« Je m’appelle Tamer Qaoud, joueur de l'équipe nationale palestinienne d'athlétisme. J'ai participé à de nombreux tournois en dehors de la Palestine et j'ai réalisé un record au 1 500 m en 3 minutes et 54 secondes aux Jeux arabes en Algérie en juillet 2023 », raconte le jeune athlète, âgé de 18 ans, dont le rêve de monter sur le podium en France s’est évaporé. Cependant, il tient fermement à accéder un jour aux JO, une promesse qu’il avait faite à son entraîneur Bilal Abu Samaan, décédé le 17 décembre dernier à Gaza à l’âge de 32 ans. « J’ai ressenti une profonde frustration lorsque j'ai appris que mon entraîneur avait été tué après m’avoir soutenu dans les moments les plus difficiles, que ce soit pendant l'entraînement ou lors de compétitions. Il devait participer aux JO de Paris, mais il a été touché par les tirs des avions d'agression, qui ont détruit ses rêves alors qu'il accomplissait son devoir humanitaire en aidant à évacuer les blessés autour de l'hôpital Nasser de Khan Younès, après son invasion et sa destruction », confie Qaoud via WhatsApp. Les événements défilent dans sa mémoire, restant à jamais gravés dans son esprit, nourrissant sa persévérance et sa volonté inébranlable. Un chemin semé d’embûches se trace devant lui.
« Je suis revenu de Chine où je participais à un championnat pour poursuivre mon entraînement à Gaza, mais nous nous sommes réveillés le 7 octobre avec le bruit des bombardements. Une semaine plus tard, l'armée d'occupation a déclaré notre région zone de combat et a largué des tracts nous enjoignant à évacuer. Nous avons fui vers le sud de la bande de Gaza pour nous mettre à l'abri. Pendant notre déplacement, des personnes ont été prises pour cible sur notre chemin sécurisé. Mon oncle a été tué et de nombreux membres de ma famille ont été blessés. Notre maison a été complètement détruite et brûlée, mais nous avons miraculeusement survécu et avons trouvé refuge dans des écoles de l'UNRWA. Puis la famine a commencé dans le nord de la bande de Gaza, où les points de passage étaient fermés et aucune aide alimentaire n’était distribuée. Ma famille et moi avons dû moudre du fourrage pour apaiser notre faim, tout en souffrant de la pollution de l'eau, du manque de médicaments et de la propagation de maladies et d'épidémies », se désole-t-il, décrivant non seulement l'impact sur sa performance physique, mais aussi sur sa santé générale et mentale. « J’espérais aller dans un camp d'entraînement en dehors de la bande de Gaza, en Algérie, pour me préparer aux JO de Paris. Malgré ma détermination, et bien que je sache que le trajet du nord au sud de la bande de Gaza pouvait être dangereux à cause des postes de contrôle de l'occupation, j’ai insisté sur le fait de me rendre vers le sud, espérant poursuivre ma carrière sportive. J'ai finalement atteint le sud indemne, mais j’ai dû longtemps attendre au point de passage en raison du grand nombre de personnes fuyant la guerre, ce qui m’a encore retardé. Et ce n’est pas tout, les forces d’occupation sont finalement entrées à Rafah et ont fermé le point de passage. J’ai donc dû me déplacer vers Deir Al-Balah pour éviter la mort », explique-t-il d’un ton empreint de tristesse, mais laissant transparaître sa détermination, sa volonté et ses ambitions malgré toutes les déceptions.
Les sportifs ciblés par Israël
Les souffrances de Qaoud sont largement partagées par d’autres sportifs gazaouis dont la guerre a brisé les rêves. « Nous avons de nombreuses histoires de déchirement de héros dont les espoirs ont été battus en brèche par l'agression. Par exemple, Nagham Abu Samra, de la ville de Gaza, était la championne palestinienne de karaté et son rêve était de se préparer à participer à des tournois internationaux à l'étranger, jusqu'à ce qu'un missile israélien ait détruit ses aspirations en lui ôtant la vie. Un autre exemple est Mohamed Hamada, également originaire de la ville de Gaza, champion du monde d'haltérophilie, qui a été empêché par cette agression de poursuivre sa préparation et de voyager pour participer à des tournois internationaux qualificatifs pour les JO de Paris, après avoir perdu 20 kg en raison de la pénurie alimentaire qui frappe la ville », explique via WhatsApp Asaad Al-Magdalawy, vice-président du Comité olympique palestinien. La coureuse de longue distance Assil Bakr fait aussi partie des sportifs qui n'ont pas pu accéder aux JO de Paris. Agée de 18 ans, son entraîneur martyr Bilal Abu Samaan l'avait préparée pour cette compétition, mais elle n'a pas réussi les tests de qualification à cause de la guerre à Gaza et du départ de son entraîneur.
« Les sportifs palestiniens ont été ciblés par l'occupation durant l'agression sur Gaza. Elle tue, blesse et capture délibérément des athlètes, des joueurs, des administrateurs et des cadres, en plus de la destruction des infrastructures. Pour l'instant, nous ne disposons pas de statistiques précises en raison des difficultés liées à l'agression en cours. Cependant, selon des statistiques préliminaires, nous estimons que nos pertes humaines s'élèvent à environ 400 martyrs parmi les membres du système sportif, incluant des joueurs, des techniciens et divers cadres, ainsi que des milliers de blessés et des dizaines d'arrestations », avance Al-Magdalawy. Il explique que le niveau des sportifs a été gravement affecté par la guerre à Gaza, soulignant que le développement des performances sportives à des niveaux avancés nécessite un processus continu de construction, d'accumulation d’expériences et de compétences, ainsi que des conditions de sécurité, une alimentation saine et un suivi médical. « Lorsque tous ces éléments sont perdus simultanément et que la priorité devient la lutte pour survivre au génocide, il est naturel que le niveau sportif s'effondre et qu'une récupération rapide semble improbable », conclut-il.
Nelly Al-Masry, critique sportive pour le site palestinien FaceKooora, partage cet avis. Elle estime que le secteur sportif palestinien a subi les pires destructions et violations des droits de l'homme lors de la récente guerre israélienne contre Gaza à partir du 8 octobre. « La plupart des stades, des institutions sportives, ainsi que les sièges du Comité olympique palestinien et de l'Association de football ont été détruits. Les stades qui ont survécu sont devenus des abris pour les personnes déplacées par les bombardements et les horreurs de la guerre. Avant l'invasion de Rafah, quelques stars du football ont pu rejoindre une ligue arabe où ils peuvent jouer. Trois d'entre eux ont réussi à quitter Gaza via le point de passage égyptien de Rafah pour rejoindre la ligue libyenne », déclare-t-elle via WhatsApp. Et d’ajouter : « Actuellement, aux JO de Paris, la Palestine a demandé l'exclusion de l'entité sioniste des compétitions en raison des violations flagrantes des droits de l'homme à Gaza. Cependant, le Comité International Olympique (CIO) a refusé cette demande sous prétexte que les institutions sportives doivent rester neutres et séparées de la politique, contrairement à sa position dans le cas de la Russie et de l'Ukraine ». Elle souligne que la délégation palestinienne composée de huit membres, la plupart résidant en Cisjordanie et à Ramallah, a voyagé à Paris via la Jordanie. Seuls le nageur Yazin Al-Bawab et le boxeur Wassim Abou Sel, natifs de Gaza, ont pu partir à Paris via l'Egypte avant l'invasion de Rafah et la fermeture du point de passage. Ce dernier a même pu bénéficier de l'entraînement à distance avec son coach gazaoui résidant en Egypte via des échanges de messages textuels.
L’espoir malgré tout
Malgré ce sombre tableau, des sportifs s'efforcent toujours de sauver leurs rêves sous les décombres. Si certains footballeurs ont rejoint des tournois dans les pays arabes, l'haltérophile Mohamed Hamada a, quant à lui, regagné le Qatar, où il suit un programme de rééducation pour retrouver ses performances et les kilogrammes perdus ces derniers mois. Quant à la jeune coureuse Assil Bakr, qui dominait les compétitions locales et s'entraînait dans la zone verte de Rafah, elle semble également surmonter les défis pour poursuivre sa carrière sportive. Elle refuse de céder et continue ses exercices à Khan Younès. « Alors qu'Assil faisait ses séances de fitness et d'entraînement au bord de la mer, aujourd'hui, une centaine de tentes ont poussé, laissant seulement un espace étroit de trois mètres qui lui sert de terrain. Elle doit maintenant courir et faire ses exercices d'échauffement et d'étirement entre les tentes de ce camp pour personnes déplacées », explique Bissane Bakr, la sœur d'Assil et ex-championne palestinienne d'aviron qui supervise son entraînement depuis le départ de son coach. Elle ajoute qu'Assil n'a jamais abandonné l'idée de participer aux JO, cherchant même sur Internet malgré les difficultés de communication pour trouver des programmes d'entraînement via des sites ou des experts. Un défi auquel elle est déterminée à faire face jusqu'au bout de sa vie.
Pourtant, le plus grand défi reste celui des institutions sportives, chargées de reconstruire les infrastructures et de soutenir les cadres sportifs. « En tant que Comité olympique palestinien, nous considérons le sport comme un élément d'unité et un refuge pour nos athlètes. Malgré toutes les pertes subies par le secteur sportif, nous gardons l'espoir de réaliser notre projet patriotique. Nous sommes conscients des défis liés à la reconstruction du cadre et de l'infrastructure sportive, mais nous n'avons d'autre choix que de recommencer et de compter sur notre propre détermination, tout en cherchant le soutien des institutions sportives internationales pour aider notre jeunesse et notre sport. Elles ont le devoir moral et humanitaire envers le sport palestinien, qui traverse actuellement sa période la plus difficile de l'histoire des guerres », conclut Al-Magdalawy.
Lien court: