aussi en complémentarité avec les instruments et les dispositifs de l’UA pour prévenir aux crises. Nous devons parler de sanctions et de mesures contraignantes qui pourraient encourager toutes les parties à s’engager en toute franchise dans le dialogue. Et c’est là que nous avons des attentes, nous ne pensons pas qu’une approche, à savoir celle du dialogue que nous saluons d’ailleurs, soit suffisante vue l’immensité de la tâche et surtout vue la souffrance humaine.

 

- Si les efforts n’aboutissent pas, certains mettent en garde contre une guerre plus régionale. Ces craintes sont-elles fondées ?

- Nous ne voulons pas de guerre régionale. Quant à la possibilité que cela se produise, il faut poser la question au Rwanda, un pays qui envoie 4 000 soldats pour agresser un pays souverain. C’est donc une question à poser à Kigali et pas à Kinshasa.

 

- Un retrait de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique (Monusco) est prévu d’ici quelques mois, la RDC s’est-elle préparée à cette nouvelle phase ?

- Il y a un plan de désengagement global pour un retrait progressif de la Monusco, élaboré conjointement par la RDC et les Nations-Unies. Nous venons de compléter la première phase et la Monusco a déjà quitté le Sud-Kivu. La prochaine étape sera le Nord-Kivu. Or, nous avons déjà discuté de la situation (humanitaire) de cette région. Le retrait est en cours d’évaluation et se fera en fonction de l’évolution de la situation. Notre Pprésident, Son Excellence Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo,  est très clair sur le fait qu’il faudrait un retrait responsable. Au Sud-Kivu, nous avons déployé un dispositif important de la police nationale car nous voulons renforcer la présence de l’Etat congolais. Nous voulons aussi rassurer les populations du Sud-Kivusud pour qu’elles comprennent que nous sommes de leur côtéavec elles et que notre devoir est d’assurer leur protection. Nous allons donc consolider les acquis dans le sud Sud-Kivu et nous évaluons pour l’instant la situation au nordNord- Kivu.

 

- Quelles sont les défis de la région des Grands Lacs ?

- Le souhait principal est de travailler en synergie avec tous les pays voisins et axer nos efforts sur nos richesses, mais malheureusement la situation à l’Est du pays pèse extrêmement sur les relations entre les pays, et nuit à cet élan régional pourtant nécessaire pour que la région des Grands Lacs puisse aussi émerger comme un hub qui exploite toutes ces richesses impressionnantes. Il y a tant à faire, mais pour l’instant la guerre et les déplacements forcés nous distraient du travail à long terme que nous devrions accomplir.

 

- Certains critiquent le fait que le conflit en RDC ne soit pas suffisamment présent dans les médias internationaux comparé aux autres conflits, et ce malgré le nombre de victimes. Qu’en pensez-vous 

- C’est un combat que nous menons et qui est difficile. Nous sommes perplexes pas seulement par rapport au conflit au Congo mais aussi par rapport à d’autres conflits africains qui sont confrontés à cette ambiguïté, aux deux poids deux mesures, à l’importance qu’on attribue à la valeur humaine et à la couverture médiatique en fonction de la région dont il est question. C’est un combat que nous menons d’arrachepied. Le Pprésident de la Rrépublique, Son Excellence Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, est le principal ambassadeur pour qui attirer l’attention internationale sur les injustices que subissent les populations civiles à l’Est du Congo et surtout sur le fait qu’il ne s’agit plus d’un conflit congolais mais de l’agression par un pays frontalier et d’une menace à la paix et à la sécurité internationale.

 

- Vous avez récemment participé au Forum d’Assouan au Caire. Quelle est l’importance de ce forum à vos yeux ?

- C’est ma première participation au Forum et j’ai eu le privilège de rencontrer leLe Directeur Général du CCCPA (Centre International du Caire pour la résolution des conflits, le maintien et la consolidation de la paix), Monsieur Ahmed Abdel Latif, qui m’a expliqué que les réunions du forum ont seulement commencé en 2019. Il est devenu un très grand carrefour réunissant acteurs politiques, intellectuels et académiciens et qui vise à traduire les théories en actions concrètes. Et c’est le grand intérêt de participer à cette édition du Fforum, de profiter de cette synergie d’experts venus de différentes parties du continent et du monde.

 

- Le forum a insisté sur la coopération interafricaine et sur les moyens de faire face aux défis. Comment cette coopération peut-elle se concrétiser ?

- Nous avons un riche patrimoine et le privilège d’avoir une organisation qui est la nôtre, l’Union Africaine. C’est à travers elle que nous pouvons faire face aux défis du continent, que ce soit dans le domaine de la paix et de la sécurité ou d’autre défis comme les progrès rapides de la technologie ou les questions climatiques. Nous sommes dans un monde qui change en permanence et nous avons le privilège d’avoir cette organisation qui, justement, a pour mission d’apporter des réponses aux défis et aux attentes de nos populations. Donc, pour moi, la question qui se pose est comment enrichir notre Union Africaine, notre Conseil de Paix et de Ssécurité pour qu’ils soient à la hauteur de ces défis qui ne sont pas statiques. Il nous faut donc un leadership dynamique à tous les niveaux et un état d’esprit agile.

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