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Les businessmen et les Frères sur la même longueur

Marwa Hussein et Névine Kamel, Mardi, 16 octobre 2012

Les hommes d’affaires et le nouveau gouvernement défendent les mêmes politiques que sous l’ère Moubarak. La conférence sur l’investissement semble plus avoir changé de costume que de vision malgré quelques réformes.

Euromoney

La première conférence d’Euromoney en Egypte post-révolution s’est terminée le 10 octobre dernier. Elle rassemblait le premier ministre, les ministres des Finances, de l’Investissement et des Télécommunications ainsi que quelques membres du secteur privé.

L’objectif était avant tout de rassurer la population, d’attirer des investissements étrangers et locaux et de chercher des partenariats capables de relancer l’économie du pays. Cette conférence, qui se tient habituellement en présence de centaines d’hommes d’affaires, n’a regroupé cette année qu’une cinquantaine de représentants du secteur privé. On notait aussi une faible présence étrangère et gouvernementale. Les ministres de l’Industrie et du Commerce extérieur, du Pétrole, de la Planification et de la Coopération internationale comptaient parmi les grands absents de cette édition.

« La conférence a nettement perdu de son importance. On s’attendait à des déclarations fortes et claires sur les plans du gouvernement. Mais aucune nouvelle n’a été annoncée. Où sont les fortes allocutions de Youssef Boutros-Ghali, ancien ministre des Finances ? Où sont les différentes institutions internationales et leurs représentants ? Avant, on ne pouvait pas assister aux cessions qui étaient toutes complètes. Cette fois-ci, rien », avoue Hécham Essam, expert dans une institution d’investissement britannique, dont le rôle est d’évaluer la situation en Egypte, afin de promouvoir des partenariats.

L’allure de la conférence a beau avoir changer, le contenu est resté le même que les années passées : toujours les même discours concernant les objectifs florissants du gouvernement de relancer l’économie et d’attirer des investissements sans en préciser les moyens … « L’Egypte déploie actuellement tous ses efforts afin de relancer l’économie. Une dizaine de mesures sont actuellement en cours d’étude afin de reprendre la bonne direction. Nous respectons tous nos engagements avec les investisseurs étrangers et tout va être prochainement réglé », a martelé le premier ministre, Hécham Qandil, sans préciser ni ces mesures, ni les décisions à finaliser.

Aucun détail non plus sur le programme économique que le gouvernement a présenté au FMI pour obtenir un financement. « Un programme économique modifié et satisfaisant les demandes de toutes les parties politiques va être prochainement finalisé », s’est contenté de dire le premier ministre.

Mêmes discours

Les hommes d’affaires de l’ère Moubarak, présents à la conférence, ont repris le même discours de l’avant-révolution, les mêmes plaintes et les mêmes demandes. Les termes justice sociale, salaire minimum et tout autre terme relatif aux demandes des manifestations quotidiennes depuis le déclenchement de la révolution ne figuraient pas dans leurs discours.

Au contraire, certains ont simplement exprimé leur colère face aux problèmes post-révolution. « Les grèves des ouvriers égyptiens sont une sorte de vengeance contre les hommes d’affaires et doivent être réglementées, c’est très perturbant pour le business », s’est plaint Alaa Arafa, PDG de Arafa Holding.

La faiblesse des salaires, la hausse des prix, la faiblesse des réseaux d’assurance sociale et médicale ainsi que des services publics ne semblent pas être des raisons suffisantes aux yeux des hommes d’affaires pour que les ouvriers protestent. D’autres, tels Ahmad Heykal, PDG de Citadel Capital, et Tareq Amer, président de la Banque nationale d’Egypte, ont accusé les médias d’être l’une des causes de la baisse des investissements.

« Le défi principal n’est pas financier. Le vrai défi est de persuader la bureaucratie d’approuver des projets alors que les officiels sont persécutés et critiqués par les médias. J’ai failli croire ce que se disait sur moi dans les journaux », a ironisé Ahmad Heykal. « Les médias ont tendance à tout dramatiser. Ils essayent de jeter des doutes sur la crédibilité de tout le monde », a renchéri Tareq Amer.

Le changement de contexte politique et l’arrivée d’un président venant d’un parti islamique n’a pas eu d’effet majeur sur ces hommes d’affaires qui semblent plutôt trouver des points communs entre le nouveau gouvernement et l’ancien régime. « Je pensais à démissionner avant de me voir offrir un poste-clé. J’en ai conclu que ces gens veulent travailler avec des experts et des gens qui ont des connaissances », a salué Tareq Amer, en référence au Parti Liberté et Justice (PLJ). « Ma perspective est bien meilleure qu’avant », reconnaît-il.

Dans un discours avec les journalistes en marge de la conférence, il a même fait l’éloge de Hussein Al-Qazzaz, conseillé du président pour les affaires de l’intégration économique qu’il dit écouter parler pour la première fois (voir entretien). « C’est quelqu’un de professionnel, d’organisé et de bien informé », a-t-il ajouté.

Cette union de plus en plus claire entre des figures qui ont travaillé côte à côte avec l’ancien régime et la nouvelle élite politique est avant tout la conséquence de visions économiques et d’intérêts communs. Le PLJ reste un parti néolibéral, comme le prouvent les politiques que défendent le parti et ses cadres. Comme les hommes d’affaires, le PLJ préfère couper les subventions et généraliser la TVA qu’instaurer une taxe sur le revenu plus progressive. En plus, il semble tout à fait hostile aux protestations sociales.

Avant la révolution et l’explosion des demandes sociales, les hommes d’affaires avaient fortement plaidé pour un environnement propice aux investissements. Ce que la gouvernement de l’époque avait soutenu.« L’investissement est confronté à l’heure actuelle à de nombreux obstacles. Les hommes d’affaires ont été fortement attaqués depuis la révolution. Le gouvernement traîne à prendre des décisions favorisant l’investissement. Or, les hommes d’affaires ont besoin d’être rassurés et d’obtenir des facilités, afin de pouvoir investir », a lancé Ahmad Heykal, sous les applaudissements du public.

Faciliter la création d’entreprises et élaborer un plan de règlements à l’amiable des litiges entre le gouvernement et les hommes d’affaires sont deux demandes majeures des chefs d’entreprises. « Le défi à relever réside dans les procédures post-création comme les politiques d’embauche et de licenciement. On va introduire des modifications sur la loi d’investissement pour permettre la résolution amicale des disputes avec le gouvernement au lieu de recourir à l’arbitrage international », a ainsi promis Névine Al-Chaféï, vice-présidente de l’Autorité générale d’investissement (GAFI), aux investisseurs.

Vers la fin des subventions

aux industries ?

Le dossier des subventions, au cœur des débats ces jours-ci, a aussi été mis sur la table. Un plan pour couper les subventions en changeant le mode de distribution devrait être annoncé prochainement. L’opinion publique est favorable à la coupure des subventions à l’énergie pour les industries, surtout celles lourdement consommatricescomme le ciment, l’acier ou les engrais. Un point de vue peu partagé par les industriels. « Nous avons confronté de grandes difficultés depuis la révolution. Les usines produisent actuellement à mi-capacité. Le gouvernement a déjà approuvé une hausse de 33 % des prix. Cela est bien suffisant pour le moment », se défend Omar Mhanna de Suez-Ciment.

Le gouvernement n’a cependant toujours pas appliqué cette hausse approuvée en janvier dernier. Il hésite pourtant à l’appliquer rétroactivement. Les hommes d’affaires semblent ne pas vouloir payer le coût de la réforme politique et économique que les classes les plus défavorisées attendent. « L’effet de la croissance économique sur la société ne peut pas avoir lieu rapidement », indique à l’Hebdo Angus Blair, président de Signet Institute, un think tank économique et politique sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

« Je crois que les réformes de 2004 ont quand même mené à davantage de croissance économique. Il y a définitivement plus de richesses maintenant que 20 ans auparavant. Je vois plus de voitures qu’avant dans les rues », a défendu Blair. Un constat qui montre bien que beaucoup ne semblent pas réaliser les disparités croissantes au sein de la société égyptienne.

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